Prêt REER : à double tranchant

Par Jean-François Venne | 18 février 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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En 2010, les Québécois n’ont utilisé que 5 % de leurs droits de cotisation au REER, selon Statistique Canada. Cette année-là, un quart des citoyens québécois ont investi dans leur REER un montant médian de 2530 dollars. Plusieurs invoquent un manque de liquidités pour expliquer la faiblesse ou l’absence de cotisation. Emprunter pour investir peut donc devenir tentant.

Mais attention, ce type d’investissement ne convient pas à tous. « Il faut bien examiner la situation financière de ses clients, notamment leur endettement et leur tolérance au risque », avance Normand Caron, formateur au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).

De son côté, Maud Salomon, conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective à Mica Capital inc., voit généralement d’un bon œil cette stratégie, mais elle ne la propose qu’aux clients qui en saisissent bien le principe. « Le plus difficile, pour eux, est de comprendre qu’ils rembourseront un montant déjà investi », explique-t-elle. Elle n’hésite d’ailleurs pas à leur faire des dessins pour bien illustrer les mouvements d’argent occasionnés par une telle transaction.

En chiffres

  • En 2010, les Québécois ont versé un total de 7,7 millions de dollars dans leur REER.
  • Les particuliers ayant un revenu de 60 000 dollars ou plus représentent 38 % des cotisants, mais 63 % du total des cotisations au REER.
  • Source : Statistique Canada

EN TIRER LE MAXIMUM 

Plusieurs investisseurs contractent un prêt REER pour pallier un manque de liquidités. Imaginons un client dans la quarantaine, dont le taux d’imposition marginal est de 40 % et dont la capacité d’investissement est limitée à 3 000 dollars. En empruntant 2 000 $, il pourra investir 5 000 $ et utiliser le remboursement d’impôt de 2 000 $ pour couvrir son prêt. « Le manque de liquidités est toutefois le signe d’une mauvaise planification financière, souligne Denis Preston, CPA, CGA, FRM, Pl. Fin., formateur et consultant indépendant en gestion des risques. Le conseiller devrait les aider à bâtir un plan d’épargne solide, afin d’éviter que la situation ne se reproduise. »

D’autres clients visent plutôt l’effet de levier. Maud Salomon donne l’exemple d’un couple dans la vingtaine, planifiant l’acquisition d’une maison. « Les conjoints utiliseront le prêt REER pour maximiser leurs cotisations pendant cinq ans, puis investir la somme maximale de 25 000 $ permise dans le cadre du Régime d’accès à la propriété (RAP) comme mise de fonds sur leur habitation, explique-t-elle. Une stratégie intéressante, puisqu’elle vise à acquérir un actif. »

« Le prêt REER peut aussi servir ceux dont la retraite approche et qui prévoient une baisse importante de leur taux d’imposition marginal », avance Denis Preston. Il s’agit alors d’utiliser le levier fiscal, puisque les sommes retirées du REER à la retraite serviront à rembourser le prêt. Par exemple, un travailleur de 59 ans, dont le taux d’imposition marginal se situe à 40 %, contracte un prêt de 1 000 $ sur cinq ans, à un taux d’intérêt de 6 %. Il obtient un rendement de 6 % de son REER, mais bénéficie d’un niveau d’imposition inférieur (30 %) lors du retrait. Son investissement lui rapportera une valeur nette de 138 $.

Certains utiliseront le prêt REER pour bénéficier des intérêts composés en investissant une somme importante en début d’année, qu’ils rembourseront dans les mois suivants. Il est même possible de demander aux gouvernements fédéral et provincial de diminuer les ponctions fiscales sur le chèque de paie, en tenant compte, à l’avance, du crédit d’impôt lié au REER.

On le voit, le prêt REER convient mieux à des gens qui ont les reins solides financièrement, c’est pourquoi on l’évitera avec les clients surendettés. Toutefois, Maud Salomon voit une exception à cette règle. « Lorsqu’un client a une dette à un taux d’intérêt très élevé, par exemple sur une carte de crédit de magasin, il peut être avantageux pour lui de cotiser davantage à un REER, puis d’utiliser le remboursement d’impôt pour payer cette dette très coûteuse », croit-elle.

LA PRUDENCE EST DE MISE

Malgré ses bons côtés, cette stratégie demeure risquée. Le principal danger est de contracter un prêt dont le coût dépassera le rendement du placement. « Le rendement peut fluctuer, mais la dette, elle, devra être remboursée, prévient Robert Pouliot, expert en risque fiduciaire et chargé de cours à l’École des sciences de la gestion de l’UQÀM. Il ne faut pas que l’emprunt dépasse le gain fiscal. »

Affecter le remboursement d’impôt au paiement de la dette, c’est généralement ce qui est prévu dans le plan du conseiller… que le client ne suit pas toujours ! « Environ 60 % de mes clients utilisent leur remboursement d’impôt pour couvrir autre chose que leur prêt », confie Maud Salomon. Malgré les nombreux rappels qu’elle fait à des moments-clés, le remboursement d’impôt servira donc souvent à faire réparer l’auto, acheter le dernier iPhone ou partir dans le Sud!

Le conseiller doit aussi se garder de commettre certaines erreurs. Parmi les plus fréquentes, Maud Salomon mentionne qu’il ne faut pas proposer un trop gros prêt ou un prêt à très longue échéance. Plus le montant du prêt est élevé, plus les pertes seront importantes si ça tourne mal. Et plus l’échéance est longue, plus il est difficile de prévoir le rendement du placement.

De son côté, Robert Pouliot met en garde contre la tentation de se servir du prêt REER pour inciter les clients à investir davantage et ainsi gonfler sa commission. « Dans un contexte où les conseillers ont déjà mauvaise presse, après la crise de 2008 et divers scandales financiers, cela risque de nuire à la profession. » L’organisme FAIR Canada rapporte plusieurs recours collectifs contre des conseillers, liés à des investissements par emprunt, et exige un resserrement des règles encadrant ces transactions.

Lorsque le prêt REER ne convient pas, d’autres solutions peuvent être envisagées, dont la plus pertinente est généralement l’épargne systématique par sommes fixes. Celle-ci demeure le meilleur moyen d’investir sans devoir vivre avec les risques liés à un investissement par emprunt.

Jean-François Venne