Le coût d’un conseil

Par Lisa Machado | 13 novembre 2015 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
12 minutes de lecture

La façon dont vous êtes payé est en passe de devenir un aspect déterminant des relations que vous entretenez avec vos clients.

Portrait type de la cliente actuelle : elle se débrouille dans la jungle des placements et veut s’impliquer activement dans la gestion de sa santé financière. Cette nouvelle cliente est plus consciente que jamais des coûts liés à l’investissement et fait preuve de discernement quand vient le temps d’ouvrir son portefeuille pour vous payer. Qu’elle vous paye en salaire, en commissions, en honoraires, à l’heure ou encore par une combinaison de ces moyens, la cliente ne désire qu’une chose : recevoir des services qui vaudront le temps et l’argent qu’elle y a investis. Et elle payera avec plaisir.

Votre mode de rétribution est justement le thème central du dossier sur les tendances en matière de rémunération que nous vous présentons ce mois-ci.

Ce dossier spécial s’ouvre avec le récit personnel de Rick Claydon, qui raconte comment il a transformé son entreprise en facturant des honoraires pour chaque transaction, et qui explique les défis rencontrés sur son chemin. Ensuite, nous jeterons un coup d’oeil sur la situation présente des modes de rémunération au Canada et aux États-Unis.

Effectuer le grand saut

Passer à la rémunération à honoraires est intimidant. Voici comment un conseiller financier l’a fait — et pourquoi.

En 1993, je dirigeais un cabinet consultatif fonctionnant à commissions et auréolé du succès de Equion Securities Ltd. Il y avait alors certains aspects que je voulais éliminer de mon entreprise, entre autres l’incertitude financière. Je voulais une entreprise plutôt qu’un emploi. Je désirais continuer à accroître ma clientèle à valeur nette élevée. Je voulais avoir la possibilité de passer plus de temps avec mes clients, les renseigner et les aider à établir et à atteindre leurs buts. Et je voulais également pouvoir dire : «Je vous aiderai à bâtir votre plan, à l’exécuter et je vous épaulerai tout au long du processus afin que vous évitiez de commettre toute erreur irréparable. Et pour cela, vous me payerez des honoraires pour mes services de consultation.»

Par-dessus tout, je voyais quelle direction prenait l’industrie. Les clients envisageaient plus favorablement l’approche de la rémunération à honoraires (selon laquelle un conseiller touche des honoraires annuels harmonisés à l’actif sous gestion du client). Ils sont davantage assurés que l’intérêt du conseiller rémunéré à honoraires – lequel voit son salaire augmenter à mesure que la valeur de leur actif augmente – a plus de chances de coïncider avec le leur. Alors, j’ai changé de cap, et j’aide aujourd’hui d’autres conseillers à faire de même.

Voici d’abord quelques avantages du travail à honoraires :

  • l’unification des objectifs visés par le client et le conseiller (l’attention est centrée sur la croissance de l’actif du client, et non sur les transactions ou les commissions); • une source de revenus récurrente et prévisible;
  • mes revenus sont des actifs pour ma firme (la rémunération à honoraires possède une valeur intrinsèque, et en soi, les conseillers sont plus enclins à y adhérer, contrairement à la rémunération à commissions, qui ne permet pas autant de prévoir les rentrées d’argent);
  • plus de temps pour travailler à la recherche de nouveaux clients; et
  • l’occasion de travailler avec la clientèle à valeur nette élevée.

Un certain nombre de conseillers financiers me disent qu’ils voudraient bien passer à une pratique basée sur les honoraires, mais qu’ils ne sont pas certains de la façon de s’y prendre. Vous trouverez ci-dessous un mode d’emploi par étapes qui clarifiera ce que vous avez à faire.

Étape no 1 : Élaborez votre vision d’affaires

Rien n’arrivera tant que vous n’aurez pas admis de façon claire et décisive que la pratique à honoraires est la meilleure solution pour vos clients et vous. Repasser mentalement les avantages et parler à d’autres conseillers qui ont fait le changement devrait vous aider à établir votre propre plan. L’un des avantages que j’ai le plus appréciés – et que je prise toujours – est le temps accru pour me consacrer à la gestion de la richesse et aux relations avec mes clients. Cette nouvelle façon de voir m’a permis de livrer des services supérieurs à mes clients et a profité à la croissance de mon entreprise.

