Quand les Américains font la loi… au Canada

Par Jean-François Venne | 20 mai 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La lutte américaine à l’évasion fiscale est devenue le problème de toutes les institutions financières du monde après l’adoption, en 2010, de la loi FATCA. Elle touche directement les conseillers d’ici en égratignant la confidentialité devant normalement régner entre leurs clients et eux.

« Les États-Unis et l’Érythrée sont les deux seuls pays au monde à imposer les particuliers sur la base de la citoyenneté plutôt que sur celle du pays de résidence », rappelle Me Roanne Bratz, associée chez Stikeman Elliott.

Ajoutez à cela la tendance américaine à adopter des lois dont l’application ne se limite pas aux frontières des États-Unis et vous obtenez FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), un tournant majeur dans la législation fiscale américaine. L’imposition sur la base de la citoyenneté a longtemps été peu appliquée aux citoyens ne vivant pas aux États-Unis, en raison de la difficulté à identifier leurs sources de revenus.

« Dorénavant, le gouvernement américain met ces gens à contribution, mais place le fardeau de les débusquer sur les épaules des institutions financières des autres pays », souligne Me Bratz.

UNE ENTENTE… ET UNE POURSUITE

La loi FATCA oblige les institutions financières étrangères à lui fournir des données détaillées sur les « personnes américaines » parmi leurs clients, c’est-à-dire les individus citoyens ou résidents des États-Unis, les sociétés constituées aux États-Unis ou selon la législation de ce pays, certains types de fiducie ou encore les successions de défunts citoyens ou résidents des États-Unis. Si elles ne le font pas, les institutions financières s’exposent à ce que l’Internal Revenue Service (IRS) retienne 30 % de leurs propres revenus en territoire américain.

Devant la levée de boucliers qu’a suscitée sa loi, le gouvernement américain a négocié des accords intergouvernementaux (AIG) avec plusieurs pays. Plus de quarante pays ont signé une telle entente jusqu’à maintenant. Celle ratifiée par le Canada est entrée en vigueur le 27 juin 2014. Elle fait déjà l’objet d’une poursuite en justice de Virginia Hillis et Gwendolyn Louise Deegan, deux résidentes de l’Ontario s’estimant discriminées en vertu de la Charte des droits et libertés du Canada.

« La principale différence entre la FATCA et l’AIG est que les institutions financières transmettront désormais les renseignements à l’Agence du revenu du Canada, et non à l’IRS, note François Bernier, directeur, planification fiscale et successorale à Placements Mackenzie. L’entente prévoit aussi des exemptions pour certains types d’institutions et de comptes financiers. »

La Banque centrale du Canada, les organisations internationales et les fonds de retraite ne sont pas touchés par la loi. Idem pour les institutions possédant moins de 175 M $ sous gestion. D’autres, comme les banques locales ou celles n’ayant aucun compte dépassant 50 000 $, ont des exigences réduites.

FAIRE LE TRI PARMI SES CLIENTS

Mais les autres banques, coopératives, firmes d’investissements, compagnies d’assurance ou fonds communs et leurs agents ou courtiers doivent se conformer à la loi. Ils devront éplucher leurs comptes existants et leurs nouveaux comptes, à l’affût de tout indice pouvant laisser croire que le client est une « personne américaine » (preuve de citoyenneté ou résidence américaine, lieu de naissance, adresse, numéro de téléphone, ordre de virement, procuration).

« L’intensité des vérifications dépend de la valeur du compte », précise François Bernier.

L’AIG stipule que la recherche ne portera que sur les données électroniques des comptes valant de 50 000 à 1 000 000 $. Mais pour ceux excédant ce montant, l’institution devra aussi aller fouiner dans les dossiers papier qu’elle détient. Tout compte comportant un indice sera considéré comme un « compte déclarant américain », à moins que le titulaire puisse apporter une preuve qu’il n’est pas une personne américaine (formulaire W-8 de l’IRS, passeport non américain ou copie du certificat de perte de la nationalité américaine).

Pour les comptes de faible valeur, l’examen doit être terminé au 30 juin 2016, alors que pour ceux de plus grande valeur, la date limite a été fixée au 30 juin 2015.

ET LES SNOWBIRDS ?

Les snowbirds canadiens pourraient devoir prouver qu’ils ne sont pas des personnes américaines ou remplir un formulaire de l’IRS. En effet, le fisc américain considère toute personne ayant été présente sur son sol plus de 182 jours par année au cours des trois dernières années comme un résident américain.

La manière de calculer le tout est toutefois très particulière. Le fisc américain additionne tous les jours passés aux États-Unis pendant l’année en cours, mais y ajoute aussi le tiers des journées de l’année précédente et le sixième des journées de la deuxième année précédente. Ce qui a pour effet de placer la limite réelle à 122 jours par année sur trois ans.

Pas de panique toutefois. Les snowbirds n’ont qu’à remplir le formulaire 8840 pour remettre les pendules à l’heure. Néanmoins, s’ils ont passé plus de 182 jours aux États-Unis dans la dernière année, ils ne peuvent bénéficier de cette mesure d’exception.

LA FATCA SE GÉNÉRALISE

Bien que désagréable pour les institutions financières, cette loi pourrait faire des petits. « Plusieurs autres pays sont intéressés à instaurer une loi similaire », souligne Me Judith Charbonneau Kaplan, avocate chez Stikeman Elliott.

En avril 2013, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grande-Bretagne ont annoncé leur intention de mettre en place un système d’information semblable à celui de la FATCA.

De plus, 49 États membres de l’OCDE ont signé le 29 octobre 2014 un texte prévoyant la mise en place d’un échange automatique de données fiscales sur les contribuables, et ce, partout dans le monde. Cet accord sera effectif en 2017 pour les 49 « premiers adoptants » et un an plus tard pour une cinquantaine d’autres pays, qui se sont dits prêts à suivre ce mode de fonctionnement. Aussi bien s’y faire, ce nouveau procédé semble là pour rester !

Comptes non assujettis à examen, à identification ou à déclaration

On entend plusieurs sortes d’excuses pour tenter d’expliquer la falsification de signatures, observe Michel Mailloux, formateur en déontologie auprès des conseillers :

  • Compte de dépôt avec un solde de moins de 50 000 $ ;
  • Contrat d’assurance dont la valeur de rachat est de moins de 50 000 $.

Comptes et produits exclus du champ d’application de la loi

  • Régimes enregistrés (REER, FERR, RPAC, RPA, CELI, REEI, REEE) ;
  • Régime de participation différée aux bénéfices (RPDB) ;
  • Agri-investissement ;
  • Arrangements de services funéraires ;
  • Comptes de garantie bloqués.



Pour aller plus loin

Accord bilatéral Canada et États-Unis d’Amérique

www.fin.gc.ca > Sujets > Conventions fiscales > 2014 > Entrée en vigueur de l’Accord d’échange de renseignements entre le Canada et les États-Unis

• Ce texte est paru dans l’édition de mai 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Jean-François Venne