« Market timing » et probabilités : le rêve en couleurs

Par Daniel Laverdière | 12 novembre 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
4 minutes de lecture

Daniel Laverdière, A.S.A., Pl. Fin., Planification Financière Banque Nationale.

En mars 2003, j’écrivais une chronique sur le market timing, c’est-à-dire la stratégie visant à acheter dans les bas et à vendre lors des sommets. N’étant pas un adepte du populaire graphique illustrant les effets d’une absence du marché boursier durant ses dix meilleures journées, j’avais alors présenté une analyse différente. En effet, il me semblait – et il me semble toujours – qu’une personne qui tente sa chance en cherchant à se synchroniser avec le marché finit davantage, dans la vraie vie, par prendre une multitude de décisions d’entrée et de sortie.

L’approche proposée ci-dessous consiste donc à examiner les résultats d’un investisseur qui décide, au début de chaque mois, d’entrer ou de sortir du marché des actions canadiennes, mesuré par l’indice S&P/TSX.

S’il pense que le rendement des actions sera positif, il entre dans le marché pour le mois.

S’il entrevoit un rendement négatif, il sort du marché et renonce donc à tout rendement pour ce mois-là.

J’ai refait les analyses de 2003 en appliquant les données de la Bourse canadienne de 1957 à octobre 2012. L’application de cette stratégie avec un succès de 100 % donnerait un extraordinaire rendement annualisé de 28,7 % (dans le tableau, le bleu foncé optimiste). Il semble assez évident que le mode d’emploi de cette recette continuellement gagnante est loin d’être réaliste. À l’autre extrême, le cumul des mauvaises décisions représenterait un rendement négatif annualisé de -15,2 % (noir pessimiste). Ce scénario des plus négatifs n’est pas plus réaliste que le précédent, ni plus rationnel qu’un investissement de 100 % à la Bourse… sauf lors des dix meilleures journées.

En passant, si de tels investisseurs existaient, plusieurs seraient intéressés à les engager comme gestionnaires. Quant à moi, je n’embaucherais pas le premier, car il exigerait un trop gros salaire. Toutefois, je pourrais probablement recruter le second à rabais et faire tout simplement le contraire de ce qu’il pense.

Le héros proche du zéro

Si l’on présume un taux de succès de 50 % (gris comme l’indifférence), ce qui suppose que l’on se trompe aussi souvent que l’on a raison, le rendement annualisé devrait être de l’ordre de 4,8 %. Ce taux n’est pas suffisant, car une stratégie complètement passive génère un rendement de 9,1 % (rouge marché canadien). Pour atteindre le rendement du marché, il faut un taux de succès avoisinant 60 % (vert espérance), donc avoir raison six mois sur dix.

Sur une aussi longue période, soit 55 ans, il apparaît irréaliste qu’un excellent gestionnaire maintienne une valeur ajoutée de 2,5 % par rapport à l’indice. Quel taux de succès nous faut-il pour battre le marché de 2,5 % à long terme? Selon la démarche utilisée, il faut un taux de succès de 65 % (beau ciel bleu). Avec une telle régularité dans nos prédictions, on se classe immédiatement parmi l’élite mondiale des gestionnaires. Cette valeur ajoutée est significative et nous assure un emploi de prestige dans l’univers des gestionnaires d’actifs.

Le graphique ci-dessous illustre la progression d’un placement de 1000 $ depuis 1957, selon divers taux de succès dans les décisions mensuelles.

La conclusion de tout cela? Elle est toute simple. Tels les bons frappeurs au baseball qui se démarquent en frappant en lieu sûr trois fois sur dix, les grands gestionnaires semblent se distinguer par un taux de réussite de l’ordre de six à sept fois sur dix (dans les limites du modèle simplifié élaboré pour illustrer mon propos). Soulignons cependant que les gestionnaires d’expérience réalisent habituellement des performances moins volatiles que celles du marché.

Si vous obtenez un taux de succès de 65 % et plus, affichez vite votre curriculum vitæ et vous aurez l’un des emplois les plus lucratifs du monde! Sous les 60 %, vous travaillez virtuellement pour rien et vous risquez uniquement de vous appauvrir (d’autant plus que les frais de gestion sont proportionnels à la fréquence des transactions). En placement, la marge entre être un héros ou un zéro est donc toute petite.

Mieux vaut laisser travailler les experts gestionnaires et se contenter de rééquilibrer son portefeuille sans chercher à prédire le marché.


Daniel Laverdière, Directeur principal, Planification financière et conseil Banque Nationale Gestion privée 1859

Daniel Laverdière