Mandataire : le bien-être de vos clients en dépend – deuxième partie

Par Sophie Stival | 4 juin 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Charge de travail Le gros du travail du mandataire se déroule généralement la première année suivant l’inaptitude. « On doit souvent liquider la maison, rapatrier tous les actifs, s’assurer d’être en contrôle de ce que la personne possédait. Ensuite, ça devient plus de la gestion pure et dure », explique Me Beausoleil. Il faut, par exemple, payer les frais du centre d’hébergement et s’assurer que la personne ne manque de rien. S’il y a un seul mandataire et que le mandant est malade, à l’hôpital, « c’est lui qu’on va joindre à deux heures du matin pour prendre une décision urgente », rappelle Me Beausoleil.

Un mandat en cas d’inaptitude peut se rédiger sur mesure, selon les volontés du mandant. On peut, par exemple, scinder en deux les tâches en choisissant deux mandataires. Un s’occupera de la personne inapte et l’autre gérera ses biens. « Si on a quelqu’un en tête en qui on a une confiance absolue pour s’occuper des décisions médicales, des soins à consentir et qui sera présente auprès de nous, on peut lui déléguer toute cette partie des responsabilités, explique Danielle Beausoleil. Rien ne nous empêche de nommer une autre personne pour gérer nos biens parce qu’on sait qu’elle ne nous volera jamais un sou et qu’elle gérera nos choses comme on le pense », ajoute-t-elle.

Le mandataire aura des pouvoirs de pleine ou de simple administration, selon les volontés du mandant. En limitant les pouvoirs, le mandataire ne pourra, par exemple, vendre les biens du mandant. Il devra assurer une gestion très prudente des actifs. Idéalement, on essaie d’accorder une pleine administration, surtout s’il s’agit d’une personne en qui on a totalement confiance, explique Me Beausoleil.

L’idée, c’est d’éviter à cette personne d’avoir les deux mains liées.

On peut imaginer plusieurs scénarios. Si un enfant vit avec un parent âgé et s’occupe déjà de lui, lorsque survient l’inaptitude, on peut spécifier dans le mandat que, dans la mesure du possible, l’enfant pourra demeurer dans le logement. Bien sûr, si les soins médicaux ou l’hébergement désiré sont onéreux, il faudra peut-être quand même vendre la résidence. Le rôle du mandataire n’est pas non plus de jouer à l’infirmier ou l’infirmière. En fonction des moyens de la personne inapte et de sa condition, on doit s’assurer que celle-ci se trouve dans le meilleur environnement possible et qu’on prend bien soin d’elle. Ça peut même aller jusqu’à payer des gens pour lui faire la lecture et lui tenir compagnie, illustre Me Beausoleil.

Le mandataire, lorsqu’il s’agit du conjoint, sera souvent un aidant naturel, constate Sylvie Charbon. Sa tâche est extrêmement difficile puisqu’il sait bien que, dans le cas de l’Alzheimer ou d’une démence quelconque, l’être cher ne s’en sortira jamais. « On ressent un sentiment d’impuissance, une perte d’espoir quant à une possible guérison », ajoute-t-elle.

Rendre des comptes Le mandataire, qu’il soit seul ou non, peut accomplir sa tâche tout en étant transparent. Pour éviter de jouer à la cachette avec le reste de la famille, mieux vaut rendre des comptes annuellement ou aux six mois, conseille Danielle Beausoleil. Par écrit, le mandataire détaillera les dépenses encourues, preuves à l’appui.

Le nombre grandissant de familles recomposées donne parfois du fil à retordre au mandataire. Comment satisfaire tout le monde, démontrer son intégrité? Les notaires peuvent les aider dans cette tâche grâce notamment au « Service Ange Gardien ». Ce service d’accompagnement des mandataires est offert par le réseau PME Inter Notaires, qui regroupe plus de 200 notaires au Québec et dont fait partie le bureau de Danielle Beausoleil.

« Ce service, qui coûte 325 $ par année, permet de s’assurer de l’intégrité de la gestion du mandataire », explique la notaire. Ce montant est habituellement prélevé à même le patrimoine du mandant. Le mandataire sait bien qu’au décès de la personne il devra rendre des comptes à la succession. Ce service permet d’être plus transparent en aidant le mandataire à rédiger une reddition de compte, par exemple. On lui dira quelles pièces justificatives et quels chiffres il doit conserver. « C’est un service qui rassure à la fois le mandant, son entourage et même le mandataire », constate Mme Beausoleil. Il est possible d’ajouter une clause à cet effet lors de la préparation du mandat.

Dans le cas de décisions plus difficiles à prendre, comme les soins de fin de vie, le mandataire peut consulter la famille, mais il demeure celui sur qui repose la dernière décision. Le mandataire ne pourra pas toujours agréer à toutes les volontés exprimées dans le mandat si la personne rendue inapte n’a pas suffisamment précisé sa pensée. On peut souhaiter vivre ses derniers jours à la maison ou être hébergé dans un centre haut de gamme, mais si les moyens financiers ou la situation médicale du mandant ne le permettent pas, le mandataire ne pourra faire que son possible.

La rédaction des nouveaux mandats est plus claire et sur mesure, constate Mme Beausoleil. L’emploi du terme juste permet au mandant d’éviter de créer des conflits inutiles. Par exemple, on écrira « si les circonstances de ma maladie le permettent, j’aimerais mourir à domicile… Si le médecin juge que c’est possible… », illustre la notaire.

