Quand les quotas de vente poussent à la faute

Par Jean-François Venne | 19 Décembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Récemment, des employés de Wells Fargo se sont fait prendre à ouvrir des comptes pour des clients sans mettre ces derniers au courant, alors que des travailleurs de la compagnie d’assurance Prudential faisaient de même avec des polices d’assurance contractées sans le consentement des clients. Dans les deux cas, les employés cherchaient à atteindre des quotas de vente très ambitieux imposés par leur employeur. Cas isolés ou mauvaise stratégie? Conseiller en a discuté avec le professeur de l’École des sciences de la gestion de l’UQÀM Jacques Forest, spécialiste de ces questions.

Conseiller : Avez-vous été surpris en prenant connaissance des cas de Wells Fargo et de Prudential?

Jacques Forest : Pas du tout! Quand on sait comment l’humain fonctionne, on ne s’étonne pas que d’appuyer sur les mauvais boutons donne de mauvais résultats. Il y a beaucoup de littérature scientifique qui démontre que les incitatifs purement financiers, comme les bonis, ou encore les mesures de contrôle, comme les quotas de vente, aboutissent souvent à des conséquences fâcheuses. Ils favorisent la quantité au détriment de la qualité ou de l’intérêt des clients, et encouragent des comportements peu souhaitables, voire carrément le contournement des règles.

Les exemples abondent. Un article du chercheur Herman Aguinis donnait celui d’un producteur de légumes en boîte qui avait décidé de donner des bonis aux employés pour les insectes qu’ils retiraient de la chaîne de production. C’est un comportement souhaitable. L’entreprise ne veut pas que des insectes se retrouvent dans ses boîtes de légumes. Sauf que les employés se sont mis à emporter des insectes de l’extérieur pour ensuite les placer dans les chaînes de production, afin de pouvoir les reprendre et toucher une plus grosse prime!

Un autre cas recensé est celui d’un garage qui offrait un boni aux employés pour chaque pare-brise remplacé. Les employés se sont fait prendre à briser les pare-brise des voitures sur les lieux, afin de pouvoir les remplacer et toucher leur prime.

Les quotas et les bonis sont non seulement inefficaces, mais ils sont contre-productifs sur le plan commercial et financier. Les déboires de Wells Fargo et Prudential auront des coûts financiers, comme le remboursement de nombreux clients, mais ces entreprises voient surtout leur réputation entachée.

C : Y a-t-il d’autres aspects négatifs à ces incitatifs?

JF : Ils encouragent des comportements peu désirables et créent un environnement de travail malsain. À Wells Fargo, on constate que certains employés ont voulu faire taire les lanceurs d’alerte et acheter leur silence. Or, ce sont des collègues de travail. On imagine l’ambiance. De plus, comment peuvent réagir les employés qui ont de la difficulté à atteindre leurs quotas et qui constatent que ceux qui trichent pour les atteindre sont, dans les faits, récompensés?

Au fond, le problème réside dans l’intention de ceux qui créent ce type d’incitatifs. Est-ce qu’ils le font pour offrir un meilleur service aux clients? Non. Ils le font simplement pour augmenter leurs ventes. Beaucoup de gestionnaires croient que les incitatifs financiers sont magiques, qu’ils vont automatiquement augmenter la performance. C’est qu’ils comprennent mal ce qui motive les employés.

C : C’est-à-dire?

JF : En gros, il y a deux bons types de motivations et deux autres qui laissent à désirer. Les motivations positives sont : le fait de prendre plaisir à un travail que l’on juge intéressant et de considérer son travail important. Quand l’on croit en quelque chose, qu’on s’investit dans quelque chose que l’on estime plus large que soi, on ne voit pas le temps passer et c’est bénéfique pour soi et pour l’organisation.

À l’inverse, la motivation axée sur l’ego et sur l’argent ou les récompenses est plus négative. En insistant trop là-dessus, on nuit au travailleur, à ses collègues, aux clients et, ultimement, à l’entreprise. Les quotas sont en fait moins des incitatifs que des éléments de contrôle, lesquels mettent de la pression sur les employés. Cela mène trop souvent à des cas comme ceux de Wells Fargo et Prudential. Personne n’y gagne.

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Jean-François Venne