Liquidateur : un rôle crucial et délicat – deuxième partie

Par Sophie Stival | 16 mars 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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NOMMER UN PROFESSIONNEL

Avant de choisir un liquidateur étranger, on doit se demander si ceux qui héritent peuvent faire le travail. S’il y a plusieurs légataires et que ces derniers sont aptes à la tâche et qu’il existe une bonne entente entre eux, il sera plus simple de les nommer coliquidateurs, s’accordent les trois notaires.

Dans les cas plus complexes, on a toujours l’option de nommer un agent d’affaires externe ou un professionnel. Les sociétés de fiducie, comme les trusts de banques, peuvent jouer ce rôle. Par exemple, si l’unique héritier a une dépendance, qu’il demeure à l’étranger ou si les légataires sont en mauvais termes, on peut envisager cette solution.

Ce ne sont toutefois pas toutes les successions, même compliquées, qui peuvent se permettre de désigner un trust comme liquidateur. « Certaines de ces sociétés exigent des montants minimaux d’actifs sous gestion qui peuvent s’élever à plus de 500 000 $ et parfois un million », explique Mme Loranger. La rémunération sera généralement en fonction d’un pourcentage de la valeur de la succession (entre 2 % et 5 %). Au moment de signer le testament, on doit négocier cette entente qui sera ensuite jointe au document.

Une société de fiducie peut agir seule ou assumer le rôle de coliquidateur. « Dans ce dernier cas, il sera important de définir quelles seront les tâches de chacune des parties », explique Natasha Girouard. Certains liquidateurs vont simplement déléguer à un fiduciaire quelques tâches précises. « Dans un tel cas, on proposera au client un contrat de service », dit M. Lamontagne.

On peut difficilement nommer son conseiller en placement liquidateur puisque ce dernier gère déjà le portefeuille financier du testateur. Il ne peut donc assumer à la fois le rôle de conseiller et défendre les intérêts des héritiers. Plusieurs ordres professionnels ne permettent pas à leurs membres d’être liquidateur. Dans le cas des avocats et des notaires, par exemple, c’est aussi délicat, car ils ne sont pas couverts par leur assurance responsabilité professionnelle dans l’exercice de cette charge. Dans ces conditions, ils accepteront rarement cette fonction.

Ces experts préféreront généralement donner des conseils. « On s’occupera des questions plus pointues. Les gens vont, par exemple, dresser l’inventaire et ils nous consultent ensuite », précise Natasha Girouard. « Le liquidateur joue un rôle essentiellement décisionnel, explique Mme Loranger. Si l’ampleur et la complexité de la tâche le rebutent, il peut s’adjoindre les services d’un comptable, d’un avocat, d’un fiscaliste. » Généralement, il paiera chacun d’eux à la pièce, selon une grille horaire spécifique.

Natasha Girouard, notaire au Cabinet BCF.

QUI PRÉVENIR? Vaut-il mieux prévenir le liquidateur qu’on souhaite le nommer? Faut-il être transparent avec ses héritiers? « Ça dépend des familles, mais j’aurais tendance à dire oui », affirme Mme Girouard. Sa collègue renchérit : « Quand il y a beaucoup de secrets, quand on pense que nos enfants vont sauter sur leur chaise lorsqu’ils liront notre testament et connaîtront notre liquidateur, ça risque d’allonger la durée de la succession en plus de générer des litiges. »

« En informant son liquidateur qu’on souhaite le nommer, on s’assure que la personne sera d’accord ou, du moins, intéressée », explique M. Lamontagne. Cette dernière pourra évidemment renoncer le moment venu, c’est pourquoi il est également une bonne idée de penser à un substitut.

« Souvent, on demandera au testateur de s’imaginer comment ça se passerait si ses enfants devaient régler la succession et que telle ou telle décision devait être prise. Par souci de transparence, on recommandera même à notre client, quand c’est possible, de discuter de la succession avec les futurs liquidateurs et les légataires », dit Julie Loranger.

