Quand la démographie influence les finances

Par Lili Marin | 5 avril 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de juillet-août 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus a triplé lors du dernier demi-siècle et devrait encore doubler dans le quart de siècle à venir. Statistique Canada prévoit que la génération du baby-boom aura un profond impact sur la population canadienne au cours des 25 prochaines années. Ces changements démographiques majeurs pèseront sans doute sur la planification financière personnelle, croient les experts qui ont accepté de regarder dans leur boule de cristal pour nous.

Premier constat : le vieillissement de la population laisserait augurer de bonnes affaires aux conseillers financiers, qui sont plus nombreux qu’ils ne l’ont jamais été. Il existe en effet une corrélation entre la quantité d’épargne dont les gens disposent et leur âge. «Plus âgée devient la population, plus on s’attend à ce qu’elle ait épargné et qu’elle ait de l’argent à investir», note Charles Fevaer, vice-président à la recherche, marché des consommateurs, pour le Groupe Investors.

«Les gens qui offrent des produits se positionnent pour une demande accrue», renchérit Jean-Richard Laurence, directeur de la Chaire en Planification Financière de l’École de Comptabilité de l’Université Laval. Il soutient du même souffle qu’il y a une prise de conscience de l’importance de la planification financière. Pourtant, trois personnes sur cinq de 50 ans et plus se disent peu ou pas intéressées à approfondir leurs connaissances en cette matière, révélait en avril dernier un sondage de la Commission des valeurs mobilières du Québec réalisé par la firme Léger Marketing.

Premier constat : le vieillissement de la population laisserait augurer de bonnes affaires aux conseillers financiers,qui sont plus nombreux qu’ils ne l’ont jamais été.

UNE DÉMARCHE DE PLUS EN PLUS PERSONNELLE

Autrefois, la majorité des travailleurs participaient à la caisse de retraite de leur compagnie. Les retenues étaient faites directement sur le salaire; ils pouvaient donc dépenser le reste de leur argent tout en amassant un capital de retraite. Or, si la tendance se maintient, les régimes de retraite des entreprises deviendront de moins en moins généreux, estime Charles Fevaer. «Cela devient de plus en plus important d’épargner des sommes additionnelles, surtout quand on change d’emploi souvent.»

Pour Martin Dupras, du Groupe-conseil Aon, ce ne sont pas tant les changements démographiques qui auront un impact important sur la planification financière que l’évolution du marché du travail. «D’une part, les carrières ne durent plus 25-30 ans, mais plutôt 6-7 ans, faitil remarquer. Cette précarité fait en sorte que l’individu n’a pas le choix de se prendre en main plus rapidement. D’autre part, les jeunes n’entreprennent plus leurs carrières à 18-20 ans, mais à 22, 23 ou 24 ans. Leur entrée sur le marché du travail est retardée, et ils sont endettés.»

Il ne faut pas minimiser le rôle de ces facteurs, croit Jean-Richard Laurence, car tout ce qui empêche de regarder à long terme l’évolution d’un foyer familial perturbe la planification financière. Si celle-ci passe d’abord par le remboursement des dettes, elle ne s’attaque pas nécessairement ensuite à la question de la retraite. «Pire que ça, souvent, en arrivant sur le marché du travail, le premier réflexe va être d’acheter une voiture, par exemple, donc de s’endetter encore plus», affirme Martin Dupras, ajoutant que le particulier moyen, en règle générale, s’il n’a pas une obligation d’épargner, ne le fera pas.

L’immobilier serait un bon moyen de le faire, surtout avec le Régime d’accession à la propriété, pense CarolAnn Taillefer, conseillère à Valeurs mobilières Desjardins. «On emprunte pour son REER et on fait sa mise de fonds pour une maison, explique-t-elle. Dans 15 ans, le REER sera remboursé, cela aura été de l’épargne forcée.» Qui plus est, cela s’inscrit bien dans une stratégie de diversification du portefeuille.

Avec une vie professionnelle parsemée de périodes sans emploi, comme un retour aux études, un investisseur n’aura pas nécessairement le temps ni les moyens de se bâtir un capital de retraite très important. «Le risque qu’il court — qui est dramatique! —, c’est d’arriver pauvre à la retraite ou carrément de ne pas avoir les moyens de se retirer et, à un moment donné, d’être poussé à la sortie, pas parce qu’il est financièrement prêt, mais parce qu’il n’a plus les capacités physiques ou autres d’effectuer les tâches reliées à son emploi», prévient Martin Dupras.

