Nouvelles inscriptions en Bourse : Un programme de mentorat pour les PME?

Par André Giroux | 1 Décembre 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les entreprises québécoises ne comptent que pour 8 % des entreprises canadiennes cotées en Bourse. Le président et chef de la direction de la Financière Trust Equity, Paul G. Smith, veut renverser la vapeur. Lors d’une conférence prononcée devant l’Association des MBA du Québec, en septembre dernier, il a proposé de « créer un comité de travail visant à développer un programme de mentorat pour épauler les chefs d’entreprises privées qui songent à aller en Bourse à court ou moyen terme. Ce programme permettrait de jumeler des PDG de petites et moyennes entreprises à des PDG d’entreprises de plus grande taille cotées en Bourse, qui pourraient les guider dans leur réflexion et tout au long du processus de préparation ».

« En tant qu’agent de transfert, c’est mon métier d’accompagner les entreprises qui ont recours à l’appel public à l’épargne. Je ne cache pas mon conflit d’intérêts », confiait-il d’entrée de jeu à son auditoire.

« Bon nombre de sociétés d’ici possèdent tout le potentiel pour tirer profit des avantages que procure l’accès aux marchés publics de capitaux, affirme M. Smith. Il ne leur manque parfois qu’un catalyseur, et j’ai la conviction profonde que les marchés boursiers peuvent jouer ce rôle. »

Pourtant, les entreprises québécoises s’en abstiennent souvent.

« Selon les chiffres du TMX, énonce le conférencier, bien que le Québec représente un peu plus de 23 % de la population canadienne et 20 % de l’économie du pays, les entreprises québécoises ne constituent que 8 % des sociétés canadiennes inscrites en Bourse au pays. »

Et la tendance n’est pas à la hausse, bien au contraire. « En 2007, souligne-t-il, on comptait 353 émetteurs québécois. En 2011, il n’y en avait plus que 278, soit une diminution de 75 entreprises en cinq ans, ou 21 %. Pour la même période, le nombre de sociétés de la Colombie-Britannique cotées en Bourse a augmenté de 164. Si l’on compare le Québec avec la Colombie-Britannique plutôt qu’avec l’Ontario, comme on le fait traditionnellement, c’est que l’Ontario compte de nombreux fonds négociés en Bourse, ce qui fausse la comparaison. »

« Avec tout ce que la sous-capitalisation d’une entreprise peut impliquer en matière d’investissement et de productivité, énonce le conférencier, vous conviendrez avec moi que cette réalité est préoccupante eu égard au dynamisme et aux perspectives de croissance des entreprises au Québec. »

Pourquoi le Québec est-il sous-représenté en Bourse? M. Smith énonce deux motifs. D’une part, « les banques y contrôlent majoritairement les activités de courtage. Or, elles s’intéressent surtout aux émissions de moyenne et grande envergure. Contrairement aux autres provinces, il existe peu de petites boutiques de courtiers indépendants qui ciblent le segment des petites capitalisations ».

L’autre motif qu’invoque le président d’Equity est l’abondance du capital institutionnel. L’investissement du Fonds de solidarité de la FTQ atteint près de six milliards de dollars dans plus de 2000 entreprises. Celui de Fondaction CSN s’élève à 620 millions, dans 130 entreprises. C’est sans compter les activités de la Caisse de dépôt, d’Investissement Québec, de Desjardins et d’autres joueurs.

« Le capital de risque et de développement s’est taillé une place prépondérante au Québec, qui n’a aucune commune mesure avec ce qu’on observe ailleurs au Canada, sauf peut-être en Ontario », souligne M. Smith.

« En 2011, illustre-t-il, 58 % des entreprises canadiennes qui ont reçu du financement de capital de risque provenaient du Québec, alors que les entreprises québécoises ne représentent que 7 % des sociétés canadiennes cotées au TSX Croissance. En comparaison, les entreprises de la Colombie-Britannique représentent 9 % des entreprises qui ont bénéficié du capital de risque en 2011, mais 63 % des entreprises canadiennes inscrites au TSX Croissance. »

« Loin de moi l’idée de formuler une critique, rassure-t-il. Au contraire, il m’apparaît indéniable que la présence de tous ces joueurs en capital de risque constitue un atout inestimable pour les entreprises d’ici. »

Pour M. Smith, cependant, les marchés publics des capitaux « peuvent très bien compléter les outils déjà accessibles au Québec ».

