Le secteur financier américain à la croisée des chemins

16 septembre 2008 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La tempête qui a frappé Wall Street lundi donnera sans doute la frousse à vos clients. À coup sûr, nombre d’entre eux seront tentés de liquider leurs fonds d’actions américaines et leurs titres du secteur financier.

Évidemment, ce serait le pire moment de faire le ménage dans leurs portefeuilles. Vendre dans un moment de panique en même temps que tout le monde est la meilleure garantie d’obtenir les prix les plus bas en ville. En réalité, il faudrait faire le contraire: profiter de la vente de feu pour accumuler des titres. «Aux États-Unis, le secteur des assurances est ébranlé. La compagnie AIG, par exemple, représente une bonne occasion pour les investisseurs qui veulent bénéficier de la faiblesse des cours», dit Bob Gorman, chef stratège à TD Waterhouse.

« Malgré la tourmente sur Wall Street, l’économie américaine dans son ensemble n’est pas en péril. C’est le secteur financier, particulièrement les firmes de courtage, qui subit le choc de la crise des subprimes. Ici, les actions des banques canadiennes s’en tirent relativement bien», note Michel Tessier, analyste à Valeurs mobilières Banque Laurentienne. S’il devait investir dans des titres bancaires nord-américains, il privilégierait les actions canadiennes, avec un bémol pour ce qui est de la Banque CIBC. «Elle a été davantage impliquée dans les hypothèques à risque et a inscrit une couple de milliards de dollars de radiations d’actifs». Autrement, l’ensemble du secteur bancaire canadien «résiste bien dans le contexte [actuel]».

Pour sa part, Philippe Le Blanc, président de la société de gestion Cote 100, à Saint-Bruno, compte sur la chute des cours pour faire des achats. Il regarde du côté des banques traditionnelles de dépôt. «Celles qui n’ont pas participé à l’euphorie immobilière vont probablement se sortir de la crise, et elles pourraient même être plus fortes», dit-il. Toutefois, son magasinage risque d’être ardu. «C’est difficile d’évaluer leurs actifs. On n’a pas accès à leurs livres des prêts.» Il demeure très prudent avec les firmes de courtage comme Lehman Brothers et Merrill Lynch, qu’il juge trop endettées.

Observateur aguerri du marché américain, le professeur retraité Denis Moffet, de l’Université Laval, estime que le secteur financier américain vient d’atteindre un point culminant. «Depuis le scandale Enron, on est passé d’une crise de confiance à une autre», dit-il. Il recommande de se tenir loin des institutions d’envergure nationale. Leurs éléments fondamentaux sont en piteux état et leurs graphiques boursiers ne montrent pas de grands signes de momentum. Il préfère des banques à vocation régionale, comme la Hudson City Bancorp et la banque BB&T, basée en Caroline du Nord. Ces deux institutions sont rentables et présentent des ratios financiers en meilleure santé que ceux de la moyenne de leur industrie.

Si vos clients sont adeptes de Stephen Jarislowsky, ils auront du répondant face à vos arguments. En effet, comment garder le cap quand le réputé gestionnaire affirme: «La situation financière aux États-Unis est actuellement pire que celle des crises de 1929 et de 1932. C’est une illusion de croire que cela va s’arrêter.» Stephen Jarislowsky dit que les consommateurs n’ont aucune épargne et sont endettés «jusqu’au cou». «Ils ont acheté toutes sortes de biens avec l’hypothèque de leur maison. Au Canada, le prix moyen des propriétés est trop élevé. Cela va finir par chuter un de ces jours. Ce n’est pas un scénario qui inspire beaucoup de confiance.»

Est-ce le temps de sortir du marché, M.Jarislowsky? «Je ne sais pas. Vous pouvez acheter aujourd’hui des titres bancaires américains à 30% ou à 40% moins cher qu’il y a quelques années. Cependant, si ces banques font faillite, vous aurez quand même payé un prix trop élevé.» On aura compris que Stephen Jarislowsky ne lorgne pas du côté du secteur financier aux États-Unis. «Nous préférons les entreprises du secteur de la consommation, comme Procter&Gamble et Philip Morris International. Même en temps de dépression, les gens ne peuvent pas se priver de produits de base.»

Luc Girard est également prudent vis-à-vis du secteur bancaire aux États-Unis. Le directeur du groupe conseil en portefeuille à Valeurs mobilières Desjardins souligne que sa firme reste encore sur les lignes de côtés. «Le Fonds monétaire international prévoit que les radiations d’actifs liées à la crise des liquidités devraient atteindre 1000 milliards de dollarsUS, souligne le spécialiste. Or, jusqu’ici, les banques et la maisons de courtage américaines n’en ont inscrit que pour 500milliards.» Selon Luc Girard, les dépréciations dureront encore six mois. Elles pourraient même se chiffrer à 2milliards de dollarsUS.

Les difficultés financières de Lehman Brothers, qui ont déclenché la vente de feu sur Wall Street, n’étonnent pas Luc Girard. «Cela fait un certain temps que cette firme est sur le respirateur artificiel. Depuis le début de l’année, Lehman a perdu 60milliards de dollarsUS en capitalisation boursière», dit-il. Comme d’autres firmes malmenées, Lehman espérait une injection de capital de la part du gouvernement Bush. Peine perdue. «Celui-ci a fait son œuvre avec Freddy Mac et Fanny Mae. On ne s’attendait pas à ce qu’il revienne à la charge», indique Luc Girard.

Pour sa part, Bob Gorman souligne que les plusieurs titres de banques américaines constituent des bons choix de placement dans le contexte actuel. Bank of America et JP Morgan, par exemple, devraient ressortir gagnantes de la crise. La première a offert 50milliards de dollarsUS pour acquérir le courtier Merrill Lynch, alors que la seconde a réussi à mettre la main sur la firme Bear Stearns à prix jugé dérisoire par les analystes.

Du côté canadien, il recommande les titres des grands assureurs: Financière Manuvie, Great West Lifeco et Sun Life.