PL 141 : « Le déséquilibre des forces pose problème »

Par La rédaction | 31 mai 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les grandes compagnies d’assurance et institutions financières n’ont pas lésiné sur les moyens pour faire adopter au plus vite le projet de loi 141, à tel point que leur offensive de lobbying pourrait être la plus importante jamais enregistrée au Québec.

Si l’on se fie au Registre des lobbyistes du Québec, on constate en effet qu’environ 150 personnes se sont inscrites dans le cadre de l’étude de la refonte du système d’encadrement du secteur financier, avec une très forte prédominance des assureurs. L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes disposerait par exemple à elle seule d’une force de frappe impressionnante de 38 lobbyistes inscrits.

« Je ne peux pas affirmer précisément qu’il s’agit d’un record, mais ce chiffre paraît en effet énorme, surtout dans le contexte québécois, puisque le registre provincial contient évidemment moins de noms que son homologue canadien », explique en entrevue à Conseiller Maxime Boucher, auteur d’une thèse sur la question intitulée Citizen Inc. : Lobbying et démocratie au Canada.

« CETTE OFFENSIVE EST À LA HAUTEUR DES ENJEUX »

« Nous avons affaire à une offensive massive, à la hauteur des enjeux que représente le projet de loi, qui prévoit la refonte du système financier québécois. Et, en fin de compte, cette présence me paraît plutôt logique si l’on tient compte du fait que les grands assureurs et institutions financières veulent influer sur ce que sera le futur encadrement », poursuit le chercheur postdoctoral en sciences politiques et administration publique à l’Université de Waterloo, en Ontario.

« Il faut aussi voir l’autre côté de la médaille et prendre en compte le fait que ces gens-là n’influencent pas seulement le gouvernement, mais qu’ils apportent aussi leur expertise dans des domaines souvent très techniques. » Autrement dit, si les assureurs ou les banques « peuvent en effet exercer une grande influence et représenter une importante force de frappe politique », elles disposent aussi d’information pertinente, juge Maxime Boucher.

« La littérature montre que lorsqu’un domaine est particulièrement complexe, ce qui est le cas du secteur financier, l’expertise technique donne un pouvoir important aux représentants de l’industrie », observe-t-il.

Face à cette situation, il revient ensuite « à l’appareil d’État et au gouvernement » de faire leurs devoirs afin de « garantir la défense de l’intérêt public », ajoute le chercheur. « On est en droit de s’attendre à ce que les politiciens aient une connaissance suffisante des dossiers, et également qu’ils soient bien conscients du fait que leur mission consiste à “faire le tri” et à préserver un juste équilibre entre les demandes d’un secteur particulier et l’intérêt général des citoyens », insiste-t-il.

« ON COURT LE RISQUE D’AVOIR UNE VISION À SENS UNIQUE »

Interrogé sur le fait qu’on ne trouve, face au rouleau compresseur des grandes institutions financières et des assureurs, qu’une poignée de représentants de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommages (et aucune voix pour représenter directement les intérêts des consommateurs), selon une compilation réalisée par Profession Conseiller, Maxime Boucher juge que « ce déséquilibre des forces pose un problème ».

« Il est certain que comme le ministre Carlos Leitao est lui-même issu du monde financier, il pourrait y avoir une espèce de phénomène de “capture cognitive”, c’est-à-dire qu’on verrait la question de l’encadrement du marché financier avec une seule lunette, celle du secteur financier, estime le chercheur. Quand les personnes qui sont supposées agir comme gardiens de l’intérêt public proviennent du secteur même qu’elles ont la charge de réorganiser, cela peut poser question, car cette vision à sens unique oriente le résultat final. »

« Au fond, conclut Maxime Boucher, tout cela nous ramène à une question qui est aussi vieille que l’idée de démocratie elle-même, c’est-à-dire “qui devrait garder les gardiens”? La réponse est évidemment : les citoyens. Et dans ce contexte, la question de la transparence devient primordiale, car pour bien garder les gardiens il faut avoir la bonne information. »

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