L’AMF doit mieux faire, selon la vérificatrice générale

Par La rédaction | 1 juin 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Suivi « insuffisant » dans le secteur de l’assurance, « difficulté » à respecter les échéances dans les dossiers d’enquête, délais de traitement des demandes d’indemnisation trop longs, consommateurs mal informés… La vérificatrice générale du Québec a livré hier les résultats des travaux qu’elle a menés auprès de l’Autorité des marchés financiers.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les conclusions (vidéo) de son audit de performance des activités de contrôle de l’Autorité et du Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) n’épargnent pas le régulateur du secteur financier québécois.

Dans son rapport (voir chapitre 2), Guylaine Leclerc souligne d’emblée que « la stratégie d’intervention ainsi que le suivi des irrégularités constatées lors des inspections divergent selon le secteur d’activité ». Ainsi, alors qu’en matière de valeurs mobilières l’Autorité fait un bon travail, elle juge que la situation est nettement moins satisfaisante du côté de l’assurance.

UN BON POINT POUR LES VALEURS MOBILIÈRES…

Le rapport indique qu’au 31 décembre 2016, plus de 720 sociétés du secteur des valeurs mobilières étaient assujetties au contrôle de l’AMF. Celles-ci se répartissaient en deux grandes catégories : celles dont le siège social se trouve au Québec (au nombre de 170) et celles inscrites dans la province, mais dont le siège social est situé à l’extérieur (plus de 550 compagnies). Si l’approche utilisée par l’Autorité « lui permet d’avoir une couverture raisonnable de l’ensemble des entreprises (…) ayant leur siège social au Québec et d’inspecter plus fréquemment celles à plus haut risque », sa stratégie d’intervention auprès de celles établies à l’extérieur de la province devra être peaufinée, estime la vérificatrice.

Celle-ci note que l’Autorité s’est également donné comme objectif d’inspecter, à l’intérieur d’une période de 18 à 24 mois, toutes les nouvelles entreprises inscrites sur le sol québécois, ce qui lui permet « d’obtenir rapidement de l’information » et d’apprécier ainsi leur risque de non-conformité. Autre satisfecit décerné par Guylaine Leclerc : l’AMF effectue « un suivi adéquat des irrégularités constatées lors de l’inspection des entreprises (…) et, le cas échéant, pose des actions pour s’assurer que celles-ci se conforment davantage aux lois et règlements ». Grâce à quoi elle est en mesure d’« évaluer si des mesures correctrices ont été prises (…) et déterminer s’il y a une amélioration ou une détérioration de la culture de conformité ».

« Dans les dossiers que nous avons examinés, un suivi a été réalisé pour l’ensemble des irrégularités constatées initialement, et l’Autorité avait pris les mesures nécessaires afin de s’assurer de la correction des lacunes observées », souligne la vérificatrice.

MAIS PAS DANS LE SECTEUR DE L’ASSURANCE

En revanche, le tableau est moins reluisant dans le domaine de l’assurance, où l’AMF « ne dispose pas des outils et de toute l’information nécessaires pour cibler adéquatement ses interventions en fonction des risques », estime le rapport, qui ajoute que « son processus de suivi des irrégularités observées lors des inspections mériterait d’être renforcé ». Ainsi seules 10 % des entreprises du secteur ont fait l’objet d’une inspection depuis 2011 et les activités de suivi réalisées par l’Autorité dans cette branche « sont insuffisantes pour lui permettre d’apprécier dans quelle mesure les correctifs ont été mis en place pour pallier les lacunes observées ».

Pire, depuis 2014, seulement 16 % des inspections réalisées pour lesquelles des lacunes avaient été constatées ont fait ou feront l’objet d’une inspection de suivi, tandis que « la décision de choisir une entreprise plutôt qu’une autre n’est pas suffisamment justifiée en fonction des risques et de l’importance des lacunes », déplore la vérificatrice générale.

Autre point noir, selon elle : la durée de traitements des dossiers. En effet, si le processus actuellement en place à la direction des préenquêtes de l’Autorité lui permet « de cibler et de prioriser les signalements en fonction des risques », elle éprouve cependant de la difficulté à respecter les délais qu’elle s’est fixés pour traiter les affaires en cours. De plus, « l’information de gestion à sa disposition ne lui permet pas de connaître facilement les causes occasionnant les longs délais, et conséquemment de prendre les mesures appropriées pour les réduire ».

