PL 141 : 4 points qui posent problème

Par La rédaction | 19 mars 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Le projet de loi 141 revient à « autoriser le renard à dire qui aura accès au poulailler », estime le juriste Jacques St-Amant. Il pointe notamment du doigt quatre aspects litigieux.

Contrairement à ce qui est stipulé dans l’article premier du projet à l’effet que la loi vise « principalement une meilleure protection du consommateur », celle-ci ne l’améliorera pas et même, dans certains cas, l’affaiblira, soutient le chargé de cours au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal dans une récente entrevue accordée au magazine Protégez-Vous.

Voici quatre aspects qui posent problème selon Me St-Amant.

1- MOINS DE PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Le PL 141 abaisse le niveau de contrainte imposé aux représentants dans le secteur de l’assurance, selon lui. En effet, il déplore que n’importe qui pourra désormais dispenser des conseils en matière de distribution d’assurances, alors qu’aujourd’hui cette activité est réservée à des professionnels certifiés, encadrés et formés.

« Il n’y a pas au Québec d’encadrement spécifique pour la distribution d’assurance en ligne et le projet de loi ne propose presque rien pour renforcer la protection des consommateurs », dénonce le juriste. Celui-ci trouve la situation potentiellement dangereuse, par exemple dans le cas où une personne souhaite magasiner en ligne afin de souscrire une police d’habitation couvrant certains risques particuliers, comme une piscine dans sa cour arrière. En effet, souligne-t-il, même si le consommateur parvient à trouver un contrat qui lui semble intéressant, il ne pourra parler à aucun interlocuteur pour vérifier que ce document est bien adapté à sa situation.

« Le PL 141 dit que vous avez le droit de parler à une personne, mais qu’elle ne devra pas obligatoirement être accréditée. Par ailleurs, vous aurez 10 jours pour annuler le contrat après l’avoir signé. Mais vous n’aurez pas le temps, en 10 jours, de constater que ce n’était pas une bonne décision », critique l’expert.

2- FRAGILISATION DES MÉCANISMES DE CONTRÔLE

Jacques St-Amant dénonce également la suppression annoncée dans le PL 141 de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et de la Chambre de la sécurité financière (CSF) qui, « sans être des mécanismes parfaits », ont « le mérite d’exister » et d’encadrer les professionnels du secteur, notamment au moyen d’une formation initiale, d’une obligation de formation continue et de l’observance d’un code de déontologie.

Or, met-il en garde, en supprimant ces deux organismes de réglementation, on « fragilise les mécanismes de contrôle, ce qui « ouvre la porte à certaines pratiques problématiques, comme on le voit depuis deux ans avec les révélations sur les pratiques de vente des banques canadiennes ».

3- RISQUE DE DÉCOURAGEMENT DES CONSOMMATEURS

De même, le chargé de cours au Département des sciences juridiques de l’UQÀM juge inappropriée l’introduction dans la loi d’un mécanisme d’assurance de frais funéraires. Rappelant qu’une telle disposition avait déjà existé avant 1974, il observe qu’elle avait été abolie parce que, à l’époque, « les représentants se promenaient dans les hôpitaux, les centres d’accueil et les salons funéraires pour vendre leurs produits d’assurance ».

Le problème, relève-t-il, c’est que le PL 141 ramène ce mécanisme alors que le Québec dispose déjà d’un régime d’arrangement préalable de services funéraires qui, « à bien des égards, est plus intéressant qu’une assurance ». La raison? Avec ce système, le prix demeure fixe, ce qui est rassurant pour le consommateur, tandis qu’avec une assurance classique il variera au contraire au gré des compagnies et dans le temps.

4- UNE MÉDIATION PLUS COUTEUSE

Enfin, Jacques St-Amant s’en prend à « un certain nombre de modifications » contenues dans le PL 141 au sujet des mécanismes de règlement des différends, en particulier la médiation. Remarquant que la législation québécoise actuelle prévoit l’obligation pour plusieurs institutions financières d’instaurer un mécanisme de traitement des plaintes, il juge « problématique » le fait que la future loi demandera à ces institutions de fixer elles-mêmes les critères selon lesquels une plainte sera ou non recevable, mais sans fournir d’indications précises. Résultat : une compagnie d’assurances ou une Caisse Desjardins « pourrait exclure certains types de problèmes des réclamations admissibles ou établir des règles de procédure tellement lourdes que cela découragerait à peu près tous les consommateurs ».

Tout cela sans compter le fait que, en cas de médiation, les frais seraient partagés entre l’assureur ou l’institution financière, d’une part, et le consommateur, d’autre part. Un processus qui « découragera évidemment les consommateurs » et contrevient en outre aux recommandations de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui préconise une meilleure accessibilité aux mécanismes de traitement des plaintes non judiciaires. Autrement dit, résume Jacques St-Amant, « on autorise le renard à déterminer qui aura accès au poulailler » et cette idée « n’a rien de rassurant ».

La rédaction