Prévenir et rémunérer le mandataire Il est important de s’assurer que le mandataire choisi acceptera la tâche. « On a beau avoir le plus beau mandat sur terre, sans l’accord de cette personne, ça ne vaut rien », remarque Me Beausoleil. Il sera également nécessaire de désigner un et parfois plusieurs substituts au mandataire principal, car ce dernier ne pourra se nommer un remplaçant en cas de désistement. S’il n’y a personne pour assumer ce rôle, les tribunaux feront tomber le mandat et un régime de protection devra être ouvert, soit une tutelle ou une curatelle. Tout doit donc être planifié dans le mandat initial, rappelle la notaire. Il n’est toutefois pas conseillé de prévenir toute la parenté du choix du mandataire, ajoute Me Beausoleil. Les enfants peuvent bien sûr être avertis si la famille est tissée serrée.

Idéalement, on rémunérerait notre mandataire, affirme Me Beausoleil. Mais le mandant n’étant pas décédé, il n’est pas toujours financièrement possible de le faire. Peu de personnes ont accès à des rentes d’invalidité, par exemple. Selon le patrimoine de chacun, on pourra ajouter une clause de rétribution au mandat. Ces montants compensatoires varient en moyenne entre 2500 $ et 5000 $ par année, constate la notaire. « C’est une façon de dire un gros merci à ces personnes d’agir en notre nom », dit-elle.

Homologation du mandat Quand un mandataire vient voir le notaire, l’incapacité est généralement prouvée. L’évaluation médicale et psychosociale est faite. Danielle Beausoleil et ses collègues joueront à ce moment-là un rôle de conseiller professionnel, d’accompagnateur dans l’homologation du mandat. C’est cette procédure judiciaire qui confirmera l’incapacité de la personne, qui lui enlèvera ses droits civils et sanctionnera les pouvoirs d’agir du mandataire. Ce dernier prendra alors le relais du mandant dans toutes les sphères de sa vie.

À cette étape, les gens nommés dans le mandat recevront un avis écrit du notaire les informant qu’ils en font partie. On y mentionnera que Monsieur X est venu rencontrer le notaire et que l’on procède présentement à l’homologation du mandat de Madame Y. On joindra une copie du mandat tout en leur demandant s’ils ont des représentations à faire. « Par exemple, si certains soupçonnent des abus, ils devront les manifester », illustre Danielle Beausoleil.

Du moment où l’on devine qu’un ou une cliente, son conjoint ou son parent perd ses facultés, il est important de surveiller de plus près la situation. Quand le médecin ou la famille constate que la personne ne se souvient plus de ce qu’elle fait, qu’elle dilapide ses biens, qu’elle est dangereuse pour elle-même, il faudra homologuer le mandat pour donner l’autorité d’agir aux gens qui ont été nommés, dit Me Beausoleil. Ce processus peut durer au moins quatre mois, ajoute la notaire.

Pendant cette période critique, on peut pallier les conséquences en accordant des procurations bancaires à son mandataire, par exemple. Dans les cas où il faut prendre des décisions urgentes (soins de fin de vie), on peut joindre à ces clauses spécifiques des procurations qui permettront au mandataire d’agir avant l’homologation, si besoin est. Les médecins vont souvent demander s’il y a un mandat ou une procuration. Le rôle du conseiller financier Danielle Beausoleil remarque que dans bien des mandats qu’elle a rédigés le client a exprimé le souhait de maintenir sa relation d’affaires avec son conseiller financier actuel. Dans un tel cas, les mandataires ont donc été recommandés à ce conseiller puisque la personne devenue inapte aime son expertise, lui fait confiance et souhaite que ses placements demeurent au même endroit.

Sylvie Charbon a souvent été témoin d’histoires familiales où le conseiller faisait affaire avec les enfants des clients depuis de longues années. Dans bien des cas, le parent était devenu inapte et personne n’en avait fait de cas. Si le conseiller ne parle et ne voit jamais les parents, il est important qu’il s’assure qu’en cas d’inaptitude un mandat ait été homologué ou un régime de protection judiciaire mis en place. Bien sûr, l’enfant ou la personne qui agit au nom du client est souvent tout à fait honnête. Mais on ne peut, ni on ne doit le présumer, explique la travailleuse sociale.

Même sans confirmation de l’inaptitude ou de l’incapacité d’un client, il est fréquent que le conseiller financier ait en main une procuration signée par ce dernier. Dans un tel cas, c’est souvent l’enfant ou le conjoint qui pourra faire des transactions à sa guise dans les comptes, confirme Danielle Beausoleil. « Juridiquement, le conseiller a l’obligation de s’assurer à intervalles réguliers que la procuration est toujours en vigueur, mais surtout que son client est encore en mesure de ratifier les gestes posés par le mandataire », rappelle la notaire. Le conseiller doit poser la question à son client, âgé ou non. « Si ce dernier répond : je ne sais pas, je ne m’occupe plus de rien. Il faut se poser de sérieuses questions », ajoute-t-elle.

Le choix du mandataire ne devrait pas se faire à la légère. Il nécessite toute sa raison. Pourquoi attendre?

Pour télécharger le questionnaire de Danielle Beausoleil en format Word, cliquez ici.

Cet article est tiré de l’édition d’avril du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Sophie Stival