Publicité : le combat de Serge Giard

Par Ronald McKenzie | 17 Décembre 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Serge Giard est un battant. Ce planificateur financier et conseiller en sécurité financière de Brossard a intenté, il y a plus de 11 ans, une poursuite de près de 9 millions de dollars contre Loto-Québec, La Presse et Le Journal de Montréal. Enfin, le procès sera instruit à partir du 25 janvier 2011. Il devrait durer environ huit jours.

Serge Giard accuse les trois entreprises d’avoir saboté son plan d’affaires en l’empêchant d’annoncer ses services comme bon lui semblait dans les deux journaux.

À l’époque, en 1998, il avait eu l’idée de faire publier ses annonces de services financiers à la même page où figurent les résultats des tirages de Loto-Québec. « Je visais précisément cette clientèle, les gagnants de lots », dit le bouillant conseiller. Son projet est mort dans l’oeuf, car Le Journal de Montréal d’abord, et La Presse ensuite, ont décidé unilatéralement déplacer les annonces de Serge Giard vers d’autres pages. « Pourtant, j’avais signé des contrats et payé le supplément qu’ils demandaient. » Pourquoi cette volte-face ? Parce que, apparemment, Loto-Québec craignait d’être associée à Serge Giard. « Il y a aussi d’autres histoires qui ressortiront durant le procès », promet-il.

Serge Giard allègue avoir subi des préjudices graves. Il dit aussi que sa liberté d’expression et sa liberté de commerce ont été entravées. Pour leur part, Loto-Québec, La Presse et Le Journal de Montréal nient toute responsabilité, comme le rapportait Rue Frontenac.com en novembre dernier.

Bien que les considérations juridiques de cette cause soient importantes, Conseiller.ca a voulu examiner certains aspects stratégiques de la démarche du président-fondateur de Plani-Gestion Serge Giard inc. Même si l’affaire est devant les tribunaux, Serge Giard a accepté de répondre à nos questions.

Conseiller.ca : D’où est venue cette idée de cibler les gagnants à la loterie ?

Serge Giard : En 1990, mon cousin a gagné 1 million de dollars à la loterie. Il avait remporté son prix en direct à la télévision. Comme bien des gens dans sa situation, il a vécu l’enfer par la suite. Il a été inondé de courrier, il s’est fait embêter par toutes sortes de commerçants qui voulaient lui vendre n’importe quoi, il a même reçu des menaces de mort s’il ne donnait pas tant d’argent à telle personne. Son beau-frère le sollicitait pour qu’il investisse dans des dépanneurs, et quoi encore. Mon cousin était un travailleur d’usine. Il n’était pas formé pour faire face à ce genre de pression.

Conseiller.ca : Et vous lui avez offert vos services ?

Serge Giard : En fait, c’est lui qui m’a demandé de l’aider. Je suis devenu son conseiller, en quelque sorte. Remarquez que j’avais déjà commencé à cibler cette clientèle. Peu de temps auparavant, une famille de Chambly avait gagné 8 millions de dollars. J’avais communiqué avec elle pour lui offrir mes services. On m’avait répondu que tout était réglé, que l’argent était placé. J’ai trouvé ça étrange. La famille gagne un gros montant et, trois jours plus tard, la totalité de la somme est déjà investie !

Conseiller.ca : Qu’avez-vous fait ?

Serge Giard : Eh bien, j’ai compris que les gagnants à la loterie, ce sont monsieur et madame tout-le-monde qui ont une connaissance limitée, voire inexistante, de l’industrie des services financiers. Ils reçoivent soudainement un gros montant, et ils commencent à se faire achaler par le premier venu. J’ai donc eu l’idée de fonder un cabinet qui les ciblerait spécifiquement pour les aider à organiser leurs finances. Et puis, il ne faut pas se le cacher, la possibilité de toucher des revenus intéressants est un facteur qui a pesé dans la balance.

Conseiller.ca : Vous étiez déjà en affaires, non ?

Serge Giard : Bien sûr. J’avais lancé mon cabinet Plani-Gestion Serge Giard inc. plusieurs années auparavant. Je sers des clients de tous horizons. Mais pour les gagnants à la loterie, j’ai fondé le cabinet Plani-Gestion Millionnaire inc.

Conseiller.ca : Vous avez donc mis des annonces dans les journaux…

Serge Giard : Pas au début. Pendant un an, j’ai peaufiné mon concept. J’ai bâti un site Internet, j’ai conclu des contrats avec le gouvernement du Québec pour vendre des obligations, j’ai pris des ententes avec la Banque Nationale, etc. J’ai ensuite développé la stratégie publicitaire. Mon numéro de téléphone était 285-LOTO. Ç’a pris des mois avant que je puisse l’obtenir !

