Le fuyant principe d’agir dans l’intérêt du client

Par Yves Bonneau | 7 janvier 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Au dernier colloque de l’IFIC, qui présente chaque fois des conférenciers d’intérêt et des sujets pertinents, Me Élise Renaud, de l’étude Fasken Martineau, soulignait avec justesse que la Loi sur les valeurs mobilières ne comportait aucune norme de diligence explicite obligeant le praticien à agir dans le meilleur intérêt du client. Pour le moins étonnant!

À la suite d’une étude qui demandait aux clients des conseillers en services financiers si ceux-ci avaient l’obligation d’agir dans le meilleur intérêt du client, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont décidé de se pencher sur la possibilité d’intégrer cette exigence aux lois sur les valeurs mobilières.

On a été très surpris d’apprendre qu’elle ne figurait pas à la Loi sur les valeurs mobilières (LVM), d’où cette initiative des ACVM et la consultation de l’Autorité des marchés financiers qui est en cours. En octobre dernier, l’AMF a de fait publié un document de consultation qui s’intitule : « Norme de conduite des conseillers et des courtiers – Opportunité d’introduire dans l’activité un devoir légal d’agir au mieux des intérêts du client de détail ». L’AMF invite d’ailleurs tous ceux intéressés par la question à faire parvenir leurs commentaires avant le 22 février 2013.

On pourrait s’étonner que le devoir fiduciaire entre un conseiller et son client n’ait jamais été consigné dans la loi, mais comme le faisait remarquer Me Renaud, lors d’une entrevue avec mon collègue Fabrice Tremblay : « Le devoir de fiduciaire est vraiment un concept qui est étranger au droit civil québécois. Il faut toujours garder en tête qu’au Québec, on a un code civil. Certains articles du Code civil offrent déjà aux épargnants et aux investisseurs des protections », souligne Me Renaud. Pour l’heure, la question porte essentiellement sur le principe fiduciaire emprunté au régime de la common law, qui nous vient de la tradition du droit britannique. D’un point de vue légal, le devoir d’agir au meilleur des intérêts du client dans une relation professionnelle constitue la norme la plus stricte de diligence. Chez nos voisins ontariens, l’exigence de devoir fiduciaire de la part d’un conseiller envers son client peut être invoquée en cour. Il s’agit cependant de cas par cas, car cette obligation est reconnue en jurisprudence selon l’application de la common law et non en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières comme on aurait pu s’y attendre. Au final, le législateur n’a jamais cru bon d’enchâsser ce devoir de fiduciaire à la LVM.

Et c’est le cas au Québec aussi. Depuis 2004, après presque 10 ans d’activité, l’AMF prend conscience de cette importante lacune à la LVM. Pourtant, ce ne sont pas les consultations et les représentations sur des questions interpellant le meilleur intérêt du client qui ont manqué depuis.

En 2004, l’AMF lançait une vaste enquête sur les pratiques commerciales dans le domaine de l’assurance, pratiques qui peuvent entraver ou même saper le meilleur intérêt du client. En réponse aux inquiétudes et aux requêtes du RICIFQ, Jean St-Gelais avait répondu que ce n’était pas le rôle de l’Autorité de valider la légalité des pratiques commerciales en vigueur et que le sondage de 2004 ne méritait pas d’être publié « parce que les données n’étaient pas probantes ou suffisantes pour tirer des conclusions valables ».

Comme la mission de l’AMF est de protéger les épargnants, on comprend mal pourquoi on attend toujours que le législateur agisse avant de changer des pratiques équivoques. Pour que le législateur prenne position, il faut que « quelqu’un » l’informe des lacunes qui existent, non? Qui de mieux placé que l’AMF pour faire ce travail? On s’étonne que l’Autorité n’ait jamais pensé à mettre sur pied une équipe proactive qui prenne acte des dérives de l’industrie et s’empresse d’apporter des pistes de solutions au gouvernement, lequel pourrait par la suite voir à des correctifs par l’entremise du législateur ou autrement.

Pour ce qui est d’amender la LVM, on s’entend pour dire qu’une telle modification provoquera des changements profonds dans la pratique des conseillers au Québec, mais aussi partout dans le ROC. On devra revoir la gamme de produits offerts par les conseillers pour éviter qu’ils ne soient contraints à ne vendre qu’une marque, et ils devront aussi obligatoirement communiquer leur mode de rémunération (incluant les primes, cadeaux et autres) à leurs clients, ce qui pourrait constituer la première étape vers un nouveau mode de rémunération des conseillers, comme ce qui a cours en Australie et au Royaume-Uni où, depuis juillet 2012 et janvier 2013 respectivement, la rémunération à la commission est interdite.

Sinon, il faudrait revenir à ce qui se faisait avant l’arrivée du Bureau des services financiers il y a une quinzaine d’années. Il faudrait simplement une nouvelle disposition à la LVM, obligeant les conseillers à porter le titre d’agent, s’ils sont dans un réseau exclusif, ou le titre de courtier, s’ils sont indépendants. Le consommateur devrait pouvoir connaître d’emblée avec quel type de conseiller il fait affaire. Cela n’enlève rien à la qualité des conseils prodigués, mais cela a le mérite de clarifier la situation de chacun tout en démontrant aux consommateurs que cette industrie est transparente. Nous savons que ce n’est pas toujours le cas et cela nuit grandement à l’image de toute l’industrie. Bonne année 2013!

24 h pour les enfants! Enfin, je tiens à remercier sincèrement tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont soutenu dans mon défi de skier pendant 24 heures au mont Tremblant pour amasser des fonds pour les enfants atteints du cancer ou défavorisés. Grâce à vous, j’ai récolté plus de 12 000 $ et terminé 5e dans la collecte de dons sur 1800 participants à l’événement. Pour ma part, j’ai descendu 81 fois la piste de 3,5 km, pour 283,5 km. Merci douze mille fois!

Yves Bonneau, rédacteur en chef

Yves Bonneau