Qui profitera des modifications fiscales du gouvernement Trudeau?

Par Alec Castonguay, L’actualité | 3 Décembre 2015 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Cet article est paru sur lactualite.com le 1er décembre.

La session parlementaire débute cette semaine à Ottawa. Elle sera courte, à peine quelques jours, mais suffisamment longue pour commencer à modifier les fourchettes d’imposition de la classe moyenne et des plus fortunés, tel que promis par le Parti libéral en campagne électorale. Ensuite, lors du dépôt du budget, en février ou mars, le gouvernement Trudeau modifiera les allocations pour les enfants.

À qui profitera l’ensemble de ces mesures, qui constituent le cœur des promesses fiscales du nouveau gouvernement? Aux moins riches? À la classe moyenne? Aux familles? Aux personnes sans enfant à charge?

La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke s’est penchée sur la question. Les chercheurs Luc Godbout, Suzie St-Cerny et Antoine Genest-Grégoire viennent de produire un document de 52 pages qui scrute l’effet des promesses libérales sur différents types de familles.

Au final, il s’avère que les grands gagnants des réformes à venir du gouvernement Trudeau sont les couples avec deux enfants qui ont un revenu familial entre 50 000 $ et 75 000 $ par année. Les perdants sont ceux qui font plus de 217 000 $ par année… et le gouvernement du Québec!

Avant d’entrer dans les détails pour les particuliers, un mot sur la mauvaise surprise qui attend le gouvernement du Québec. Les chercheurs estiment que Québec perdra entre 175 millions $ et 184 millions $ par année. Pourquoi? C’est que le gouvernement Trudeau remplacera la Prestation universelle pour garde d’enfants (PUGE) mise en place par le gouvernement Harper — le 160 $ par mois par enfant de moins de 6 ans — par une nouvelle Allocation aux enfants. La nouvelle formule sera non imposable, alors que la précédente était imposable. Le gouvernement du Québec appliquait donc son impôt provincial sur l’argent versé par Ottawa aux familles. Ce ne sera plus possible, ce qui signifie un manque à gagner assez important.

Dans le cas des particuliers, commençons par les modifications à l’impôt sur le revenu. Le gouvernement Trudeau a promis que la fourchette de revenu entre 44 701 $ et 89 401 $ ne serait plus imposée à 22 %, mais plutôt à 20,5 %. Une baisse de 1,5 point. En clair, tous ceux qui font moins de 44 700 $ ne bénéficieront pas d’une baisse d’impôt, alors que tous ceux qui font plus, même les plus riches, verront leur impôt fédéral diminuer un peu.

Par contre, le gouvernement va ajouter un nouveau palier d’imposition à ceux qui font plus de 200 000 $ par année. À partir de ce revenu, l’impôt sera de 33 %, plutôt que 29 % auparavant. Une hausse de 4 points.

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Le gouvernement Trudeau va également éliminer le fractionnement du revenu pour les couples avec enfant, une mesure introduite par le gouvernement Harper en janvier 2015.

Voici un tableau qui résume les gains et les pertes pour différents types de particuliers et de familles une fois les modifications effectuées par le gouvernement Trudeau.

Économie d’impôt fédéral après les modifications du gouvernement Trudeau

25 G$ 50 G$ 75 G$ 100 G$ 150 G$ 250 G$ 500 G$
Personne seule 0 $ 66 $ 379 $ 560 $ 560 $ -1 110 $ -9 460 $
Couple sans enfants, un revenu 0 $ 66 $ 379 $ 560 $ 560 $ -1 110 $ -9 460 $
Couple sans enfants, deux revenus 0 $ 0 $ 4 $ 192 $ 751 $ 1 120 $ -2 220 $
Couple deux enfants, un revenu 0 $ 0 $ 101 $ 560 $ 560 $ -1 110 $ -9 460 $
Couple deux enfants, deux revenus 0 $ 0 $ 0 $ 166 $ 792 $ 1 120 $ -2 308 $
Famille monoparentale avec un enfant 0 $ 66 $ 379 $ 560 $ 560 $ -1 110 $ -9 460 $

En ce qui concerne les modifications à l’impôt, l’analyse de la Chaire de recherche montre que les grands gagnants sont les couples avec et sans enfant, dont les deux personnes travaillent, et qui ont un revenu annuel d’environ 250 000 $. Dans les deux cas, ils vont économiser 1 120 $ par année (560 $ par personne).

À partir de 50 000 $ de revenu, le citoyen commence à en profiter (faiblement, avec 66 $ d’économie). Entre 75 000 $ et 217 000 $ de revenu, tout le monde y gagne, ou presque.

