Le nœud gordien de la rémunération

Par Yves Bonneau | 29 janvier 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Si vous suivez les activités de l’Autorité des marchés financiers, vous savez sans doute qu’il y a actuellement consultation sur la rémunération des conseillers en épargne collective. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont initié la réflexion en décembre dernier.

Dans la mythologie grecque, le nœud gordien est un nœud inextricable. Il nouait l’attelage du char du roi phrygien Gordias. Pour prendre le char, Alexandre le Grand tenta en vain de le dénouer. Il finit par le trancher d’un coup d’épée.

La question de la rémunération des conseillers est infiniment complexe au pays. Est-ce que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) utiliseront la « solution d’Alexandre » pour la résoudre? Nous le saurons au lendemain de la consultation qui se termine le 12 avril prochain. Entretemps, le débat est lancé et il fera certainement grincer des dents l’industrie des fonds communs de placement (FCP) et le réseau de distribution. Nommément les conseillers.

Le document présenté par les ACVM pour discussion donne un aperçu des frais actuels des organismes de placement collectif (OPC), survole certaines questions de protection des investisseurs et d’équité que les frais actuels soulèvent selon les ACVM, résume les réformes réglementaires internationales et propose des choix réglementaires qui pourraient être adoptés au Canada, de façon autonome ou en les combinant.

Selon Investor Economics, à la fin de 2011, les OPC géraient 762 milliards de dollars d’actifs, soit près des trois quarts (74 %) des actifs gérés par le secteur des fonds d’investissement au pays. C’est dire que les titres d’OPC constituent le produit de placement le plus utilisé : 62 % des épargnants canadiens en détiennent dans leur portefeuille. Ils représentent aussi, à 36 %, la plus grande part des actifs investis de la famille canadienne moyenne.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller.

L’acquisition de parts de FCP se fait la plupart du temps par l’intermédiaire d’un conseiller, soit dans 91 % des cas. Selon les ACVM, qui ont consulté plusieurs études comparatives sur les frais de gestion des FCP à travers le monde, les frais des OPC canadiens seraient parmi les plus élevés.

Les ACVM ont bien pris soin de noter que, depuis quelques années, certains pays ont entrepris et mis en place des réformes réglementaires qui ont complètement changé la manière dont les investisseurs individuels font l’acquisition de parts de FCP et autres produits financiers, de même que la façon dont ils obtiennent des conseils en la matière. On cite à cet égard l’interdiction, au Royaume-Uni et en Australie, de verser aux conseillers des commissions qui sont fixées par les manufacturiers ou simplement intégrées aux produits financiers. De même, on fait état de la nouvelle législation australienne qui impose aux conseillers financiers un devoir légal d’agir au mieux des intérêts du client. Une exigence qui n’existe dans aucune juridiction provinciale au Canada, comme on l’a vu le mois dernier. À ce sujet d’ailleurs, les ACVM tiennent aussi la consultation 33-403 sur cette épineuse question, qui se termine le 22 février prochain!

Toute cette réflexion des ACVM n’est pas sans bousculer les 103 sociétés de placement collectif inscrites au Canada. On y souligne d’ailleurs qu’à la fin de 2011 le ratio des frais de gestion moyen pondéré en fonction de l’actif de tous les OPC canadiens était de 1,93 %. Les promoteurs ont ainsi récolté 13,4 milliards de dollars au cours des cinq dernières années, pour une moyenne annuelle de 12,2 milliards de dollars. Sur ces frais perçus, les manufacturiers auraient versé environ 4,6 milliards de dollars en commissions de suivi aux conseillers et à leurs sociétés, ce qui représenterait 34 % du total des revenus estimés à partir des frais de gestion.

Les commissions de suivi ont pris de plus en plus d’importance comme source de revenus pour les conseillers. Ainsi, en 1996, elles représentaient plus de 25 % du volume d’affaires des conseillers. En 2011, c’était 64 %.

Une étude de l’IFIC sur la divulgation volontaire de la rémunération et des commissions souligne qu’un investisseur en FCP sur deux au pays se rappelle avoir discuté avec son conseiller de la rémunération de celui-ci. Seulement quatre répondants sur dix disent comprendre les commissions reportées. De plus, un tiers des répondants affirment ne jamais avoir entendu parler de commissions de suivi.

En regardant ce tableau dressé par les ACVM, de même que les préoccupantes données recueillies par l’IFIC, on comprend que les responsables des autorités réglementaires canadiennes ont un plan bien précis et qu’ils se sont donné les moyens, de même que les arguments, pour le réaliser.

Certes, l’industrie devrait s’autoréguler de manière plus rigoureuse, mais de nombreux conseillers consultés nous ont confié leur crainte que les réformes envisagées par les ACVM soient peut-être exagérées pour les maux présumés qu’elles veulent soulager. « Il faudrait commencer par enchâsser la règle d’agir dans le meilleur intérêt du client dans la Loi sur les valeurs mobilières… », dit l’un d’eux. Un autre préconise une réforme des titres de conseillers mais, dit un troisième, « ne touchons pas prématurément aux commissions, les conseillers et les investisseurs ne sont pas prêts! N’oublions pas que les commissions ont permis de démocratiser les services- conseils et que moins de 0,5 % des conseillers se retrouvent au comité de discipline! »

D’autre part, dans le contexte canadien où la consolidation de l’industrie a laissé peu d’espace à la concurrence, l’abolition des commissions de suivi met en péril les FCP indépendants, laissant le champ libre aux grands promoteurs issus des institutions de dépôt, une crainte légitime des conseillers indépendants.

Néanmoins, la table est mise : les ACVM ont lancé leur train et semblent avoir peu consulté les gens de l’industrie au préalable. Vous devriez vous y intéresser avant le mois d’avril, car l’avenir pourrait chambouler votre pratique…

Yves Bonneau, rédacteur en chef

Yves Bonneau