Primeur : Fraudes de gestionnaires, les conseillers pris en souricière

Par André Giroux | 30 mai 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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C’est sur le terrain de l’assurance responsabilité professionnelle que pourrait se transporter le débat juridique de deux des plus importantes arnaques financières des dernières années, les affaires Norbourg et Mount Real.

En effet, le 23 février 2012, Services financiers Penson a déclaré ne pas avoir obtenu le mandat d’agir à titre de gardiens de valeurs dans l’affaire Mount Real. L’entreprise rejette donc toute responsabilité à son égard et retourne l’accusation contre dix représentants, un enjeu de 130 millions de dollars.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) poursuit déjà deux entreprises et 13 conseillers dans le dossier Norbourg, une affaire de 31,8 millions de dollars.

Dans les deux cas, la Lloyd’s est concernée à titre d’assureur en responsabilité professionnelle.

Fin février 2012, dans la foulée de l’affaire Mount Real, le cabinet d’avocats Borden Ladner Gervais a demandé à la Cour supérieure d’ajouter dix conseillers et leur assureur, la Lloyd’s, à la liste des défendeurs de ce recours collectif.

Rappelons qu’en août 2011, la Cour supérieure a autorisé l’exercice d’un recours collectif de 130 millions de dollars au nom de 1500 investisseurs. Me Philippe Trudel, du cabinet Trudel & Johnston, un cabinet spécialisé en recours collectif et l’un des trois procureurs des demandeurs, vise Lino Matteo, la tête dirigeante alléguée de cette opération, mais aussi Deloitte & Touche, BDO Dunwoody et Schwartz Levitsky Feldman à titre de vérificateurs, ainsi que B2B Trust, filiale de la Banque Laurentienne, et Services financiers Penson, ces deux derniers à titre de gardien de valeurs.

« Ce que nous reprochons essentiellement à ces cinq entreprises affirme Me Trudel, c’est qu’elles auraient pu détecter la fraude et sonner l’alarme. Ainsi, les investisseurs ne se seraient pas fait flouer. »

Dans sa procédure, Services financiers Penson invoque que « les représentants de SF IForum et de VM IForum ont agi à titre de conseillers financiers ou de courtiers remisiers pour la majorité des membres du Groupe [à l’origine du recours collectif] (…) Ces représentants du courtier remisier (…) auraient violé certaines réglementations applicables et posé des gestes fautifs ».

Au soutien de ses prétentions, Services financiers Penson invoque le Rapport provisoire de l’administrateur provisoire Jean Robillard, publié le 23 février 2006, et l’État de la situation et mise à jour que l’AMF communique sur son site web.

Les conseillers, plaide Services financiers Penson, « ont eu un comportement fautif à titre de représentants envers leurs clients membre du Groupe, entre autres en n’ayant pas vérifié et évalué les faits entourant l’investissement et/ou le caractère approprié de tel investissement, en ne s’assurant pas que les billets à ordre avaient fait l’objet d’un prospectus, en n’agissant pas à titre de représentants consciencieux et en n’expliquant pas les risques présentés par l’investissement à leurs clients. Selon la théorie de la demande, ce comportement a rendu possibles la fraude et le stratagème à la Ponzi ayant causé les dommages. »

« Nous sommes surpris que cette procédure arrive plusieurs années après les faits, réagit Me Marc Champagne, procureur de la Lloyd’s. Tout est nouveau pour nous. Mais il est étonnant que cette requête survienne cinq ans après le début des procédures, et six ou sept ans après les événements. La demande de Penson est-elle trop tardive? Ce sera à voir. »

« Le dossier principal en recours collectif devrait être prêt d’ici la fin de l’année 2012, estime Me Philippe Trudel, et nous espérons que le procès commencera en 2013. » La demande d’ajout de nombreux mis en cause (défendeurs, en pratique) ajoute à la complexité de ce dossier, d’où l’opposition des demandeurs. Le tribunal devrait trancher au plus tard à l’automne. Une possibilité d’appel de la décision subsiste, quelle qu’elle soit.

Lisez les prospectus! En octobre 2011, c’est l’AMF qui amendait sa poursuite intentée en 2008 dans le contexte de l’affaire Norbourg. En conformité avec l’entente intervenue dans le recours collectif, l’AMF a retiré Vincent Lacroix de sa poursuite. Ne restait donc que Groupe Futur, Norbourg Capital et 13 conseillers et leurs assureurs : la Lloyd’s, Natcan et AXA. Ainsi, l’AMF a maintenu son recours face aux représentants qui n’étaient pas défendeurs dans le recours collectif. En outre, ceux-ci ne font face à aucune poursuite pénale ou criminelle.