Étape no 2 : Établissez le profil de votre client idéal

À quoi ressemble votre client idéal? Faites-vous-en une idée et déterminez quels clients seraient les plus disposés à fonctionner selon une rémunération à honoraires plutôt qu’à commissions. Par exemple, un client qui aime déplacer ses fonds communs ne cadrerait pas avec une structure à honoraires. Toutefois, il vous sera bénéfique d’expliquer à vos clients les avantages de cette nouvelle structure : vous ne passerez pas 10 heures par semaine à lancer des fléchettes sur un tableau pour éventuellement trouver le meilleur fonds commun, mais vous vous concentrerez plutôt à leur mettre sur pied le plan de succession le plus approprié ou les meilleures déductions d’impôt, etc. Il est également important de mentionner que vous recevrez le même montant en honoraires que vous effectuiez 100 ou 10 transactions dans leur compte, ce qui évite les conflits d’intérêts.

« Les clients sont davantage assurés que le conseiller à honoraires travaille dans le même intérêt qu’eux.  »

Rick Claydon

Étape no3 : Segmentez votre clientèle

L’étape suivante consiste à répartir vos clients en catégories :

  • A. On devrait communiquer en premier avec ceux qui conviennent le mieux aux conseils rémunérés à honoraires. (Les clients qui veulent intégrer leurs impôts, leur succession et leurs placements. Ils demandent quelqu’un qui puisse rassembler tous ces éléments).
  • B. Ceux dont vous êtes incertain.
  • C. Ceux qui ne conviennent pas à la rémunération à honoraires et que vous devriez transférer ou vendre à un autre conseiller.

Cet exercice vous permet de «faire le ménage» de votre portefeuille de clients afin de ne garder que les «comptes lucratifs». Les clients faisant partie du groupe C peuvent être dispendieux étant donné qu’ils génèrent de faibles revenus et consomment le temps de votre équipe. Un nouveau conseiller, cependant, pourrait trouver ces mêmes clients précieux pour augmenter plus rapidement leur niveau de connaissances et aura généralement plus de temps à consacrer au service à la clientèle.

Étape no 4 : Concentrez-vous sur 15 clients

Je recommande qu’un conseiller concentre ses efforts sur 15 clients à la fois pour expliquer sa nouvelle méthode de travail. Vous devriez tenir des rencontres en tête à tête avec les clients plus importants et offrir des séminaires pour vos clients plus petits, cela vous fera gagner du temps. Quand vous avez terminé avec 5 clients, ajoutez-en 5 autres, ainsi vous avez toujours 15 clients en attente, jusqu’à ce que vous ayez rejoint toute votre clientèle. Cela vous permettra d’améliorer votre concentration et devrait vous aider à diminuer les chances d’être surchargé de travail.

Étape no 5 : Faites état des bénéfices

Planchez sur la même présentation, que vous la donniez en tête à tête ou devant un groupe. Commencez par dire : «Parlons de la façon dont nous faisons des affaires aujourd’hui et pourquoi cela ne fonctionne pas.» Assurez-vous d’insister sur les avantages de la pratique à honoraires et de leur expliquer les conflits d’intérêts inhérents à l’approche basée sur les commissions, comparée à celle basée sur les honoraires, qui stimule les clients et les conseillers à accroître l’actif. N’oubliez pas de souligner que vous aurez plus de temps à leur consacrer.

Étape no 6 : Faites la transition

À court terme, vos revenus diminueront quand vous effectuerez le changement vers la pratique à honoraires, mais souvenez-vous qu’il s’agit d’une transition. Pour ma part, je travaillais avec une rémunération à honoraires le matin et sur les comptes à commissions dans l’après-midi, ainsi il y avait toujours des rentrées d’argent. À long terme, l’approche basée sur les honoraires fournira autant de revenus sinon davantage et, plus important encore, un supplément de revenus nets. Pour gérer vos liquidités au cours de la transition, il vaut peut-être mieux vendre vos petits comptes à un autre conseiller. Vous pouvez également effectuer la transition vers une pratique à honoraires sur une période de trois ans (par exemple, 75 % de commissions – 25 % d’honoraires la première année, puis 50 %-50 % la seconde et ainsi de suite).

Un conseiller que je connais bien facture un montant de ventes différé sur les premiers 100 000 $ investis, générant ainsi un revenu de 4 000 $. Si un client investit 250 000 $, le conseiller reçoit une commission sur les premiers 100 000 $, mais rien sur les 150 000 $ restants. Le conseiller justifie sa commission en expliquant la planification successorale substantielle qu’il avait élaborée la première année. Étant donné la valeur de son plan successoral, il y a peu de protestation. Après trois ans, lorsque son actif sous gestion a atteint un niveau raisonnable, il a cessé de réclamer une commission et gère maintenant une entreprise basée sur les honoraires. Les conseillers qui oeuvrent également dans le domaine de l’assurance continuent d’exiger une commission pour tout ce qui s’y rapporte, et tirent des honoraires en ce qui a trait aux placements, ce qui constitue un excellent moyen de maintenir ses liquidités pendant la transition. Malgré que cela ne soit pas nécessairement facile, la transition vers une pratique basée sur les honoraires vous positionnera pour un avenir prometteur. Cela augmentera de même la valeur de vos services aux clients, ce qui est une composante importante lorsqu’on veut obtenir – et faire durer – le succès.

