Le fonds de la discorde

Par Yves Bonneau | 1 Décembre 2015 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Comme on s’y attendait, la plupart des grandes institutions financières qui ont traité du Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) dans leur mémoire sur la révision de la LDPSF se sont entendues sur deux points : ne pas toucher au Fonds et ne pas l’élargir.

Le FISF a été créé en octobre 1999 par la Loi sur la distribution de produits et services financiers. La Chambre de la sécurité financière et la Chambre de l’assurance de dommages en avaient la garde. Avec l’arrivée de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le 1er février 2004, le FISF y a migré, à la demande de l’AMF.

Depuis plus de dix ans, la position des conseillers sur le Fonds dans sa forme actuelle est claire. Primo, la gestion du FISF devrait revenir aux conseillers car c’est eux qui le capitalisent et, deuxio, l’AMF ne devrait pas occuper l’espace de l’indemnisation, encore moins administrer un tel fonds.

Personne n’oserait imaginer que la Sûreté du Québec gère le fonds d’indemnisation des victimes d’actes criminels. Ce serait insensé. D’une main, on enquête, on trouve les suspects et on dépose des accusations sur le bureau du procureur de la Couronne; de l’autre, la SQ serait responsable de gérer les demandes d’indemnisation et d’envoyer un chèque aux victimes ? Le potentiel de conflit d’intérêts serait manifeste : faire condamner (par tous les moyens ?) pourrait devenir l’objectif ultime pour pouvoir remettre des chèques aux victimes et en tirer bonne presse…

Pourtant, c’est ce qui arrive avec le FISF actuellement. Le problème, ce n’est pas qu’il soit mal géré par le conseil d’administration qui s’en charge, c’est plutôt qu’il puisse servir de faire-valoir à l’image du gendarme financier. Prenons l’infâme scandale Norbourg, par exemple. Quelque 9 000 petits épargnants roulés, 140 millions perdus, c’est gigantesque. D’aucuns conviennent qu’il fallait à tout prix trouver un moyen de limiter les dégâts chez les épargnants.

Que faire ? Indemniser coûte que coûte ? Faire quelques entorses aux règles du Fonds pour répondre à la pression du gouvernement qui demande des comptes à sa police ? Si le FISF avait été géré par un organisme indépendant, avec une représentation équitable de conseillers au CA, jamais on aurait dédommagé les victimes de Norbourg de cette manière. Parce que le Fonds est conçu pour indemniser en cas de fraudes de distributions, pas pour celles commises par les gestionnaires. Dès lors, on se serait tourné beaucoup plus rapidement vers les erreurs de la Caisse et les errements de l’AMF pour entreprendre un recours collectif, et le gouvernement aurait finalement payé pour les pots cassés par ses serviteurs aux compétences approximatives…

On connaît la suite. En lieu et place, les conseillers ont renfloué la part du lion des indemnisations des victimes de Vincent Lacroix, sans être responsables, sans être consultés, sans même faire partie du conseil d’administration du Fonds. Pour ajouter l’injure à l’insulte, les épargnants floués n’ont jamais su que les conseillers étaient aussi des victimes et n’avaient absolument aucune responsabilité dans ce fiasco financier. Victimes sur plusieurs plans et à des degrés divers : ils ont perdu crédibilité, clients, gagne-pain et aussi les sommes accumulées au fonds d’indemnisation. En plus, pendant 7 ans, leurs cotisations ont augmenté jusqu’à 600 %. En 2005, la cotisation au FISF était de 33 $; en 2007, elle atteignait 260 $.

Aucun épargnant n’a été informé du fait que ce sont les conseillers qui ont contribué à les dédommager, très peu d’entre eux, encore aujourd’hui, savent que le fonds qui les indemnise est capitalisé grâce à l’effort collectif des conseillers. Par contre, l’Autorité démontre au public-consommateur-investisseur-mal-informé qu’elle s’occupe de le protéger tout en faisant porter l’odieux sur les conseillers, qui deviennent responsables par défaut puisque ce sont eux qui paient; elle montre à son patron, le ministère des Finances, qu’elle prend ses responsabilités tout en se fabriquant une image de justicier-bienfaiteur indispensable; et elle s’assure d’avoir les fonds nécessaires pour saupoudrer sa bienveillante protection sur le public floué lorsque le prochain scandale arrivera. Une aubaine sur le dos des conseillers !

Dans le cadre de la révision de la LDPSF, le Fonds est un élément majeur pour les conseillers; il est financé en leur nom. La question demeure entière à la lumière des 15 dernières années d’opération du Fonds : le statu quo prévaudra-t-il ? Si oui, il faut que la gestion en revienne aux conseillers. Sinon, le FISF devrait plutôt être financé par les épargnants par un prélèvement minime sur chaque transaction.

La fraude est un risque, il faut le savoir et en tenir compte comme n’importe quel autre risque, et ce n’est pas parce que l’AMF double ses effectifs que la fraude disparaîtra pour autant. Pour une maison de 250 000 $, il en coûte environ 1 000 $ d’assurance, soit 0,4 % par année. Pour une voiture de 25 000 $, environ 800 $, soit 3,2 % annuellement. Pour 500 000 $ d’épargne en fonds communs, il en coûterait 150 $, soit 0,03 %, selon la Coalition pour la protection des investisseurs. Le Fonds devrait être une assurance sur les placements des épargnants.

Il ne faut pas se surprendre non plus si les dirigeants des grands groupes financiers disent dans leurs mémoires ne pas vouloir d’un fonds d’indemnisation élargi. Leur raison officielle : risque de déresponsabilisation des épargnants. Permettez-nous de douter un peu de cette crainte qui vient d’entreprises qui vendent de l’assurance et du crédit. Si les clients étaient si irresponsables, croyez-vous vraiment qu’ils leur prêteraient collectivement des milliards et assureraient leurs biens pour autant de milliards ? D’ailleurs, je ne connais personne qui néglige ses biens sous prétexte qu’il est assuré. De même, un épargnant ne va pas jouer quitte ou double parce qu’il sait qu’un fonds d’indemnisation assure son patrimoine contre la fraude.


Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

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