Portefeuilles Web : utiles, mais gare à la myopie!

Par Gérard Bérubé | 8 mars 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
8 minutes de lecture

• Ce texte est paru dans l’édition de février 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Veillez à ce que vos clients ne perdent pas de vue leur horizon de placement.

Les portefeuilles modélisés pullulent sur les portails Internet, provoquant une réaction au demeurant prudente chez les conseillers et courtiers. Selon ses fonctionnalités, l’outil n’est pas dénué d’intérêt, mais l’on se demande, chez l’intermédiaire, s’il n’induit pas une vision de courte vue chez l’investisseur, s’il ne vient pas amplifier le cycle des émotions.

Gordon Gibson, premier vice-président, directeur général de la Financière Banque Nationale, a donné l’exemple d’un professeur présentant une série de graphiques boursiers annuels, ne comportant aucune date, et demandant à ses étudiants d’identifier celui qui correspondait au krach boursier de 1987. Le bon graphique n’a pu être identifié, l’année 1987 ayant été haussière, du 1er janvier au 31 décembre, malgré l’effondrement de 22,6 % du Dow Jones au cours de la seule séance du 19 octobre. «Pensons aussi aux attentats du 11 septembre dernier. Les investisseurs ayant agi en réaction aux événements ont probablement perdu 25 %, alors qu’à peine deux mois plus tard les pertes initiales avaient été récupérées.»

Le principal ennemi de l’investisseur est ses émotions. Avec une mise à jour instantanée de son portefeuille, on lui donne l’occasion de s’énerver davantage pour son porte feuille, de se laisser impressionner par les événements.

En clair, Gordon Gibson craint qu’avec une mise à jour instantanée de son portefeuille l’investisseur soit davantage influencé par le cours de fermeture de la veille et qu’il perde de vue la valeur intrinsèque de son placement. «Le risque d’erreur, le risque d’agir sous l’impulsion du moment s’en trouvent accrus.» C’est ce que Richard Giroux, conseiller en placement pour Valeurs mobilières Partenaires Cartier, appelle une atrophie du cycle des émotions, cycle qui amène l’investisseur à vendre au creux et à acheter au sommet. «Le principal ennemi de l’investisseur est ses émotions. Avec une mise à jour instantanée de son portefeuille, on lui donne l’occasion de s’énerver davantage au sujet de son portefeuille, de se laisser impressionner par les événements. Sans compter qu’à ces mises à jour s’ajoutent l’analyse technique, les opinions de pseudo-experts, les chat rooms où les rumeurs de toute nature peuvent circuler… Il y a des investisseurs qui ne dorment plus depuis qu’ils sont branchés», expose-t-il.

Le consultant financier Pierre Brunette indique, pour sa part, que ces outils viennent mettre à l’épreuve le tempérament du client. Et, par ricochet, le service de conformité des firmes. «Si le client effectue plus de transactions qu’à l’ordinaire, je dois lui rappeler ses objectifs à long terme. Si son comportement d’investisseur s’en trouve modifié ou s’il y a, soudainement, trop d’activités dans un compte, le service de conformité lui envoie un formulaire dans lequel il est invité à reconnaître, par sa signature, que ses objectifs de placement sont modifiés.»

Le livre Fooled by Randomness, de l’auteur Nassim Nicholas Taleb, apporte un élément de mesure à cette distorsion que peut provoquer le très court terme. Ainsi, sur 100 résultats répartis selon une distribution normale, 68 vont se retrouver dans un écart type et 95 dans deux écarts types. Cela donne déjà une idée de la volatilité du rendement. Sur cette base, et selon les données historiques, il est estimé qu’un investisseur ayant une approche de long terme a 93 % de probabilités de faire des gains au cours d’une année donnée. Si cet investisseur réagit et modifie ses investissements sur une base trimestrielle, cette probabilité tombe à 77 %, à 67 % sur une base mensuelle, à 54 % s’il agit sur une base quotidienne et à 51 % s’il bouge d’heure en heure, au moindre événement.

Pris sous un autre angle, si l’investisseur procède à l’analyse de ses investissements ou de son portefeuille sur une base annuelle, il s’appuie, en moyenne, sur 0,7 mauvaise information pour chaque bonne information. S’il retient une fréquence mensuelle, ce ratio ou cette marge d’erreur de 0,7:1 passe à 2,32:1. Et à 30:1 s’il revoit constamment ses investissements, à chaque heure. Tout n’est cependant pas que négatif. Après tout, la plupart des firmes de courtage et des institutions financières offrent, sur leur site, un service en ligne de mise à jour du portefeuille du client. Un service très souvent minimaliste, reposant sur le prix de fermeture de la veille. «L’objectif premier est de permettre au client de voir ce qu’il a en portefeuille. Et, pour ceux désirant ce service, de voir l’évolution de leur portefeuille au jour le jour. Il y a une demande pour cela. Il faut y répondre», précise Gordon Gibson.