DES DEMANDES D’INDEMNISATION QUI TRAÎNENT

Le rapport soutient par ailleurs que le FISF « ne joue pas pleinement son rôle », qui est d’indemniser les victimes de fraude. Et il critique le fait que, « au fil des ans, la situation n’a pas été corrigée malgré tous les questionnements qui ont été soulevés relativement à l’effet limitatif des conditions d’admissibilité ». En 2015-2016, par exemple, une seule personne a reçu une indemnité, pour un montant de 50 000 dollars, alors que les frais d’administration de l’AMF ont été d’environ 1,2 million de dollars pour l’analyse des 34 dossiers présentés lors de cet exercice-là.

Guylaine Leclerc relève aussi que le traitement des demandes d’indemnisation est « long ». Pour la période de 2011-2012 à 2015-2016, les délais ont ainsi dépassé la cible de 300 jours fixée par l’Autorité dans 56 % des cas, soit pour 217 demandes sur 385, tandis que 52 demandes ont nécessité plus de 600 jours pour aboutir.

Enfin, la vérificatrice regrette que l’institution financière « n’ait pas mis en place tous les moyens nécessaires afin que le consommateur puisse disposer facilement de l’information lui permettant de déterminer si un représentant est autorisé à offrir le produit ou le service financier qu’il veut acquérir ».

Les 11 recommandations de la vérificatrice générale

L’AMF devrait :

  • S’assurer de mettre en œuvre sa stratégie d’intervention auprès des entreprises du secteur des valeurs mobilières ayant leur siège social hors du Québec.
  • Établir un meilleur profil de risques des entreprises distribuant des produits et des services dans le secteur des assurances afin de pouvoir mieux réagir en cas de problème.
  • Instaurer un meilleur suivi des irrégularités constatées à la suite de ses inspections dans ce secteur.
  • Développer des indicateurs qui permettent de mieux apprécier sa performance en ce qui a trait à ses inspections dans les secteurs des valeurs mobilières et des assurances en tenant compte de leurs spécificités.
  • Effectuer les inspections auprès de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommages en temps opportun afin de maximiser l’utilité des constats et des recommandations.
  • Encadrer et structurer le mécanisme de suivi des mesures correctrices auprès de ces deux organismes pour s’assurer que les lacunes jugées importantes seront corrigées dans des délais raisonnables.
  • Disposer de toute l’information pertinente pour analyser les délais de traitement des dossiers d’enquête en vue de les réduire, si possible.
  • Veiller à ce que le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) puisse jouer pleinement son rôle.
  • Faire en sorte que le consommateur dispose d’une information plus pertinente et facilement compréhensible pour lui permettre de savoir si le produit ou le service financier qu’il souhaite acquérir pourra faire l’objet d’une indemnisation par le FISF en cas de fraude.
  • Créer un mécanisme de révision des décisions relatives aux demandes d’indemnisation préalable à l’exercice d’un recours judiciaire.
  • Prendre les mesures nécessaires pour que le délai de traitement des demandes d’indemnisation soit raisonnable en fonction de leur nature et de leur complexité.

La réaction de l’AMF

« L’Autorité souscrit aux recommandations que contient le rapport de la vérificatrice générale », assure son porte-parole.

Interrogé par Conseiller, Sylvain Théberge indique que, « en ce qui concerne le Fonds d’indemnisation des services financiers, l’AMF partage son analyse quant au champ d’application limité au type de produit financier, un enjeu qu’elle a maintes fois soulevé ». Et il ajoute que l’institution « mettra rapidement en œuvre toute modification législative permettant au Fonds de jouer pleinement son rôle ».

Pour réduire les délais de traitement des demandes d’indemnisation, le porte-parole explique que l’Autorité déploiera « un plan d’action visant à mieux segmenter les types de dossiers avec les cibles de délai visées ». Enfin, il affirme que l’organisme « poursuivra son travail d’accompagnement auprès des consommateurs lésés dans leurs différentes démarches afin d’en arriver dans les meilleurs délais à un traitement équitable de leur dossier ».

La rédaction