Point de vue – Le modèle de relation client déficient

Par Yves Bonneau | 23 février 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Edhar Yuralaits / 123RF

Le modèle de relation client-conseiller – phase 2 (MRCC 2), ça devrait vous dire quelque chose. Sinon, vous allez avoir de grosses surprises ! Plusieurs commentaires ont été dits et écrits sur le MRCC 2 depuis que les ACVM ont implanté cette directive l’an dernier. Et ce n’est pas fini.

Si vous voulez avoir une vue d’ensemble juste de ce qui vous attend pour les prochains mois d’implantation du MRCC 2, je vous recommande vivement la lecture du livre blanc* sur le sujet préparé pour le compte de la société de logiciels financiers EquiSoft. Ce document de 16 pages analyse les tenants et aboutissants de l’application des nouvelles règles édictées par les autorités réglementaires en matière de relation avec la clientèle.

Pour arriver à bien comprendre les enjeux qui attendent l’industrie au lendemain du 15 juillet 2016, les auteurs du livre blanc dirigé par Paul Williams ont mené une série d’entrevues confidentielles auprès de cadres et autres fins observateurs de l’industrie des services financiers au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique. Parmi les participants, on retrouve entre autres des dirigeants de firmes de courtage membres de l’OCRCVM et de l’ACCFM (MFDA), des responsables de services de post-marché, des cadres supérieurs de manufacturiers de produits de placement. Des gens bien branchés, donc, qui ont eu l’occasion de réfléchir et de se pencher sur la question.

D’entrée de jeu, l’élément principal qui ressort de cet exercice est que l’industrie ne sait pas vraiment ce que sera la réaction des clients en juillet 2016 lorsque la dernière exigence sera implantée. Ni quand le consommateur épargnant recevra son état de compte sur lequel apparaîtra pour la première fois les rendements intégrés de tous ses placements, de même que les frais afférents.

Se mettra-t-il à douter de son conseiller, à magasiner pour réduire ses frais de conseil et de gestion ou demeurera-t-il impassible, habitué à ne jamais lire les rapports qui proviennent de sa maison de services financiers ?

Aucune des personnes interviewées dans le cadre de cette enquête n’a apporté de réponse claire à cette inconnue. Elles ont même affiché une certaine nervosité. On croit d’ailleurs que les coûts engendrés par la mise à niveau des systèmes informatisés pourrait bien annoncer une nouvelle vague de consolidations auprès des firmes de courtage et plus petits courtiers, tout en incitant à une réduction des plus vieux effectifs parmi les conseillers. Une chose est certaine : si votre portefeuille de clients n’est pas à jour et numérisé et que vous êtes sur le point de prendre votre retraite, vous devriez vendre votre clientèle avant l’entrée en vigueur des nouvelles normes, parce que la valeur de votre « book » pourrait chuter de manière spectaculaire avec le MRCC 2.

« Le MRCC 2 ébranlera la dynamique concurrentielle, affirme un participant à l’étude. Les firmes et offres de produits qui ont connu du succès au cours des cinq dernières années pourraient perdre de la popularité au cours des cinq prochaines années. On ne saurait le prévoir. » Et le changement ne se limitera pas qu’aux firmes de courtage. « [Les sociétés de FCP] devront trouver des façons de livrer à moindre coût », conclut-il.

Un autre observateur a souligné qu’au Royaume-Uni, des changements similaires, mais plus sévères, ont été à l’origine du départ de la profession de quelque 25 % des conseillers, ce qui a privé environ 5 millions d’épargnants d’un conseiller financier. Selon un membre de la direction d’une firme de courtage, on s’attend à des répercussions semblables au pays. « Il sera plus difficile pour le consommateur d’obtenir de bons conseils professionnels », a-t-il affirmé.

Bien que la divulgation de la rémunération soit l’élément du MRCC 2 qui semble causer le plus de maux de tête aux conseillers, qui craignent la réaction de leurs clients à un moment ou un autre de leur cycle de placement, la divulgation du rendement est probablement l’élément le plus sous-estimé. En effet, après juillet 2016, les clients recevront des rapports de rendement consolidé des actifs couvrant des périodes d’un, trois, cinq et dix ans. Quand ce n’est pas depuis l’ouverture de leur compte. Or, ils pourront comparer ces données avec d’autres produits souvent présentés sans les frais afférents ou dans les publicités, ce qui occasionnera de très longues discussions sur les rendements avec la clientèle. « (…) je pense que la divulgation du rendement est le projet réglementaire national qui aura le plus grand effet sur l’industrie des services-conseils. Une fois que le rendement à long terme aura été exprimé en pourcentage, je m’attends à ce que les clients et leurs conseillers soient surpris de la faiblesse des chiffres », fait remarquer Dan Hallett, directeur de la gestion des actifs à Highview Financial Group.

Dans la même veine, selon une recherche du Fonds pour l’éducation des investisseurs, des rendements de marché plus faibles, la synchronisation de marché et un examen plus minutieux de la performance pourraient se traduire, chez les investisseurs, par des attentes de rendement déçues. Le cas échéant, on estime que près de la moitié d’entre eux attribueront ces résultats à de mauvais conseils. Bonjour les discussions corsées !

Seuls bémols apportés à ce portrait catastrophique par un autre directeur d’un courtier : « S’il y a un bon dialogue de part et d’autre… si le conseiller a fait preuve d’une grande transparence quant à sa rémunération, aux services qui sont livrés en contrepartie de sa commission… s’il a fait du bon travail à ces égards, il n’y aura pas de problème. Il n’y a aucun risque, à moins que le conseiller n’ait pas fait du bon travail. » Aussi, dans ce contexte d’incertitude se présente une occasion pour les conseillers proactifs, les firmes de courtage et les sociétés de fonds communs de placement de tirer leur épingle du jeu, mais il faudra être rigoureux, s’équiper d’outils performants d’analyse et de répartition d’actif et miser sur la planification financière intégrée.

Vous devez lire ce rapport et prendre les mesures nécessaires pour la survie de vos affaires !

• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2015 de Conseiller


Yves Bonneau, rédacteur en chef

* MRCC 2 et son effet sur l’industrie canadienne des services d’investissement aux particuliers, un livre blanc préparé par EquiSoft, janvier 2015.

Yves Bonneau