L’économie, c’est si simple!

Par Jean-François Venne | 25 avril 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Evgeny Atamanenko / 123RF

Des œufs pourris qui font déraper la finance mondiale. Des macroéconomistes qui ne voient pas venir les crises. Des banques qui se prennent à leur jeu au point de se faire exploser elles-mêmes. L’économiste britannique Tim Harford ne craint pas d’utiliser des images fortes et drôles pour expliquer les mécanismes les plus complexes, sans tomber dans la partisanerie. Cela fait de son livre L’économie est un jeu d’enfant un ouvrage ludique, mais sans compromis. Le néophyte comme le connaisseur y trouvent leur compte. Conseiller en a discuté avec lui.

Conseiller : Quelles leçons retenez-vous de la crise financière de 2007-2008?

Tim Harford : Il n’y a rien de gratuit dans le secteur de la finance. Lorsqu’on vous promet un rendement très élevé, cela s’accompagne généralement d’un risque important. Pourtant, les investisseurs se sont vus offrir des produits, comme les titres adossés à des créances hypothécaires, qui promettaient des rendements mirobolants et peu de risque. L’hypothèse du marché efficient, très critiquée, mais comportant pourtant une bonne part d’exactitude, enseigne justement que le risque est généralement proportionnel au potentiel de rendement. Si l’on vous présente un produit ne correspondant pas à cette simple règle, il faut se méfier.

En même temps, il n’était pas si évident que ces produits de piètre qualité fragilisaient le système financier au point de pouvoir provoquer son effondrement. Ça, ce fut une surprise. Un véritable choc. Et c’est une leçon d’humilité pour les économistes et les analystes de la finance.

C : La crise a révélé l’échec de la doctrine Greenspan, qui affirmait que le meilleur moyen de contrôle du système financier n’était pas la réglementation, mais l’intérêt naturel des banques à se protéger elles-mêmes. Pourquoi n’a-t-elle pas fonctionné?

TH : Probablement à cause du fonctionnement de l’industrie. Prenez le nucléaire. Lorsqu’il y a un incident, cela met en péril toute l’industrie. On l’a bien vu après Fukushima. Même les Allemands, à 9 000 km de là, se sont désengagés du nucléaire! Ainsi, les entreprises se surveillent entre elles et exigent des vérifications et des réglementations. Dans le secteur financier, c’est différent. Si une banque va mal, il y a de fortes chances que d’autres en profitent. Et chacune se croit capable de faire mieux que les autres.

Tim Harford.

Tim Harford.

C : Les gouvernements occidentaux se méfient comme la peste de l’inflation, mais vous y semblez un peu plus favorable. Pourquoi?

TH : Je crois qu’il serait plus prudent de cibler 3 ou 4 %. À 2 %, comme au Canada et en Grande-Bretagne, on est trop proche du risque de déflation. Une crise peut mener à une déflation, mais les stratégies des banques centrales aussi. Si la cible avait été plus élevée avant la crise financière, les banques centrales et les gouvernements auraient eu plus d’espace pour manœuvrer.

Je crois que c’est un problème politique. Les politiciens n’aiment pas l’inflation parce que les citoyens la perçoivent comme une érosion de leur pouvoir d’achat. Quel parti voudrait promettre aux électeurs que tout coûtera plus cher? Dans les faits, les intérêts, les pensions et les salaires suivraient en bonne partie. Mais les gens voient moins ce côté. D’autant plus que la crise financière a créé une situation inhabituelle dans certains pays où l’inflation est positive, mais les taux d’intérêt sont maintenus à près de 0 %.

C : Des passages forts intéressants de votre ouvrage portent sur le rôle des macroéconomistes. Quel est-il?

TH : Ce n’est certainement pas d’essayer de prédire l’avenir! John Meynard Keynes disait : « Ne serait-ce pas merveilleux si les économistes étaient aussi humbles que les dentistes! ». Vous ne demandez pas à votre dentiste de prévoir l’état de vos dents dans 20 ans. Vous lui demandez de vous conseiller pour bien les entretenir et de vous aider lorsqu’un problème survient. C’est un peu la même chose avec un macroéconomiste.

Personnellement, je suis microéconomiste. Je regarde ce que les macroéconomistes tentent de faire et c’est extrêmement complexe. Il y a sept milliards de personnes sur Terre, de cultures différentes, dans près de 200 pays aux règles divergentes. Il est terriblement ardu de recueillir des données fiables pour construire des modèles. C’est la raison pour laquelle ils se trompent régulièrement. C’est aussi pour cela qu’ils tendent à s’enfermer dans la théorie et c’est peut-être la petite critique que je leur ferais. Ils doivent communiquer davantage avec des experts d’autres domaines, que ce soit la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, etc. Cela se fait beaucoup en microéconomie. Cela élargirait leur perspective et les aiderait à raffiner leurs modèles. Et qui sait, cela améliorerait peut-être leurs prédictions!

L’économie est un jeu d’enfant, Tim Harford, Presses universitaires de France, 2016, 592 pages.

Jean-François Venne