L’examen annuel : un mal nécessaire

Par Gérard Bérubé | 3 mai 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Une fois passée la frénésie REER et des déclarations d’impôt, l’occasion peut se présenter pour le conseiller et le cabinet de revoir leur système de gestion de la clientèle. Il peut alors être approprié de revenir à cet arbitrage ou à ce juste dosage dans le développement des affaires entre la sollicitation de nouveaux clients et le suivi périodique de ses clients existants. Cet exercice force à regarder au-delà du transactionnel pour poser un diagnostic sur la relation client. Il appert que, trop souvent, cet « examen annuel » fait ressortir certaines déficiences en matière de suivi de la clientèle, de relève et de continuité des affaires.

Réjean Talbot lance la réflexion. Ce professionnel, qui cumule près de 40 ans dans l’industrie des services financiers, ne saurait trop insister sur l’importance d’établir une continuité dans la relation client. « Le REER, c’est 12 mois par année. Si cela ne dure que deux mois, si cela n’est l’affaire que d’une transaction, cela peut signifier que le conseiller s’organise mal », illustre le fondateur du cabinet Talbot, Olivier, Côté & Associés. Le spécialiste en gestion de patrimoine, qui œuvre dans l’industrie depuis 1973, estime que, d’ordinaire, le client va s’attendre à ce que la relation se poursuive une fois la transaction effectuée. Or, il n’est malheureusement pas rare d’observer une relation client-conseiller se limiter à l’achat du REER effectué le 28 ou le 29 février. « Surtout, pour le conseiller disposant d’un large éventail de permis, ce premier contact devrait être accompagné de suivis, ne serait-ce qu’en fonction des temps forts de l’année », insiste le planificateur financier. La période des déclarations de revenus, l’analyse des besoins en assurance, la planification financière, l’épargne-retraite, une hypothèque arrivant à échéance… « Cela nécessite d’avoir un système de suivi de la clientèle. Sans cela, tu n’y penses pas, et tu consacres finalement l’essentiel de ton temps à éteindre les feux. Or, peu de conseillers se dotent d’un tel système. »

Réjean Talbot utilise Kronos, qui permet d’être présent l’année durant et de générer des tâches provoquant des occasions de rencontre. « Quand j’ouvre mon agenda le matin, les tâches y sont inscrites. Ce peut être une hypothèque sur le point d’arriver à échéance après deux ans, par exemple. C’est souvent moi qui vais l’apprendre au client », illustre-t-il.

M. Talbot a été directeur général au Mouvement Desjardins pendant 17 ans avant de mettre sur pied son cabinet indépendant. Il s’est associé à Dundee, pour ensuite revenir dans l’univers de Desjardins en s’en remettant à SFL Placements en 2009, après la transaction ayant fait passer Patrimoine Dundee au sein de l’Industrielle Alliance, par l’intermédiaire d’Investia Services financiers.

Réjean Talbot, fondateur du cabinet Talbot, Olivier, Côté & Associés.

Il retient de sa vaste expérience que, pour le support technique et le service de post-marché (back office), les grands réseaux ont leur utilité, quoiqu’il puisse arriver que la convivialité et la simplicité fassent défaut. Il pense notamment aux relevés de placement en valeurs mobilières émis, qui manquent trop sou- vent de clarté ou qui contiennent trop d’information, conformité oblige. Ces grands réseaux « écoutent trop leurs informaticiens, moins le client », résume- t-il. Les grands réseaux ne sont cependant pas les mieux outillés en système de gestion de la relation client. « SFL a mis en place un système de gestion de la clientèle en 2011. Moi, je travaille avec Kronos depuis 2000 », souligne-t-il. Réjean Talbot revient toutefois sur l’importance d’exercer un contrôle sur sa base de clientèle. Or, très fréquemment, dans le type de transaction comme celle ayant mené Dundee chez Investia, la base de données suit. « Les systèmes sont centralisés pour mieux contrôler l’information », note- t-il. En se munissant de son propre système de gestion de la clientèle, « la base de données m’appartient. Je détiens l’information sur mes clients. »

La relève et la continuité Celui qui cumule les titres de planificateur financier et d’assureur-vie certifié parle également de soutien à la relève, encore déficient dans l’industrie. « On se plaint d’un manque de relève dans l’industrie. Mais, laissée à elle-même, cette relève ne reste tout simplement pas. » Réjean Talbot revient sur le besoin d’un programme structuré de formation et d’intéressement au domaine que pourraient étoffer les grands réseaux. « Plusieurs n’ont pas de politique de formation de la relève », dit-il. Il affirme cependant que SFL a su s’équiper d’un bon système de soutien et de suivi. « C’est une bonne école. Mais il revient ensuite aux conseillers et aux cabinets de bien coacher cette relève, ces nouveaux ou futurs associés. »

Donc, parmi les éléments à améliorer ou à mieux préciser, la liste comprend ces relevés de placement remis aux clients, qui manquent trop souvent de limpidité. S’ajoutent le soutien et le suivi offerts à la relève, dont le taux de rétention risque d’être faible en l’absence d’un coaching adéquat par les professionnels actifs dans l’industrie.

Pierre Dastous, président de Services financiers Pierre Dastous.