LIBERTÉ 55?

La planification financière ne serait pas chose plus ardue pour les investisseurs d’aujourd’hui que pour ceux d’il y a 10 ou 20 ans, au contraire, estime Charles Fevaer. «Il s’agit essentiellement de calculer combien d’argent dont on aura besoin. Ce qui est difficile, c’est de l’épargner!» D’après les données des sondages effectués pour le Groupe Investors, l’âge auquel les Canadiens prévoient prendre leur retraite aurait légèrement augmenté depuis la chute des valeurs technologiques. Bye-bye! Liberté 55…

«De plus en plus de gens vont se dire que ce n’est pas le mode de vie qu’ils veulent, parce que le revenu de leurs épargnes ne sera pas assez élevé, considère Charles Fevaer. Cette année et l’année prochaine, les gens qui envisagent sérieusement la retraite se rendront compte que la situation est plus difficile qu’elle ne l’était il y a cinq ans.»

C’est sans compter que l’espérance de vie des Canadiens s’est accrue. «Depuis que j’ai commencé à travailler en valeurs mobilières, il y a plus de sept ans, raconte Stéphane Guillot, conseiller à Valeurs mobilières Desjardins, l’espérance de vie a augmenté de trois à six ans. Avant, les gens prenaient leur retraite à 65 ans et décédaient à 70 ou 75 ans. Ça ne leur prenait donc pas beaucoup de capital pour survivre entre 5 et 10 ans. Si nous prenons notre retraite à 65 ans, mais que nous vivons jusqu’à 90 ans, ça va en prendre du capital.» D’après lui, ce n’est pas garanti que les futurs retraités vont consommer moins. «Peut-être serons-nous surpris dans 10 ans de voir comment on peut bien vieillir.»

Par ailleurs, les départs massifs à la retraite des babyboomers risquent de laisser plusieurs postes vacants, les plus jeunes travailleurs n’étant pas assez nombreux pour les combler. «Depuis 10 ans, on assiste à une explosion des offres de départ à la retraite à 59 ou 60 ans, même à 55 ans parfois, constate Martin Dupras. Il est très possible que dans 10 ou 15 ans ce soit l’inverse : les compagnies, par peur de manque de main-d’œuvre, pourraient mettre de l’argent sur la table pour que les gens restent.»

LES CAISSES DE RETRAITE À SEC

Le vieillissement de la population a fait craindre, il y a quelques années, l’assèchement des caisses de retraite publiques. Avant de se retrouver Gros-Jean comme devant, la Régie des rentes du Québec a décidé de hausser considérablement son taux de cotisation. De 3,6 % qu’il était en 1966 à la création du Régime, il passera à 9,9 % en 2003. Cela ne devrait toutefois pas diminuer le montant que les particuliers pourront investir ailleurs. «Parallèlement à ça, les impôts ont baissé un petit peu, de même que les cotisations à l’assurance-emploi, indique Martin Dupras. Il n’y a donc pas beaucoup d’impact sur le chèque de paye.» Quant aux prestations versées aux retraités, même si leur nombre augmentera au Québec jusqu’aux environs de 2030, le taux de remplacement du revenu du travail du Régime de rentes restera à 25%, jusqu’à un maximum de gains admissibles qui était de 38 300$ en 2001.

Le gouvernement fédéral a procédé à des rajustements semblables en 1998 afin de faire face aux projections démographiques. «Depuis, deux analyses trimestrielles de l’actuaire en chef ont démontré que ces mesures nous placent sur la bonne voie et que nos objectifs à long terme seront atteints», assure Nancy Lawand, directrice des politiques de programmes pour le Régime de pensions du Canada. Le taux de cotisation passera lui aussi à 9,9% en 2003 et demeurera à ce niveau pour 70 ans.

Les risques seraient davantage du côté des caisses de retraite des entreprises, prévient Martin Dupras. En raison des rendements faramineux que plusieurs ont enregistrés depuis une dizaine d’années, certaines se sont trouvées en situation excédentaire et les régimes ont été bonifiés, parfois même de façon anticipée. Or, «s’il y a moins de cotisants au régime que de prestataires et que, parallèlement à cela, les rendements sont normaux, cela fera peut-être en sorte que les régimes ne seront plus bonifiés comme ils l’ont été depuis 10 ans».