Le Cabinet BCF offre à ses clients qui le souhaitent d’organiser une rencontre avec leurs héritiers. Ceci permet d’atténuer certaines appréhensions. Parfois, le testateur constate pendant cette réunion de famille que la situation est plus simple qu’elle n’y paraît. Par exemple, le cas du legs d’un chalet familial que personne ne veut garder alors que les parents craignent une dispute…

Quand on ne sait pas qui aura droit à quoi, le partage des biens ne se fait pas toujours sans heurts. « J’ai déjà vu des chicanes de famille mémorables à propos de bijoux et de tableaux », se rappelle M. Lamontagne.

RÉMUNÉRER LE LIQUIDATEUR La première année qui suit le décès du testateur s’accompagne généralement d’une longue série de tâches administratives souvent fastidieuses. Dans certains cas, l’obligation est si pesante que le liquidateur craint de devoir laisser son travail. « On ne doit pas négliger cet aspect lorsqu’on nomme son liquidateur », remarquent les notaires.

« Il est important de dédommager financièrement le liquidateur, dit Marc-André Lamontagne. Offrir un montant forfaitaire, par exemple 5000 $, ou un taux horaire, l’encouragera à accepter ce rôle souvent difficile émotionnellement. On oublie que cette personne devra souvent trancher malgré le désaccord des frères et sœurs. »

On peut ainsi ajouter, dans le testament, une clause pour rémunérer son liquidateur. Par exemple, on écrira que le liquidateur, dans l’exécution de ses tâches, aura droit à des gages raisonnables. Dans le cas d’un professionnel, ce dernier pourra suggérer qu’on lui paie son tarif horaire. « L’idée, c’est d’éviter les abus de pouvoir et de favoriser la transparence », dit Mme Loranger.

RESPONSABILITÉS DU LIQUIDATEUR Une succession s’étend généralement sur une période variant entre 12 et 36 mois. Dès qu’un cas est plus complexe quand il y a des querelles et des poursuites, ce délai peut vite s’allonger de quelques années, parfois une décennie peut passer, disent les notaires au Cabinet BCF. Pendant ce temps, les actifs de la succession vont générer des revenus de placement, de loyer, du gain en capital qui seront imposés au fédéral et au provincial.

Le Code civil du Québec, dans le cas des règlements de succession, liste des étapes à respecter. Pour ne rien oublier, Mme Loranger suggère de consulter le dépliant très complet du gouvernement du Québec, Que faire lors d’un décès? En bref, on doit obtenir le certificat de décès, identifier le dernier testament, rassembler les biens, les transférer au nom de la succession, payer les dettes, accomplir les formalités de la loi et, ensuite seulement, distribuer les biens aux héritiers selon les dispositions du testament.

« D’un point de vue fiscal, le liquidateur doit s’assurer avant de distribuer l’argent de la succession que le défunt n’avait pas de dettes fiscales », rappelle Mme Girouard. C’est à cette étape que l’obligation de dresser l’inventaire prend toute son importance. Le liquidateur a, selon la loi, un délai maximal de six mois pour le faire. « Dresser l’inventaire signifie qu’il faut retracer où sont les biens en fouillant les papiers personnels du défunt, son courrier, sa maison, son coffre-fort », explique Marc-André Lamontagne. On cherchera par exemple les déclarations de revenus, relevés de placements et bancaires, titres de propriété, contrat de mariage, etc.

« On ne doit jamais oublier, même s’il n’y a qu’un seul héritier, que le légataire est responsable, au-delà de ce qu’il reçoit, des dettes du testateur s’il ne fait pas l’inventaire dans le délai prévu par la loi », rappelle Mme Loranger.

« Un confrère m’a raconté le cas d’une dame qui a reçu 1 million de dollars après le règlement d’une succession. Ayant eu omission de dresser l’inventaire des biens, il y a eu des poursuites pour des impayés d’une valeur de 1,5 million. Pour régler le litige, on a pigé le million dans la succession et la dame a même dû verser 500 000 $ de sa poche. Pour éviter une telle situation, cette personne aurait dû faire l’inventaire ainsi que publier un avis dans les journaux indiquant qu’un tel inventaire était en cours. Les créanciers auraient alors dû se manifester pendant cette période. Elle aurait probablement perdu son million d’héritage, mais on n’aurait pas pu piger dans son compte au-delà de ce montant », raconte la notaire.

