Le Canada trop mou devant l’évasion fiscale?

Par La rédaction | 20 février 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Un milliard de dollars. C’est le montant que des Canadiens auraient dissimulé à l’impôt en 2005, seulement à la banque suisse UBS, selon Bradley Birkenfeld. L’ex-banquier suisse devenu dénonciateur soutient avoir remis des informations sur ces fraudeurs aux autorités canadiennes, mais en vain, rapporte le Financial Post.

À elle seule, la banque UBS aurait possédé 5,6 milliards de dollars en actifs canadiens en 2005, dont 1 G$ en taxes et impôts impayés. La réponse du porte-parole de la banque, interrogé par le Financial Post sur cette question? « Nous ne sommes pas particulièrement pressés de commenter ce sujet pour vous. »

Bradley Birkenfeld est cet ex-banquier privé d’UBS AG, qui a démissionné en 2005 après avoir constaté que la direction ne respectait pas la loi américaine. Il est ensuite devenu dénonciateur, travaillant avec les autorités américaines et leur fournissant des informations aux sujets des clients américains coupables d’évasion fiscale dans son ancienne banque.

Il a aussi renseigné plusieurs autres pays, dont le Canada. La plupart de ces contrées ont récupéré des sommes importantes avec ces informations, se chiffrant dans les milliards de dollars. Plusieurs ont aussi imposé de lourdes pénalités à UBS, dont une amende de 780 M $US (1, 02 G $CAN) aux États-Unis.

LAXISME CANADIEN

Le Canada? Rien. L’Agence du revenu du Canada (ARC) soutient que depuis 2009, quelque 3 000 clients d’UBS ont participé à son programme de déclaration volontaire. Ce programme propose aux délinquants fiscaux de déclarer les revenus cachés, en échange de quoi ils paient leur dû avec un taux d’intérêt réduit et aucune pénalité additionnelle.

Cette approche a permis à l’Agence de récolter 270 millions de dollars liés à des revenus non déclarés. Environ le quart des sommes qui lui seraient dues, selon Bradley Birkenfeld. De plus, la banque et ses employés n’ont fait face à aucune pénalité imposée par le Canada.

Alain Denault, professeur à l’Université de Montréal et auteur du livre Paradis fiscaux : la filière canadienne, se désole de ce laxisme. « Le signal que le Canada envoie aux individus qui outrepassent les systèmes légaux et fiscaux, c’est que s’ils trichent et se font prendre, le Canada les traitera mollement », dit-il.

Pour lui, cela revient à créer un système de deux poids, deux mesures. « Si vous êtes pauvre et vulnérable, vous paierez de grosses amendes, ils vous passeront un savon, mais si vous êtes millionnaire, si vous êtes fortuné, vous serez capables de rembourser les impôts et taxes que vous n’avez pas payés avant de vous faire prendre et peut-être un peu d’intérêt. »

En guise d’exemple du laxisme des autorités canadiennes, il cite l’entente d’amnistie offerte aux clients fortunés de la firme KPMG, qui ont profité d’un stratagème fiscal lié à des sociétés-écrans créées à l’Île de Man. Personne n’a payé de pénalité dans cette affaire.

JUSTICE C. EFFICACITÉ

Certains mettent en doute les motifs derrière l’insistance de Birkenfeld, ou l’utilité d’une approche plus coercitive. David Sohmer, avocat fiscaliste partenaire et fondateur de Spiegel Sohmer, soutient que la majorité des clients cités par M. Birkenfeld se sont déclarés eux-mêmes à l’ARC. Il l’accuse de tenter de mousser la popularité de son récent ouvrage : Lucifer’s Banker : The Untold Story of How I Destroyed Swiss Bank Secrecy.

Me Sohmer croit que la méthode de déclaration volontaire ne suffit peut-être pas pour punir les coupables, mais est la plus efficace pour récupérer l’argent. D’autant plus que certains de ces dossiers pourraient être difficiles à remporter si on les menait devant le tribunal. Plusieurs actions illégales aujourd’hui étaient légales à l’époque où M. Birkenfeld travaillait pour UBS, comme prendre l’avion de Zurich à Montréal pour aller livrer une mallette bourrée d’argent comptant à un client canadien.

De son côté, l’avocat fiscaliste Stephane Eljarrat préfère la bonne vieille méthode de la carotte et du bâton. Si les programmes volontaires sont efficaces, il faut aussi que les coupables sachent que la pénalité sera sévère s’ils ne se déclarent pas volontairement.

Mais Allan Cutler, ex-candidat conservateur devenu président de Canadians for Accountability, est plutôt pessimiste. Il a tenté d’intéresser les différents partis politiques fédéraux à cette cause, sans résultat. « Au niveau politique, ils ont décidé que la corruption l’emporterait », se désole-t-il.

L’ARC RIPOSTE

Dans un courriel envoyé à Conseiller, l’ARC soutient qu’il est inapproprié de comparer les actions qu’elle a entreprises pour lutter contre l’évasion fiscale avec celles d’autres pays, qui sont gouvernés par des lois différentes, appliquées dans des circonstances différentes.

Elle dit par ailleurs avoir pris des moyens légaux en 2010 pour forcer la filiale canadienne d’UBS à lui divulguer l’identité des contribuables canadiens qui ont utilisé ses services pour déplacer certains de leurs avoirs du Canada au Liechtenstein. Une deuxième offensive a eu lieu en 2014, alors qu’UBS (au Canada) a dû révéler à l’ARC les noms des Canadiens détenant des comptes chez UBS en Suisse. Tout ce processus a résulté en un certain nombre d’audits, dont certains sont toujours en cours, indique l’ARC.

Elle estime de plus que la déclaration volontaire est un outil adéquat pour lutter contre l’évasion fiscale. Cependant, elle s’applique actuellement à resserrer les règles du programme afin de continuer à faire la promotion des « comportements fiscaux appropriés ». Elle suivra à cet effet les recommandations du Comité consultatif sur l’observation à l’étranger.

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