LA FISCALITÉ DANS TOUT ÇA

Si la planification financière consiste à faire économiser ou reporter de l’impôt, les riches baby-boomers voient de nouvelles avenues s’offrir à eux. Jean-Richard Laurence, qui a rédigé son mémoire de maîtrise sur la planification des dons, cite l’exemple des crédits d’impôt accordés à ceux qui donnent des actions ou d’importantes sommes d’argent à des institutions d’enseignement ou de santé. «La personne se retrouve avec un avantage fiscal qu’on ne retrouvait pas auparavant au Canada», souligne-t-il.

Les plus vieux d’entre eux cotisent aujourd’hui au maximum à leur REER. «Il y aura de plus en plus d’activité du côté des comptes d’investissements ouverts», prévoit Charles Fevaer. Cela devient problématique par rapport à l’impôt, d’autant plus qu’à l’âge de 55 ans les gens font face au plus haut niveau d’imposition parce qu’ils ont un revenu élevé.

«Il y a environ 25 ans, les limites fiscales visaient les Canadiens qui faisaient six ou sept fois le salaire moyen, donc on pouvait les considérer comme riches, rappelle Martin Dupras. De nos jours, elles touchent les Canadiens gagnant 75 000$ par année. C’est un bon salaire, mais on n’est pas riches avec ça. Ces gens-là n’ont pas accès à un plein levier fiscal pour leur épargne-retraite et ils vont devoir se tourner vers autre chose. Il se peut qu’il y ait une recrudescence de produits financiers hors REER, comme le Capital régional et coopératif Desjardins, qui procure un certain crédit d’impôt (50%).»

Si la planification financière consiste à faire économiser ou reporter de l’impôt,les riches baby-boomers voient de nouvelles avenues s’offrir à eux.

POUR LA SUITE DU MONDE

Qui paiera l’impôt au moment d’un don successoral? Cette question promet d’occuper davantage les conseillers financiers dans les années à venir. L’argent que les babyboomers ont accumulé pourrait venir donner un coup de pouce à leur progéniture aux prises avec des emplois pré- caires. Encore faudra-t-il qu’il soit légué… «Prenez quelqu’un qui a aujourd’hui 50 ans, dit Martin Dupras. Toute sa vie, il a travaillé et il arrive à la retraite avec une richesse accumulée. Les chances sont bonnes qu’il conserve ce mode de vie. Bien sûr qu’il est plus riche que son fils de 25 ans, mais il a aussi été habitué toute sa vie à être plus riche que ses propres parents, de qui il n’a à peu près rien hérité. Est-ce qu’il va mettre beaucoup d’importance sur le fait d’en laisser à ses enfants?» Les réponses au sondage du Groupe Investors sur ce qui motive les gens à investir permettent d’en douter : seulement une personne interrogée sur quatre a dit investir dans le but de constituer un patrimoine à léguer à ses héritiers.

Pour Jean-Richard Laurence, il ne fait aucun doute que la planification de la santé sera déterminante pour la prochaine vague de retraités. Charles Fevaer abonde dans le même sens. «Les gens plus âgés vont être davantage préoccupés par les maladies qui affectent la santé mentale, comme celle de l’Alzheimer. L’assurance liée à l’inaptitude prendra plus d’importance.»

Du côté de ces dames

Martin Dupras,du Groupe-conseil Aon,est d’avis que la retraite est plus difficile à planifier pour une femme qui ne participe pas à une caisse de retraite. «Ça va lui prendre jusqu’à 7 % de plus de capital qu’un homme du même âge pour avoir le même niveau de vie,parce que,statistiquement,elle vivra plus longtemps.» Quatre années de plus en moyenne,d’après les chiffres de l’analyse actuarielle du Régime de rentes du Québec au 31 décembre 2000.

Cela n’inquiète pas pour autant Carol-Ann Taillefer, de Valeurs mobilières Desjardins. «Je me regarde : je suis une femme et je pense que nous,les femmes,sommes de plus en plus averties, que nous sommes éduquées et que nous occupons de plus en plus des postes de cadres.Nous sommes habituées maintenant à gérer nos finances. Les femmes de plus de 50 ans sont peut-être encore désavantagées mais pas les plus jeunes.»

Réalisé en 1998 par Gallup Canada pour le compte du Groupe Investors, un sondage confirme d’ailleurs que près de 70 % des femmes s’attendent à être financièrement autonomes à la retraite,par rapport à 80,2 % des hommes. Une femme sur trois bénéficie de son propre régime de retraite d’employeur. En outre, plus de la moitié de toutes les femmes interrogées ont dit détenir un REER ou un FERR, en comparaison à seulement 38 % en1992.


• Ce texte est paru dans l’édition de juillet-août 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Lili Marin