Neutres, les règles fiscales?

Par La rédaction | 24 septembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture
Photo : udra / 123rf

La fiscalité actuelle des familles canadiennes est le plus souvent « inéquitable », ce qui peut les pousser à devoir prendre des décisions contraires à leurs besoins fondamentaux, selon une étude publiée lundi par Raymond Chabot Grant Thornton et l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal.

Intitulée La fiscalité de la famille : un modèle à redéfinir, celle-ci a été menée conjointement par Luc Lacombe, directeur en fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton, et par Brigitte Alepin et Manon Deslandes, toutes deux professeures au Département des sciences comptables de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM (ESG UQAM).

Ayant pour objectif de déterminer si les règles fiscales en vigueur au pays sont « neutres », les trois chercheurs en arrivent à la conclusion que « les bris de neutralité dans la fiscalité de la famille sont nombreux et importants ». En effet, constatent-ils, dans plus de 70 % des situations analysées, les règles ne sont pas neutres dépendamment du profil social de la famille, de sa classe économique et du statut juridique de l’union. Résultat, « plusieurs familles canadiennes se retrouvent confrontées à faire des choix en fonction de la fiscalité et non en fonction de leurs propres besoins ». Et la situation va encore se détériorer, avertissent les auteurs, qui prévoient que « toutes les familles doivent s’attendre à être touchées, tôt ou tard » par ce problème.

« LA FLEXIBILITÉ FINANCIÈRE DES FAMILLES EST LIMITÉE »

L’étude a été scindée en sept principaux thèmes : le bien-être économique de la famille, le logement, les études des enfants, l’épargne pour la retraite, les autres épargnes, la retraite et le décès. Pour chacun d’entre eux, les trois chercheurs proposent des pistes de réflexion destinées à « pallier les distorsions » observées et à sensibiliser « nos parlementaires canadiens et québécois sur ces importants enjeux et, conséquemment, les engager dans une révision des politiques fiscales de la famille », selon les mots du président et chef de la direction de Raymond Chabot Grant Thornton, Emilio B. Imbriglio.

Le rapport estime notamment que « les gouvernements du Québec et du Canada doivent revoir rapidement les politiques fiscales des ménages, car celles-ci viennent miner la neutralité du régime fiscal à l’égard de la famille et ainsi compromettre, dans certains cas, les décisions familiales ». Ainsi, la fiscalité peut fortement influencer la décision de la création du patrimoine puisque, au fil des ans, les États ont mis en place différents incitatifs à économiser de l’argent, comme le compte d’épargne libre d’impôt, le régime enregistré d’épargne-retraite, le régime enregistré d’épargne-études ou encore le régime enregistré d’épargne-invalidité.

Or, souligne Luc Lacombe, « ces différents incitatifs obligent les familles ayant des liquidités limitées à faire de l’arbitrage pour choisir un type d’épargne, le tout se faisant en considérant des règles fiscales au détriment de leurs besoins réels, ce qui occasionne une limitation de leur flexibilité financière ».

CRÉER UN « RÉGIME ENREGISTRÉ D’ÉPARGNE GLOBALE »

Pour faire en sorte que le fardeau fiscal des ménages qui ont des enfants devienne « plus équitable », les chercheurs fournissent plusieurs « pistes de réflexion » dont voici les principales.

Système d’imposition basé sur le revenu familial et non sur le revenu individuel. Le rapport suggère l’instauration d’« un système d’imposition basé sur le revenu familial [du couple] et non sur le revenu individuel », ce qui permettrait d’« assurer une plus grande uniformité de la charge fiscale des familles ayant des revenus similaires, peu importe la répartition du revenu entre les membres de la famille ».

Structure de taux d’imposition calculée en fonction de la taille de la famille. L’étude préconise aussi la mise en place d’« une structure de taux d’imposition basée sur la taille de la famille qui intégrerait les avantages fiscaux de différentes prestations telles que le crédit TPS/solidarité, l’Allocation canadienne pour enfants et le paiement de soutien aux familles ». Le but?

« Mieux tenir compte des obligations supplémentaires » des ménages de plus grande taille et « réduire la présence de taux marginaux très élevés ». Notant que cette approche « impliquerait la présence de taux d’imposition négatifs pour certaines familles », les auteurs estiment qu’une telle structure pourrait également « rendre le système fiscal plus transparent pour l’ensemble des contribuables ».

Régime enregistré d’épargne globale. Luc Lacombe, Brigitte Alepin et Manon Deslandes suggèrent aussi la mise sur pied d’un « régime enregistré d’épargne globale » (REEG) qui permettrait de « constituer une épargne globale disponible pour l’achat d’une résidence, l’éducation des enfants, l’épargne-retraite et le démarrage d’une entreprise ». Selon eux, la création de ce nouvel outil d’épargne devrait en outre s’accompagner d’« une réflexion sur la nécessité d’augmenter le taux d’inclusion du gain en capital, de façon à éliminer le bris de neutralité découlant de la distinction entre les investissements rapportant un gain en capital et les autres investissements, dont les revenus sont imposés de manière plus importante ».

« TOUTES LES DISTORSIONS FISCALES DOIVENT ÊTRE AJUSTÉES »

Les trois chercheurs recommandent par ailleurs une révision du concept de fin de l’union, puisque malgré la modernisation de la loi en 1993, certaines règles fiscales n’ont pas été dissociées des lois judiciaires en ce qui concerne cette question et que, aujourd’hui, celles-ci « défavorisent les conjoints unis par le mariage et l’union civile dans certaines situations et les avantagent dans d’autres ». Enfin, ils proposent que soit revue la définition d’enfant à charge et souhaitent que soit prévue « la possibilité de rouler les biens au décès [d’un parent] à une fiducie constituée exclusivement pour un enfant à charge. « Afin d’éviter un prolongement excessif du report de l’impôt au décès, des règles devraient être mises en place afin d’imposer l’impôt reporté une fois que l’enfant à charge a atteint un certain âge », indiquent-ils.

« L’étude démontre que la fiscalité de la famille ne reflète pas, à de nombreux égards, les réalités actuelles. Lorsque des familles en viennent à prendre des décisions en fonction de la fiscalité et non pas en lien avec leurs besoins, il y a des distorsions qui doivent être ajustées. Les gouvernements fédéral et du Québec sont invités à entreprendre une refonte de la fiscalité dans ce domaine pour qu’elle reflète la dynamique d’aujourd’hui », conclut Emilio B. Imbriglio.

La rédaction