À partir de 217 000 $, la facture d’impôt sera plus salée pour la plupart des familles et des particuliers (sauf pour les deux exceptions gagnantes que je viens de mentionner). Les grands perdants gagnent plus de 300 000 $.

(Fait à noter, si le Parti libéral avait décidé d’augmenter le montant annuel de base non imposable, qui est de 11 327 $ au fédéral, tous les contribuables en auraient bénéficié, du pauvre jusqu’au plus riche… donc y compris ceux qui font moins de 44 701 $. Les 0 $ du tableau ci-dessus se seraient transformés en gains. Mais comme le message libéral pendant la campagne électorale se voulait très politique, centré sur la classe moyenne, et non sur les moins nantis, ces derniers n’obtiennent rien s’ils n’ont pas d’enfant à charge.)

Dans le cas de la nouvelle Allocation canadienne aux enfants, non imposable, elle remplacera trois mesures existantes : la PUGE, la Prestation canadienne pour enfants (PFCE) et le Supplément de la prestation nationale (SPN).

La nouvelle mouture sera plus généreuse pour les bas revenus, mais moins pour les familles de la classe moyenne supérieure.

L’Allocation canadienne aux enfants (ACE) sera de 6 400 $ par année, pour chaque enfant de moins de six ans, et de 5 400 $ par année par enfant de 6 à 17 ans. Cette nouvelle allocation sera ajustée en fonction du revenu familial et du nombre d’enfants. Elle s’éliminera progressivement. Pour un couple avec deux enfants, dont les deux parents travaillent, l’ACE cesse d’exister à 167 000 $ de revenu familial.

Voici un tableau qui montre la variation du revenu disponible au Québec après les modifications fédérales à l’impôt et aux prestations pour enfants.

Variation totale du revenu disponible, après les modifications à l’impôt et aux prestations pour enfants

25 G$ 50 G$ 75 G$ 100 G$ 150 G$ 250 G$ 500 G$
Personne seule 0 $ 66 $ 379 $ 560 $ 560 $ -1 110 $ -9 460 $
Couple sans enfants, un revenu 0 $ 66 $ 379 $ 560 $ 560 $ -1 110 $ -9 460 $
Couple sans enfants, deux revenus 0 $ 0 $ 4 $ 192 $ 751 $ 1 120 $ -2 220 $
Couple avec deux enfants, deux revenus 2 041 $ 4 583 $ 3 069 $ 2 779 $ 1 679 $ – 599 $ -3 541 $
Couple avec deux enfants, un revenu 2 197 $ 4 340 $ 1 793 $ 1 598 $ – 422 $ -4 667 $ -13 017 $
Famille monoparentale avec un enfant 1 221 $ 2 446 $ 1 929 $ 1 911 $ 760 $ -2 295 $ -10 645 $

Une fois tout prit en compte, l’analyse de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke montre que les familles avec enfants qui récoltent un revenu annuel de 50 000 $ sortent vainqueurs de l’exercice, avec des gains entre 4 340 $ et 4 583 $. Ils s’en sortent mieux que les familles moins nanties qui frôlent le seuil de la pauvreté, à 25 000 $ de revenu, parce que ces derniers n’ont pas droit à une baisse d’impôt, seulement à l’Allocation canadienne aux enfants bonifiée.

Les couples qui travaillent, avec un revenu élevé de 250 000 $, mais sans enfant à charge, sont les seuls gagnants parmi les plus riches, avec un gain de 1120 $.

Pour ceux qui se demandent pourquoi le couple avec deux enfants, avec un seul revenu de 150 000 $, est le perdant dans cette catégorie (- 422 $), c’est en raison de l’abolition du fractionnement du revenu pour les couples avec enfants. Une formule qui profitait aux couples où l’un des parents reste à la maison, alors que l’autre fait des revenus élevés.

Les auteurs de l’étude écrivent : « Seulement un couple sur dix avec enfants (10 %), peu importe la répartition du revenu ou le nombre d’enfants, ont un revenu d’emploi de plus de 150 000 $. » La vaste majorité des citoyens au Québec se retrouve donc quelque part dans les cinq premiers scénarios de familles types de l’étude et va faire des gains.

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Les chercheurs ajoutent : « Sur la base des revenus d’emploi, c’est vraiment un très faible pourcentage de personnes seules et de familles monoparentales qui subira une hausse de fardeau fiscal après la mise en place des modifications proposées. » Certains ne gagneront rien, mais peu de citoyens seront perdants.

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Alec Castonguay, L’actualité