Conseils à l’heure

Les planificateurs à honoraires ne sont pas bon marché.

Gary Schatsky est extrêmement fier du slogan de sa firme de consultation : «Des conseils d’experts qui ne vendent que des conseils». Établi à New York, le planificateur financier demande 300 $ US de l’heure à ses clients, lesquels reçoivent en retour des conseils professionnels sur des stratégies de placement, sur l’impôt, l’assurance et la planification successorale. M. Schatsky tire uniquement ses revenus des honoraires demandés à ses clients et non pas de la vente de produits financiers spécifiques.

Trois cents dollars américains de l’heure peut sembler une somme énorme pour se payer les services de conseillers rémunérés seulement à honoraires, mais de plus en plus de clients et de prospects sont prêts à payer la note, particulièrement aux États-Unis. L’an passé seulement, la National Association of Personal Financial Advisors (NAPFA), qui regroupe 700 conseillers financiers touchant exclusivement des honoraires, a reçu plus de 20 000 demandes de consommateurs recherchant des conseillers qui n’étaient pas payés à commissions.

«Les consommateurs dictent la tendance, et ceux-ci aiment obtenir des conseils impartiaux, explique M. Schatsky, qui assume également la présidence de la NAPFA. Ils ne veulent pas quelqu’un qui travaille à commissions. » Au Canada, les entreprises qui fonctionnent uniquement à honoraires ont mis du temps à joindre les rangs, mais l’intérêt va en croissant. Larry Jacobson, pour sa part, est passé des commissions aux honoraires il y a 25 ans et ne l’a jamais regretté. «J’obtiens beaucoup de clients des conseillers qui fonctionnent à commissions parce qu’ils ne bénéficient pas du niveau de service ou de conseil dont ils ont besoin», raconte M. Jacobson, associé principal chez Macdonald, hymko & Company Ltd., une firme de conseillers rémunérés à honoraires seulement située à Vancouver. «La rétribution à honoraires enlève le moindre doute dans l’esprit du client.»

Pour aller de l’avant avec cette philosophie de travail, M. Jacobson et quelques-uns de ses collègues ont récemment fondé la Canadian Association of Personnal Financial Advisors (CAPFA) dans le but de mettre une tribune à la disposition des conseillers à honoraires. Pour devenir membre de l’association, les conseillers intéressés doivent pratiquer depuis au moins cinq ans dans une entreprise à honoraires seulement, avoir un titre professionnel, agir en tant que fiduciaire en tout temps et convenir que les honoraires doivent être payés par le client, et non provenir de la vente de produits. Vous devez également fournir une lettre de référence (provenant d’ailleurs que de votre compagnie) attestant que vous oeuvrez en tant que conseiller à honoraires exclusivement depuis au moins cinq ans.

Au grand dam de Gary Schatsky, on confond souvent les conseillers rémunérés uniquement à honoraires avec les conseillers qui touchent «entre autres» des honoraires (voir «Effectuer le grand saut», page 20). Selon lui, les grandes firmes de courtage américaines qui commencent à offrir des services à honoraires font ombrage aux entreprises qui fonctionnent uniquement sur une base d’honoraires. «Plus souvent qu’autrement, les consommateurs se retrouveront à payer des commissions dans le lot, dit-il. Ces firmes ne changent pas vraiment le produit. Ce qu’elles font, c’est le mettre en marché d’une façon différente en utilisant le mot honoraires.»

En comparaison, M. Schatsky considère que les conseillers à honoraires seulement – lesquels ne endent aucun produit financier – sont véritablement ceux qui haussent les standards de la consultation. Comme il le fait remarquer, «si tout ce que vous vendez, ce sont des conseils, le calibre de ces conseils doit constamment être à la hausse, parce que vous n’êtes pas centrés sur le dernier produit ni sur les commissions à l’achat ou de suivi.»

Rick Claydon, CFP, RFP, CA, est directeur général du Business Development Group chez Loring Ward Investment Counsel à Toronto.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2010 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Lisa Machado