Selon un sondage réalisé par PricewaterhouseCoopers et Fraser Milner Casgrain, « les dirigeants des sociétés québécoises privées accordent plus de poids aux irritants d’être en Bourse que ceux des sociétés publiques qui, pourtant, y sont confrontées de façon quotidienne », s’étonne Paul G. Smith.

Ces irritants existent bel et bien selon le conférencier : le marché malmène parfois les titres, il existe des coûts initiaux et de conformité, il faut maintenir un dialogue constant avec les investisseurs et les analystes.

Le président et chef de la direction de la Financière Trust Equity n’en démord pas : « Pour la bonne entreprise avec un bon plan d’affaires et le bon état d’esprit, les marchés publics de capitaux constituent la voie à suivre, particulièrement pour celles qui souhaitent occuper une position dominante ».

Paul G. Smith énonce six motifs à son affirmation :

  • Les possibilités de diversification de financement compensent les coûts d’inscription et de conformité;
  • L’inscription en Bourse permet de réduire l’endettement et facilite l’obtention de financement bancaire et institutionnel;
  • Lors d’une acquisition, les actions négociées en Bourse peuvent constituer une monnaie d’échange intéressante « Scotia a financé la moitié du coût d’acquisition de ING Direct par une émission d’actions », illustre-t-il;
  • Une entreprise publique peut offrir à ses hauts dirigeants un programme incitatif de rémunération basé sur la croissance et la performance de l’entreprise cotée en Bourse;
  • Les obligations auxquelles doivent répondre les sociétés publiques (résultats financiers trimestriels et solide structure de performance) donnent une crédibilité et une visibilité qui peuvent se transformer en occasions d’affaires;
  • La présence en Bourse augmente la liquidité du titre et, par là, la valeur de l’entreprise.

Le conférencier illustre son propos en invoquant sa propre entreprise. La Financière Trust Equity a fait son entrée en Bourse en 2004. Cela a permis de multiplier par quatre le nombre de bureaux, par sept le nombre d’employés, par quatre le nombre de secteurs d’activités générateurs de revenus, par sept les revenus annuels et par deux le nombre de clients. La capitalisation est passée de 500 000 $ à 100 millions en huit ans.

Le moment propice d’entrée en Bourse

« Bien que je demeure convaincu des vertus de l’épargne publique, prévient M. Smith, il est néanmoins certain qu’il faut savoir évaluer le moment propice pour agir. Il y a un timing à tout. »

« La faible croissance économique aux États-Unis, le ralentissement de la croissance en Chine et la récession en Europe ont un effet sur l’attrait que peuvent avoir les marchés publics de capitaux aujourd’hui. D’une part, l’évaluation des actions que font les marchés est parfois décourageante. Bien évidemment, il devient moins attrayant d’émettre des actions si la valeur qui leur est attribuée n’est pas intéressante. D’autre part, il en coûte tellement peu cher pour emprunter de nos jours que plusieurs entreprises se demandent – et je dirais à juste titre – pourquoi elles devraient diluer leur capital-actions en émettant des actions quand elles peuvent aller sur le marché obligataire et bénéficier de taux très avantageux. »

Le président de la Financière Trust Equity répond ceci : « Si le contexte actuel peut rendre certaines entreprises hésitantes à entrer en Bourse, il pourrait s’avérer stratégique d’être déjà en selle lorsque la reprise économique sera un peu plus vigoureuse. D’abord, parce qu’avec la reprise viendra vraisemblablement l’inflation. Les investisseurs voudront alors se prémunir contre l’augmentation de l’inflation et la baisse de la valeur de leurs actifs en achetant des actions. Ensuite, parce qu’une reprise un peu plus vigoureuse pourrait précipiter une vague de fusions et acquisitions à bon prix, et que les entreprises publiques seront mieux outillées pour saisir la balle au bond et lever rapidement des capitaux pour financer des acquisitions. Par ailleurs, j’ajouterais que, même dans le contexte économique actuel, des impératifs propres à chaque entreprise peuvent faire en sorte qu’il s’agit, pour elles, du bon moment pour aller sur les marchés ».

M. Smith a-t-il convaincu son auditoire? Pourra-t-il créer le comité de travail visant à développer un programme de mentorat pour aider les entreprises qui voudraient s’inscrire en Bourse? « Déjà, répond-il à Conseiller, des gens se sont montrés intéressés. On va s’asseoir pour évaluer la situation et la façon de s’y prendre pour concrétiser ce projet. »

André Giroux