Conseiller.ca : Comment sont arrivées les réclames dans Le Journal de Montréal et La Presse ?

Serge Giard : Loto-Québec refusait de me donner les coordonnées des gagnants à la loterie, car ce sont des informations confidentielles. J’ai donc décidé de les joindre par les journaux, en y affichant mes services précisément dans la page où sont affichés les résultats des tirages.

Conseiller.ca : Ces quotidiens ont-ils manifesté des réserves ?

Serge Giard : Pas du tout. Ils ont même dit que mon idée était excellente ! La seule chose, c’est qu’il fallait que je débourse un supplément pour que mes annonces apparaissent dans une page spécifique.

Conseiller.ca : Et ç’a marché ?

Serge Giard : J’ai eu un succès inespéré… auprès des médias. J’ai passé des entrevues dans les grandes stations de radio, CJRC en Outaouais, CKVL à Montréal. Tout le monde trouvait mon concept original.

Conseiller.ca : Mais des gagnants à la loterie ?

Serge Giard : Non, car durant les semaines au cours desquelles mes annonces sont parues, il n’y a pas eu de gagnants. Par la suite, Loto-Québec a exercé des pressions pour faire déplacer mes annonces. Elles ont abouti dans des pages où elles avaient peu de visibilité pour la clientèle que je visais. Résultat : je n’ai pas eu de clients.

Conseiller.ca : Qu’avez-vous fait alors ?

Serge Giard : Eh bien, j’ai rencontré les responsables de la publicité au Journal de Montréal et à La Presse pour exprimer mon mécontentement. On m’a dit qu’ils ne pouvaient rien faire pour moi. À La Presse, ce fut encore plus troublant qu’au Journal de Montréal. En effet, après qu’on m’eut annoncé que ma publicité serait envoyée ailleurs (malgré le contrat signé), on a fait paraître, dans la page même des résultats de Loto-Québec, une réclame d’une grande institution financière ! Drôle de coïncidence, non ? Tout ça a été déposé en cour.

Conseiller.ca : Comment avez-vous réagi ?

Serge Giard : J’ai demandé à Bernard Landry [ministre des Finances à l’époque] d’instituer une enquête sur les agissements de Loto-Québec, qui, à mon avis, n’a pas le droit d’intervenir dans des affaires privées. J’ai aussi porté plainte au Bureau de la concurrence. Les deux ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire. J’ai donc porté plainte au Protecteur du citoyen, en vain également. J’ai donc dû intenter des poursuites. C’est une question de principes, de liberté d’expression et de liberté de commerce.

Conseiller.ca : Combien avez-vous perdu dans cette histoire ?

Serge Giard : Environ 20 000 $. Sans compter les revenus que j’aurais pu tirer de la clientèle.

Conseiller.ca : À ce propos, vous réclamez près de 9 millions de dollars. Comment justifiez-vous ce montant ?

Serge Giard : Cette somme est estimative. Le marché des gains de loterie au pays est de 900 millions de dollars. Or, je suis le seul au Canada ne cibler que les gagnants à la loterie. Si j’élimine ceux qui remportent des petits lots, les personnes qui feront affaire avec les institutions financières, etc., j’arrive à 8,9 millions. Et puis, si mes annonces avaient marché, qui dit que je n’aurais pas fait 15 millions de dollars ? Je connais une dame qui a remporté 20 millions de dollars à la loto. Si j’avais pu l’avoir comme cliente, j’aurais touché des commissions d’au moins 500 000 $. Avec un tel montant, je pourrais faire de la publicité à la radio et à la télé. Si le juge m’accorde un montant que je considère comme déraisonnable, j’interjetterai appel de sa décision.

Conseiller.ca : Si vous remportez le procès, relancerez-vous votre stratégie de marketing ?

Serge Giard : Oui, mais je crois que mon chien est mort. Je suis persuadé qu’ils vont trouver d’autres excuses pour m’empêcher d’annoncer comme bon me semble.

Conseiller.ca : Que ferez-vous si vous perdez ?

Serge Giard : Je ne peux pas perdre ! Tous les témoignages que nous avons recueillis sont en faveur de ma cause. J’ai les aveux et les preuves de bris de contrat. Tout !

Conseiller.ca : Quelles recommandations faites-vous aux jeunes conseillers qui cherchent à implanter une stratégie de marketing ?

Serge Giard : [Après réflexion] Qu’ils ciblent leur clientèle le mieux possible et qu’ils persévèrent.

Ronald McKenzie