Dans sa procédure de plus de 400 paragraphes, l’AMF invoque notamment le conflit d’intérêts. « En effet, mentionne la poursuite, non seulement les conditions offertes pour ce faire étaient-elles généreuses mais, au surplus, les représentants défendeurs s’engageaient à transférer leurs actifs gérés dans les produits Norbourg. » Ce lien d’affaires n’aurait pas été divulgué aux investisseurs, affirme l’AMF.

« Les représentants défendeurs avaient l’obligation d’analyser attentivement les prospectus des fonds qu’ils entendaient offrir, plaide l’AMF. Or, un examen même sommaire des prospectus révélait le peu d’actifs détenus dans les fonds Norbourg, le peu d’historiques de rendement de ces fonds, que les habiletés de gestionnaire demeuraient à être démontrées et le nombre de produits disponibles était limité. (…) À la lumière de l’information disponible, un représentant prudent et diligent n’aurait donc pas investi une partie importante du portefeuille de ses clients dans les fonds Norbourg. (…) Les représentants défendeurs ont fait preuve de négligence en transférant une partie significative, voire même dans certains cas l’entièreté du portefeuille de leurs clients, dans les fonds Norbourg, sans les analyser avec l’objectivité et l’indépendance qu’ils doivent démontrer. » l’AMF ajoute que la presque totalité de ces fonds Norbourg provenait des 13 défendeurs, assurés par la Lloyd’s.

La riposte de la Lloyd’s Les procureurs de l’assureur se défendent, et ripostent. « Contrairement à ce que prétend l’AMF, à notre avis, ces représentants n’ont bénéficié d’aucun avantage particulier provenant de Norbourg, affirme Me Marc Champagne. Les allégations de liens étroits entre les représentants et Vincent Lacroix n’existent pas. L’AMF n’invoque aucune fraude et ne porte aucune accusation pénale ou criminelle. Aucun de ces représentants n’était employé de Norbourg. Personne ne faisait partie de la garde rapprochée de Vincent Lacroix. Ce sont des personnes provenant de diverses régions du Québec. La plupart ont appris ce qui se passait par l’intermédiaire des journaux ou de leurs clients. »

Les représentants n’admettent aucune faute professionnelle dans la gestion des fonds de leurs clients. « À l’époque, Morningstar cotait bien, même très bien, les fonds Norbourg, rappelle Me Champagne. Certains représentants ont vendu leur clientèle à Norbourg. La plupart des représentants n’ont pas transféré une part importante des actifs de leurs clients dans les fonds Norbourg. Même si cela avait été le cas, les pertes proviennent des détournements de fonds, pas du type de placements. »

La riposte de la Lloyd’s est aussi venue sous la forme d’une demande reconventionnelle : les représentants et la Lloyd’s poursuivent l’AMF. « Nous invoquons essentiellement les mêmes arguments que ceux invoqués dans le recours collectif, précise Me Champagne. Nous estimons que les indices que l’AMF possédait lui auraient permis d’intervenir plus tôt. Le scandale aurait ainsi été mis à jour quelques années plus tôt et les représentants poursuivis n’auraient pas subi les contrecoups auxquels ils ont dû faire face. Ils ont perdu leur réputation, des clients et des amitiés de longue date. Nombre de gens ne faisaient pas la différence entre ces représentants et Vincent Lacroix, alors qu’il en existe une importante. »

« Les préparatifs du procès devraient être complétés en septembre 2012, affirme le porte-parole de l’AMF Sylvain Théberge. Les délais de justice étant ce qu’ils sont, nous estimons que le procès ne commencera pas avant 2015. »

L’argent au FISF En cas de victoire, l’AMF remboursera-t-elle les conseillers qui ont subi une cotisation spéciale totalisant neuf millions de dollars? « À ce moment-ci, répond Sylvain Théberge, il est prématuré de présager du dénouement final de nos recours subrogatoires. Cela dit, toute somme d’argent ainsi perçue ira directement au Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF). Un dénouement favorable contribuera donc à une réduction des cotisations des participants au FISF. Dans cette éventualité, l’Autorité s’assurera que les répercussions de cette réduction soient équitable pour toutes les catégories de cotisants. »

Soulignons que cette cotisation spéciale a été abrogée en janvier 2012, le FISF étant renfloué.

André Giroux