Le planificateur financier Pierre Dastous veut élargir la réflexion en s’interrogeant notamment sur la mise en œuvre du plan de continuité des activités, une nouveauté qui apparaît sur la liste des sujets matière à inspection. Le président de Services financiers Pierre Dastous estime que la quasi-totalité des représentants autonomes n’a pas un tel plan de continuité des affaires (NDLR : le plan de continuité sera obligatoire à partir d’avril 2012). « S’il y a décès ou invalidité, il n’y a pas de problématique de continuité lorsque le représentant fait carrière au sein d’une institution financière. Pour le cabinet, au demeurant, une personne morale va survivre. Ou encore, dans le domaine de l’assurance de personnes, la relation sera déterminée par le contrat que le représentant a conclu avec l’assureur. Par rapport au consommateur, la continuité relève du lien avec l’assureur, le représentant ne jouant qu’un rôle d’intermédiaire. » Mais, pour le représentant autonome, la problématique d’un tel plan demeure entière. Pierre Dastous revient également à ce problème de relève dans l’industrie, mais sous l’angle de la succession ou du transfert ordonné des activités. Nombre de représentants n’ont pas planifié cette étape de leur vie professionnelle. « Il y a ces représentants qui vieillissent, et le manque de relève chez les jeunes. Au-delà de cette réalité, en l’absence de plan de relève, la transmission n’est pas toujours facile. Cela peut s’observer davantage en assurance de personnes, où les balises sont peut-être moins claires. »

Réjean Talbot acquiesce. Les plans de succession sont peu présents dans les cabinets. Face à l’éventualité d’un décès ou d’une invalidité de longue durée, il y a donc risque que la clientèle soit rachetée à un prix correspondant à une fraction de la valeur du registre ou du book. « Les ententes entre le cabinet et les réseaux vont souvent prévoir la reprise de la clientèle à tant du 1000 $. Il est préférable que les associés au sein du cabinet s’entendent plutôt entre eux et prévoient un tel mécanisme de transmission. D’abord pour la continuité, le client étant également habitué au cabinet au-delà de sa relation avec son conseiller. Ensuite pour assurer à la succession une meilleure valeur de la clientèle en cas de décès du conseiller. »

Nicole Archambault, présidente de Formation Nicole Archambault.

Pour Nicole Archambault, spécialiste en formation et en processus de restructuration, l’expérience a démontré que du travail reste effectivement à faire sur l’élaboration d’un plan de relève autour du développement des affaires. Que là où il y a relève – souvent familiale – elle n’est pas toujours bien préparée, ce qui risque de générer une transmission de la gestion déficiente.

Miser sur les clients existants Dans cet exercice d’« examen annuel » du cabinet, Nicole Archambault a observé pour sa part plusieurs récurrences au cours de ses années de pratique. La présidente de Formation Nicole Archambault pointe notamment en direction de l’optimisation des systèmes d’exploitation, dont la déficience peut entraîner son lot de dédoublement et de perte d’efficacité. En s’attaquant à la problématique de la « non-efficacité », on trouvera des solutions visant à mieux rentabiliser la performance de chaque courtier en rapport avec la conservation et le développement de nouvelles affaires. Dans le domaine de l’assurance, l’envoi « direct » par l’assureur, ainsi qu’un pourcentage élevé de « police deux ans », deviendront des facteurs déterminants dans l’atteinte de la performance, donne-t-elle en exemple.

Dans la foulée, la spécialiste constate les contraintes pouvant découler d’un modèle d’affaires empruntant à l’approche par centre d’appels, où l’appel est dirigé au hasard, et celle par module, priorisant le même point d’entrée ou de contact. « Cette distinction peut être plus importante encore dans les milieux ruraux, où les gens se reconnaissent davantage. L’approche par centre d’appels est plus impersonnelle. Celle par module favorise la proximité et la fidélisation. » De plus, elle permet au cabinet de se distinguer du « direct » et de mieux évaluer le travail réalisé. Dans l’exercice de sollicitation, elle relève les limites d’une démarche mettant trop l’accent sur le nouveau client, au détriment parfois du client perdu ou, en assurances, sur la proposition de polices complémentaires.

« Lorsque vient le temps de revoir les plans d’affaires, on va alors s’arrêter sur cet équilibre entre le développement des affaires et la conservation, avec des objectifs par courtier, par employé. À trop vouloir bonifier ou “surcommissionner” la nouvelle affaire, la rétention et le renouvellement de la clientèle peuvent s’en trouver démotivés. » Ces précisions étant, Nicole Archambault observe que, règle générale, l’importance est autant mise sur la partie développement des affaires que sur la partie administration. À cet égard, « les courtiers et cabinets reconnaissent l’influence de ces deux aspects de leur relation auprès de la clientèle. Et ils vont préférer retenir le support technique et administratif à l’interne plutôt que les confier en sous-traitance », résume-t-elle.

Pour Réjean Talbot, dans le développement des affaires, le conseiller va plutôt avoir tendance à sous-estimer le potentiel de la base de clients qu’il a déjà pour prioriser l’accroissement du volume par le recrutement de nouveaux clients. « Oui au développement des affaires, et oui à la prospection de nouveaux clients. Mais pas au détriment des clients existants. Je dis que nos meilleurs clients sont dans nos classeurs. On ne peut minimiser l’importance d’un suivi régulier, d’une réévaluation périodique des besoins de nos clients. » Réjean Talbot donne l’image suivante : « Il peut être frustrant de remettre un chèque de 1 million venant de l’exercice d’une police d’assurance vie d’un client décédé avec qui nous n’avons pas eu de contact depuis des années, et de voir la veuve s’en remettre à un autre conseiller. »

Dit autrement, « nos classeurs peuvent renfermer beaucoup de potentiel. Il peut être préférable d’avoir 300 ou 400 clients que l’on revoit régulièrement, plutôt qu’en avoir 1000 ou 1200. »

Cet article est tiré de l’édition de mars du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Gérard Bérubé