Les fournisseurs de sites indépendants vont plus loin. Le service se veut, ici, beaucoup plus sophistiqué, avec des mises à jour en temps réel ou différé de quelques minutes. «Je vois trois avantages à ces sites indépendants, poursuit Gordon Gibson. Il y a cette fréquence des mises à jour, quoique l’on puisse se demander si la différence entre une mise à jour aux 15 minutes ou enfonction de la fermeture de la veille est matérielle. Il y a également le portrait consolidé, utile pour l’investisseur répartissant son actif entre plusieurs institutions. Il y a, enfin, les fonctionnalités de ces sites, donnant un rapport plus complet. On peut notamment penser au calcul du rendement.»

Sur ce dernier point, il souligne que la plupart des firmes de courtage vont préférer ne pas procéder au calcul des rendements, compte tenu du fait que nombre de subtilités peuvent fausser les données. Il pense aux fractionnements, aux réorganisations d’entreprises, aux dividendes en actions ou aux distributions réinvesties, dans le cas des fonds d’investissement. Parmi les autresavantages, Richard Giroux souligne que de tels outils peuvent venir faciliter son travail. «Cela réduit le nombre d’appels venant de clients voulant savoir comment se comporte leur portefeuille. Aussi, avec leurs logiciels de calcul donnant un état des gains et des pertes, beaucoup de questions posées par leur comptable ne viennent plus à nous.»

Les petits cabinets, qui ne peuvent offrir un rapport quotidien, doivent également apprécier ce service. Enfin, le client a le temps de faire ses devoirs avec cet outil, qui vient également faciliter ses transactions en ligne.» Portefeuille d’actions, d’instruments dérivés, de fonds d’investissement et d’encaisse, système d’alerte boursière et d’information financière, graphiques et analyse technique, système de cotes en temps réel ou différé de 15 minutes, accès aux banques de données historiques… Les sites indépendants rivalisent entre eux au chapitre de la valeur ajoutée et de la convivialité. «Par convivialité, on entend la capacité du site à évoluer, à s’adapter aux besoins de l’internaute, résume Christian Fillion, producteur de lactualite.com/dollarsetcents (anciennement, le service français de Quicken.ca). Un site convivial va permettre à n’importe quel usager de se retrouver, qu’il soit un investisseur autonome, averti ou débutant. On parle d’une démarche évolutive visant à rendre l’usager plus indépendant.»

Christian Fillion produit un site de finances personnelles comprenant cet aspect de convivialité, considérée comme l’une des plus avancées dans son créneau. Du moins, selon un bref survol, les services de portefeuille offerts par GlobeInvestors, puis par Stockhouse et par eMoney sont parmi les plus appréciés dans les sites indépendants. En français, Quicken domine, suivi de Cyberpresse et de Webfin (Canoë Netgraphe). On apprécie Quicken notamment parce qu’il tient compte de l’encaisse et qu’il emploie une technologie permettant de télécharger le logiciel sur le bureau de l’utilisateur. «C’est la principale attraction de notre site, renchérit Christian Fillion. C’est un élément central, auquel on greffe une série d’autres services.» Cyberpresse propose l’alerte boursière, mais sa technologie place l’usager à la merci de la circulation sur le serveur.

Gilles Lajoie, rédacteur en chef de Webfin, précise quant à lui qu’à l’origine le portefeuille était un outil de rappel, de fidélisation. «Aujourd’hui, c’est un must et un point d’ancrage. Certes, il n’y a pas que cela. La fidélisation va venir d’un tout. Mais l’inverse est vrai. Si nous n’avions pas ce service…» Il ajoute que l’usager veut, d’abord et avant tout, un service de mise à jour de son portefeuille, qu’à peine 10 % d’entre eux vont rechercher un degré de sophistication plus poussé. «Les gens sont davantage à l’affût de ce qui se passe. Ils sont plus vigilants et plus rapides à réagir à un événement. Mais s’ils veulent recevoir l’information plus rapidement, agissent-ils pour autant?» se demande-t-il.

Taux de fréquentation en novembre 2001(en visiteurs uniques,à partir du domicile)

Globe Investor 337 000
Cyberpresse 321 000
Quicken 283 000
Webfin 172 000
Stockhouse.ca 153 000
eMoney (non disponible)
Source : Jupiter Media Metrix Canada

• Ce texte est paru dans l’édition de février 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Gérard Bérubé