OPINION – Des commissions qui reflètent la qualité du conseil?

10 septembre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Andriy Popov / 123rf

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont annoncé en juin leur intention d’abolir certains types de commissions et d’en maintenir d’autres. Et si celles qui demeurent étaient versées différemment? La vision d’un conseiller à la retraite sur le sujet.

Depuis de nombreuses années, le débat sur les frais financiers refait périodiquement surface, notamment en raison de leur multiplicité : frais de gestion et frais de suivi, frais d’entrée et frais de sortie, frais de transfert et frais de transactions fréquentes, frais de maintien et frais d’inactivité, en plus des frais d’administration annuels. Il faut ensuite verser des commissions à tous les acteurs de la transaction : au conseiller qui a vendu le produit financier, au cabinet, au courtier, aux gestionnaires de portefeuille et aux autres intermédiaires sur les parquets.

DE LA PERTINENCE DES COMMISSIONS

Les frais financiers les plus litigieux restent les commissions de suivi. Les investisseurs se demandent parfois si le conseiller qui reçoit annuellement cette rémunération effectue réellement un suivi.

Cependant, si ces commissions étaient abolies, la base de la rémunération de beaucoup de conseillers disparaîtrait. Selon un sondage réalisé par le Conseil des professionnels en services financiers en 2017, 95 % des conseillers touchent des commissions intégrées (tous types confondus), dont 65 % exclusivement.

Plusieurs conseillers comptent sur la vente de leur bloc d’affaires pour financer leur retraite. Comment évaluer sa valeur autrement que par les revenus annuels qu’il tire des frais payés par ses clients? Les revenus annuels issus des commissions de suivi sont faciles à évaluer et restent stables, alors que les honoraires peuvent fluctuer d’une année à l’autre selon les services facturés. Pour avoir une vue représentative de la valeur d’un bloc d’affaires qui fonctionnerait selon des honoraires, il faudrait des données sur cinq ans. Une transition qui pourrait être trop longue pour les conseillers qui approchent de la retraite.

Le Royaume-Uni a complètement éliminé les commissions et le nombre de conseillers a diminué rapidement. Ce sont les clients qui y ont perdu, surtout les petits investisseurs.

Moins de conseillers veut dire moins de professionnels pour livrer de l’information financière adaptée à la situation de chaque épargnant. Les conseillers qui resteront se concentreront sur les gros clients et les investisseurs peu fortunés se retrouveront sans véritables conseils autres que ceux des conseillers-robots, qui facturent des frais minimes, mais dont la plupart ne savent pas encore évaluer l’ensemble de la situation financière d’un client comme un professionnel en chair et en os peut le faire.

J’ai discuté avec des dizaines de confrères, travaillant tant en assurance qu’en valeurs mobilières. Sans les commissions, la profession perdrait beaucoup de son intérêt. Grâce à elles, leur carrière est assimilable à celle d’un entrepreneur, où les possibilités de développement d’affaires sont sans limites, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on reçoit un salaire circonscrit. C’est aussi le cas avec les honoraires, mais ils conviennent surtout aux clients fortunés.

Plusieurs conseillers déplorent cependant le fait qu’avec les commissions, seules leurs ventes déterminent le montant de leurs revenus. « Il faut bien conseiller son client, bien évaluer sa situation financière et tout le reste, mais sans vente, pas de rémunération », m’a justement indiqué l’un d’eux. Il n’a pas voulu être nommé par crainte de représailles de son employeur.

Comment conserver les commissions en évitant les excès de la vente à pression, tout en récompensant la qualité des conseils et le service au client?

SALAIRE, COMMISSIONS ET HONORAIRES

Les commissions sont importantes, car elles permettent de stimuler le conseiller et de l’encourager à se dépasser en améliorant constamment ses connaissances au-delà des exigences de la formation continue et en travaillant plus d’heures pour rejoindre un maximum de clients. Un boni a le même effet, mais pas un salaire, qui reste le même peu importe les efforts du conseiller. Il est beaucoup plus stimulant d’être responsable de son succès comme de ses échecs.

Les commissions sont cependant une arme à double tranchant. Certains conseillers rivalisent d’imagination pour maximiser leurs commissions, parfois au détriment de leurs clients.

Et les honoraires, alors? Les clients fortunés s’attendent généralement à en payer en échange de conseils financiers, mais le commun des mortels n’a pas nécessairement les moyens d’assumer ce genre de facture. Beaucoup de conseillers estiment aussi qu’une rémunération par honoraires augmenterait leur charge administrative et compliquerait le calcul de leurs obligations fiscales.

Serait-il possible de modifier le fonctionnement des commissions pour les conserver tout en évitant les excès? La solution se trouve peut-être du côté des actionnaires des institutions financières.

