Les vertus de la patience

Par Simeon Goldstein | 16 juin 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La conjoncture économique s’avère rarement d’un calme plat et le contexte géopolitique actuel semble être semé d’embûches. Les régimes de retraite sont toutefois plutôt bien outillés pour traverser la tempête.

En se fiant uniquement à des surprises de nature géopolitique survenues en 2016, dont bien évidemment l’arrivée de ­Donald ­Trump à la ­Maison-Blanche, certains seront tentés de croire que l’année a été catastrophique. Mais sur le plan de la situation financière des caisses de retraite canadiennes, force est de constater que cela n’a pas été tellement le cas.

Le ratio de solvabilité de la plupart des régimes de retraite à prestations déterminées (PD) au pays s’est amélioré de 2 à 5 % au cours de l’année dernière, grâce notamment à la hausse des taux d’intérêt et de meilleurs rendements sur les marchés boursiers. « ­La valeur des passifs a baissé et celle des actifs a augmenté », commente ­Charles ­Lefebvre, chef des placements à ­Optimum ­Gestion de placements, qui s’attend à une certaine « continuité » en 2017.

« ­Après une année décevante sur le plan de la croissance économique ­nord-américaine, et des économies d’­outre-mer qui se maintiennent grâce aux programmes d’assouplissement monétaire, on prévoit une amélioration de la conjoncture économique, aussi petite ­soit-elle, alimentée par le vent d’optimisme qui plane sur les marchés américains depuis l’élection de Donald Trump », dit-il.

Matthew ­Williams, chef, ­Gestion institutionnelle et ­Service à la clientèle pour le ­Canada à ­Placements ­Franklin ­Templeton, observe chez les régimes ­PD une certaine réduction de la répartition en obligations gouvernementales à la faveur des titres de créance de société. « ­Les obligations souveraines des pays développés offrent peu de valeur et, nonobstant les variables fondamentales des sociétés qui sont sous pression, on pense qu’il y a une certaine demande pour leurs titres de créance. » ­Les placements non traditionnels maintiennent leur place privilégiée dans les stratégies de gestion de la volatilité.

« ­Une vague d’investissements dans des actifs non traditionnels ou réels s’en vient, ajoute M. Williams. Si l’on pense au loyer perçu d’un actif immobilier, s’­agit-il d’une meilleure solution que d’investir dans les obligations souveraines? L’inflation s’installe aussi dans certains marchés et les actifs réels peuvent jouer un rôle de couverture (hedge). »

ÉVITER LES EXTRÊMES Selon un récent sondage de ­Natixis ­Global ­Asset ­Management, les investisseurs institutionnels partout dans le monde se tournent vers des actifs plus risqués à la recherche de meilleurs rendements dans un contexte volatil. La moitié des investisseurs prévoient toutefois réviser à la baisse leurs attentes de rendements pour les 12 prochains mois.

De son côté, ­Charles ­Lefebvre observe que les caisses de retraite dont la stratégie de placement s’oriente autour de la gestion active doivent être en mesure de réagir aux variations importantes. Ainsi, on ne voudra pas être dans une situation qui empêche l’achat ou la vente d’un actif parce qu’on se retrouve au maximum ou au minimum de la latitude permise. « ­Des fois, on court après le rendement, d’autres fois, on met l’accent sur la gestion des risques, ­dit-il. Il n’est pas facile d’avoir le pied sur le frein et sur l’accélérateur en même temps. »

Dans le cadre d’une gestion quantitative des placements, il n’y aura pas lieu de faire des changements majeurs à court terme, car la solution s’articule implicitement autour d’une « moyenne au bâton » élevé du couple risque/rendement, affirme M. Lefebvre. « ­Il faut respecter ses convictions à long terme », ­tranche-t-il, ajoutant qu’il favorise une stratégie qui « combine les deux orientations ».

ACTIONS ET RÉACTIONS La question se pose : les caisses de retraite ­sont-elles trop réactives aux changements? ­Les deux experts consultés s’entendent pour dire que ce serait plutôt des cas exceptionnels. « ­Dans la vaste majorité des cas, les régimes de retraite consacrent leur attention au long terme », constate ­Matthew ­Williams.

Certains promoteurs auront ­peut-être vendu des obligations avant une montée des taux d’intérêt, par exemple, ce qui veut quasiment dire qu’ils auront perdu deux fois. D’autres pourraient se dire incapables de supporter la volatilité dans une catégorie d’actif précise et se départir de leurs tires. « ­Même des investisseurs institutionnels, dont la plupart sont très patients, peuvent prendre des décisions prématurées, mais ce serait l’exception à la règle », ­dit-il.

Charles ­Lefebvre souligne que les comités se réunissent rarement deux jours avant ou après un grand événement géopolitique. « ­Basé sur l’historique des 30 dernières années, les régimes ont ­peut-être erré à l’occasion sur leur vision à long terme, ­affirme-t-il. Ainsi, plusieurs auraient privilégié un meilleur appariement de leurs engagements actuariels lorsque les taux dépassaient 10 % et certains auraient évité les congés de cotisations avant la grande crise de 2008. »

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TOILE DE FONDS CONJONCTURELLE Charles ­Lefevbre acquiesce : la stratégie à long terme devrait être « prioritairement le point de départ » pour les placements de caisses de retraite. « ­Les déviations par rapport à cette cible seraient permises, mais uniquement aux endroits où l’investisseur a déjà démontré son talent. Cela pourrait limiter les options de placement, mais ce ne sont pas toutes les caisses qui disposent de tous les talents dans tous les domaines », ­affirme-t-il.

Une telle approche reflète l’idée qu’il est difficile de « faire dévier le cours de l’histoire de sa trajectoire à long terme », indépendamment de l’ambition des hommes et femmes politiques. « ­Sans ignorer leur portée, il faut toutefois se rappeler de la toile de fonds qui régnait avant les différents événements, explique Charles Lefebvre. Quand on part de très bas, cela ne prend pas ­grand-chose pour créer un élan, mais le contexte à long terme prédomine. »

En attendant le prochain choc qui fera mentir les sondages, il semble donc que les stratégies de diversification du portefeuille, et l’inclusion de catégories d’actif non traditionnelles, restent pertinentes. Qui plus est, le sondage susmentionné observe que plus des deux tiers des organisations estiment qu’il faut privilégier des approches de placements novatrices ­au-delà de la diversification et de la construction du portefeuille.

L’important sera alors de bien identifier ses objectifs. De conclure ­Matthew ­Williams : « ­Il n’y a pas de solution parfaite à la volatilité, donc les promoteurs doivent bien considérer ce qu’ils veulent régler. »

Simeon Goldstein