Conseils utiles

  • Selon Julie Loranger, il n’y a pas de sites ni de registre des assurances où l’on peut retrouver les biens du testateur. Si le testateur n’a pas fait de bilan patrimonial, c’est parfois un vrai travail de détective pour le liquidateur.
  • Tous les testateurs devraient faire un bilan patrimonial. Pour plus d’information sur le bilan patrimonial, cliquez ici.
  • Pour lire le dépliant du gouvernement du Québec Que faire lors d’un décès?, cliquez ici.

INCIDENCES FISCALES Les responsabilités fiscales du liquidateur sont donc nombreuses. On devra penser, par exemple, à produire pour le défunt une déclaration de revenus afin de couvrir les mois précédant le décès (T1). Après, la succession devra faire ses impôts. Pendant cette période, il sera souvent profitable de consulter un comptable fiscaliste qui connaît les règlements de succession puisqu’il y a plusieurs délais à respecter pour bénéficier d’avantages fiscaux importants, rappelle Mme Girouard. Il peut s’agir de reports de pertes où l’on réalise des pertes l’année du décès pour ensuite amender des déclarations de revenus antérieures et recevoir des remboursements d’impôts.

La planification post-mortem est en elle-même une spécialité. Les entrepreneurs et les personnes ayant des situations plus complexes doivent se renseigner. Ceci inclut notamment les clients qui lèguent des biens immobiliers situés à l’étranger. Par exemple, un condo en Floride, un appartement à Paris ou même du temps partagé à Hawaï. « Dès qu’il y a des biens à l’étranger, il faut consulter un juriste qui connaît les règles dans les juridictions respectives », dit Mme Loranger. Ces règles varient d’un pays à l’autre et d’une province à l’autre.

Aussi longtemps que la succession est ouverte, elle a une déclaration de revenus à produire. À la fin, avant de partager les biens, on demandera aux autorités fiscales (provinciale et fédérale) des certificats de décharge et le permis de disposer. Parfois, les gens distribueront des actifs sans avoir encore obtenu ces approbations et c’est risqué, affirment les deux notaires au Cabinet BCF, car le liquidateur peut être tenu personnellement responsable des dettes fiscales de la succession. Mieux vaut s’assurer auprès des autorités fiscales que le défunt n’a plus de dettes d’impôts avant de dénouer les cordons de la succession…

En dernier lieu, le liquidateur devra, avant de verser aux légataires des montants, demander une quittance qui le protégera de recours ultérieurs. C’est ce qu’on appelle une reddition de comptes. Celle-ci a lieu à l’amiable ou, à défaut de l’approbation de tous les héritiers, judiciairement, explique M. Lamontagne.

LA RÉSIDENCE DE LA SUCCESSION Le testament de la plupart des Québécois suit une planification fiscale qui tient compte des règles de la province. « Si l’un des héritiers ou le liquidateur ne réside pas au Québec, ça peut drôlement changer les choses », rappelle Julie Loranger.

Si le liquidateur réside aux États-Unis, par exemple, la succession sera considérée comme une fiducie non résidente aux fins fiscales, ce qui peut entraîner un traitement fiscal désavantageux. « Dans un tel cas, mieux vaut prévoir dans son testament que le liquidateur consulte un fiscaliste pour mesurer l’impact fiscal de sa non-résidence avant d’accepter le mandat », conseille Mme Loranger. Il existe plusieurs formules possibles. On peut aussi exiger dans le testament que le liquidateur soit un résident du Québec, s’il souhaite accepter ce rôle. « Malgré cet inconvénient d’ordre fiscal, certains testateurs vont maintenir le choix du liquidateur en question, car c’est une personne qu’ils aiment et en qui ils ont confiance », constate Mme Loranger.

Le dicton dit qu’on ne choisit pas ses parents ni sa famille. Mais on peut certainement choisir son liquidateur testamentaire. Et, qui sait, un client bien informé en vaudra peut-être deux…

Sophie Stival