LA VISION D’UN ACTIONNAIRE

Comme beaucoup d’autres conseillers, je suis actionnaire de quelques institutions financières à travers mes placements. Ce qui intéresse un actionnaire, en premier lieu, ce sont les ventes et leur croissance. L’actionnaire a également un deuxième objectif important : préserver la réputation de l’institution et donc la sécurité de son investissement.

Dans un rapport annuel, cette donnée est représentée par l’achalandage, une donnée essentielle dans l’équation. L’achalandage désigne la clientèle habituée à effectuer ses transactions dans une même institution, pas parce qu’elle affectionne cette marque de commerce particulièrement, mais plutôt pour l’aspect pratique ou prestigieux de son commerce ou de ses services, donc sa réputation.

Toutes les institutions financières ont leurs super vendeurs, mais ceux qui font croître leur réputation, leur achalandage, ce sont surtout les professionnels qui excellent au chapitre du conseil.

La réputation d’une entreprise influence sa valeur en Bourse. Si les dirigeants de Wells Fargo et Deutsche Bank avaient veillé au grain dans les dernières années, elles ne seraient pas embourbées dans des scandales qui ont fait chuter le cours de leur action en Bourse en plus de leur attirer des poursuites légales. Même chose pour la Banque TD au Canada, qui vu sa réputation entachée en mars 2017 en raison des pratiques douteuses de certains de ses employés.

Notre service comme conseiller affecte donc la réputation de l’entreprise, mais pourtant, cet aspect de notre travail n’est pas rémunéré.

En tant qu’actionnaire d’institutions financières, je pense qu’il serait judicieux, et profitable à long terme, qu’elles évaluent la qualité des conseils financiers et la confiance que les clients accordent à leurs conseillers. Leur réputation assure la sécurité de mon capital en tant qu’actionnaire.

Tout le monde y gagnerait à long terme : les clients, les conseillers et les actionnaires.

UNE NOUVELLE APPROCHE DE RÉMUNÉRATION

Pour calculer la rémunération des conseillers, il faudrait donc tenir compte de trois éléments : le volume des ventes mensuelles, la valeur du capital administré et leur apport à l’achalandage ou la réputation de l’institution.

Par exemple, 20 % de la rémunération pourrait être versée en fonction de la qualité de vos conseils et de vos relations avec les clients. Si vous recevez habituellement 1 000 $ de commissions lorsque votre rémunération dépend d’un nouveau capital investi ou d’un produit financier que vous avez vendu, vous pourriez désormais recevoir entre 800 et 1 200 $ pour le même produit, selon votre service et la qualité de vos conseils.

LA TECHNOLOGIE À LA RESCOUSSE

Est-il possible d’évaluer un élément intangible comme la confiance d’un client ? Il y a quelques années c’était techniquement impossible. Aujourd’hui, des outils de programmation adaptés au langage naturel, qui utilisent la grammaire, la syntaxe, les synonymes et le contexte, ont été développés. Ils permettent notamment d’entretenir une conversation soutenue avec un usager.

Deux logiciels informatiques pourraient être mis à contribution. Le premier évaluerait la qualité du dossier présenté suivant les règles de conformité au moment du dépôt d’une transaction ou d’une proposition d’assurance. Il assumerait certaines tâches du directeur de la conformité, soit signaler des manques ou des imprécisions au dossier client.

Le second logiciel jugerait de la pertinence de vos conseils et de la force de votre relation avec les clients. Il pourrait prendre la forme d’une application de type robot conversationnel (chatbot). Après chaque transaction, le système pourrait communiquer directement avec le client pour une évaluation du service reçu. Plusieurs de ces robots existent d’ailleurs déjà dans le secteur financier.

C’est la somme de ces deux évaluations qui déterminerait le montant que vous recevriez en contrepartie de l’intangible réputation que vous avez auprès de vos clients.

Dans le domaine du courtage en valeurs mobilières, étant donné la nature de la relation client, la procédure d’évaluation pourrait être trimestrielle et s’appliquer sur l’ensemble des ventes et achats de titres et produits d’investissement, car les professionnels qui y travaillent ont des contacts moins fréquents avec leur clientèle que les conseillers en sécurité financière ou en épargne collective.

Lorsqu’un conseiller donne un mauvais service à ses clients, c’est la réputation de toute l’entreprise qui est affectée. Cette nouvelle forme de rémunération à commission soutient une vision à long terme de la relation client et du service conseil en finance. Et à mon avis, il serait beaucoup plus valorisant pour un conseiller de savoir que la qualité de son travail importe autant que ses ventes.

Bernard Viau est conseiller à la retraite.