Le « capitalien », un actionnaire responsable et musclé!

Par Jean-François Venne | 17 novembre 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les Québécois sont plus riches qu’ils ne le pensent et ont un immense pouvoir qu’ils tardent à utiliser. C’est le diagnostic que fait Normand Caron, formateur au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Il appelle à l’émergence d’un nouveau type d’investisseur : le « capitalien ».

Conseiller : Depuis plusieurs années, les discours politiques et médiatiques dénoncent lendettement des Québécois. Or, vous nous invitez plutôt à prendre conscience de notre richesse collective. Sur quoi vous basez-vous?

Normand Caron : Ce discours morose sur la dette des ménages m’exaspère. Le portrait que donnent les chiffres sur l’épargne et l’investissement au Québec est en fait beaucoup plus nuancé. À la fin décembre 2013, la valeur des actifs sous gestion de l’ensemble de nos instruments financiers publics et privés (coopératives d’épargne, mutuelles d’assurance, régimes d’épargne retraite, études ou actions, fonds de travailleurs, etc.) dépassait les 885 G$. C’est plus de 260 000 $ par ménage! S’il y a un problème au Québec, il se situe bien plus sur le plan de la répartition des richesses. Une partie de la population concentre une grande part des richesses et est très peu endettée, alors qu’une autre a peu de richesses et beaucoup de dettes. Reste que globalement, les Québécois détiennent 86 G$ en dépôts libres, pour 52 G$ de dettes à la consommation. À la rigueur, on pourrait effacer cette dette d’un coup! Mais le discours est toujours plus dramatique. Les analystes des médias présentent toujours le ratio d’endettement par rapport au revenu disponible, mais sans tenir compte des actifs. Pourtant, la même dette n’a pas un poids identique pour une personne possédant beaucoup d’actifs que pour une autre en ayant peu.

C. : Pour vous, cette constatation de notre richesse collective doit se doubler dune prise de conscience quant à nos nouvelles responsabilités dinvestisseurs et dactionnaires. Quentendez-vous par là?

N. C. : Une grande partie de cette réflexion m’est venue à la lecture du livre The New Capitalists : How Citizen Investors are Reshaping the Corporate Agenda*. On y démontre l’évolution des détenteurs du pouvoir économique depuis un peu plus d’un siècle. Au début du 20e siècle, quelques grandes familles possédantes pouvaient avoir un impact sur à peu près tous les mouvements et toutes les décisions économiques. De nos jours, les actionnaires sont les fonds de pension, les petits actionnaires, les communautés religieuses, etc. Et cette évolution est exactement celle qu’a suivie le Québec depuis les années 1960. En nous donnant des outils financiers majeurs et en investissant dans les régimes enregistrés, les fonds de travailleurs, les fonds de retraite, etc., nous sommes devenus des millions de petits propriétaires d’entreprises. Nous fournissons les capitaux et nous détenons la majorité des actions votantes et participantes d’un grand nombre d’entreprises canadiennes et québécoises. Il y a là une opportunité de mettre l’économie au service des citoyens. Mais nous n’en n’avons pas pris conscience. En ce sens, nous sommes peut-être devenus des capitalistes, mais il faudrait que nous devenions des « capitaliens ».

Normand Caron, formateur au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).

C. : Cest-à-dire ?

N. C. : L’investisseur capitaliste fait ce que font encore trop d’entre nous : il regarde le rendement de ses placements et c’est tout ce qui lui importe. Il ne s’intéresse que très peu à la gestion de l’entreprise dont il est actionnaire ou à l’éthique de ses placements. Le « capitalien », lui, prend conscience qu’à partir du moment où il est actionnaire d’une entreprise, sa responsabilité est engagée. C’est lui qui prend le risque d’investir. Il doit donc conjuguer la recherche du rendement à d’autres préoccupations comme la saine gestion des entreprises, l’éthique ou le développement durable. Il doit surtout s’assurer que les actionnaires gardent toujours un réel pouvoir sur les dirigeants d’entreprise, ce qu’au MÉDAC nous appelons la démocratie actionnariale. Plutôt que de faire des mouvements à la Occupy Wall Street, pourquoi ne pas aller faire valoir ses idées massivement dans les assemblées générales et faire nommer des gens partageant nos valeurs sur les conseils d’administration? Le « capitalien » est aussi un investisseur bien formé, ne suivant pas le troupeau, lequel achète quand ça va bien, puis vend en masse quand ça va mal, créant ainsi des bulles spéculatives qui crèvent inévitablement et précipitent l’économie dans des crises financières.

C. : Tout cela nest-il pas un peu idéaliste?

N. C. : (Rires) Beaucoup moins que l’on pourrait le penser. C’est surprenant à quel point on peut mobiliser les actionnaires en vue d’une assemblée générale quand on s’y prend à l’avance et que l’on fait circuler l’information. Même si les membres du MÉDAC ne représentent que 4 ou 5 % du capital-actions d’une entreprise, en faisant des propositions aux autres actionnaires, nous arrivons à mobiliser beaucoup plus. Par exemple, chez Couche-Tard, nous avons été chercher 51 % des votes en faveur du vote consultatif sur la rémunération des dirigeants. Évidemment, quand on fait le décompte des actions à votes multiples, ça nous place en minorité, mais on sent tout de même qu’il y a des investisseurs qui ont envie de jouer un rôle plus actif. Le capitalien a de beaux jours devant lui. Du moins, c’est à espérer!

* Davis, Stephen; Lukomnik, Jon et David Pitt-Watson. 2006. The New Capitalists : How Citizen Investors are Reshaping the Corporate Agenda. Boston : Harvard Business School Press.

En chiffres :

À la fin de l’année 2013, les épargnants québécois détenaient plus de 182 G$ en dépôts à vue et à terme dans les institutions bancaires de la province, soit à peu près l’équivalent de la dette brute du gouvernement du Québec.

Source : Normand Caron, Le Capitalien frileux


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Jean-François Venne