Regard sur la fiscalité au cours des 10 dernières années

Par Gérard Bérubé | 1 juin 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Yves Chartrand est un chroniqueur de la première heure au magazine Conseiller. Ce fiscaliste et fondateur du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF) est un passionné. Il nous parle d’une fiscalité devenue plus opaque, qui renferme une série de mesures pouvant facilement échapper au regard moins averti. L’illusion de la facilité et de la simplicité favorise le fisc. L’absence d’une vue d’ensemble de la situation et d’une vue globale des répercussions potentielles vient renforcer les difficultés.

Diriez-vous que la fiscalité a évolué vers la simplicité au cours des dix dernières années ?

La fiscalité a tout fait sauf se simplifier. Plus précisément, la fiscalité des entreprises a changé totalement, et le fardeau fiscal a baissé fortement depuis 2000. Mais les particuliers, même s’il y a eu amélioration du fardeau fiscal, ont vu naître plus de programmes, une multitude de crédits liés au revenu. Une augmentation du revenu peut facilement affecter jusqu’à 60 mesures. Il y a tellement de ramifications et d’incidences sur le fardeau réel que les tables d’imposition ne veulent plus rien dire, que les répercussions fiscales d’un revenu supplémentaire n’ont plus rien à voir avec les tables.

Il est donc de plus en plus difficile de s’y retrouver pour un particulier.

Le système n’a jamais été aussi opaque. Pour le particulier, c’est plus difficile. Avec la prolifération des programmes, dès qu’on quitte le seuil du revenu modeste… La clé est de comprendre ce qu’on fait, d’avoir une vue d’ensemble. Le cours offert par le CQFF comporte 1100 pages dans le segment « Impôts des particuliers ». Celui des entreprises et des fiducies renferme 600 pages, qu’on efface et recommence chaque année. Simplement à la famille éclatée, le cours consacre 65 pages. Il y a une multitude d’exceptions.

Nous nous appuyons également sur les interprétations techniques. J’en cite 1750. C’est vous dire ! Ces interprétations techniques me rendent bien savant.

Il est donc illusoire de croire que l’on peut compléter sa déclaration seul. Mais que penser des logiciels ?

Le fisc va même jusqu’à proposer de transmettre sa déclaration par téléphone. Cela contribue à l’illusion de facilité. Alors, pourquoi faire appel à un spécialiste et encourir des frais si c’est si simple ? Il n’y a pas un expert qui remplirait sa déclaration « à la mitaine ». Or, plus de 1,4 million de contribuables québécois le font, et même de 2,5 à 2,8 millions, si l’on ajoute le recours aux logiciels. C’est un piège à cons ! Le régime fiscal est plein de remises de toutes sortes. Les structures familiales sont plus complexes. Il y a également beaucoup plus de familles reconstituées. Qui va dire ce à quoi elles ont droit ou n’ont pas droit ?

Je me rappelle l’histoire d’un travailleur autonome qui a vu ses revenus chuter de 150 000 $ à 35 000 $ avec la récession. Il lui restait 16 000 $ de déductions. Plusieurs auraient dit à ce travailleur d’attendre une remontée de ses revenus avant d’utiliser ses déductions. Or, au contraire, ses revenus plus faibles ont produit une récupération de 58 % sur les derniers 16 000 $.

Avez-vous d’autres exemples des possibilités ayant pu nous échapper ?

Saviez-vous que, pour 2000 et 2001 seulement, les personnes souffrant d’allergies alimentaires avaient droit à un crédit pour personne handicapée de 2500 $ (pour les deux années) par adulte, et de 3500 $ par enfant ? Que la vente d’un chalet peut entrer dans le calcul de l’exemption du gain en capital sur une résidence principale ? Saviez-vous que selon votre revenu, les frais médicaux peuvent être récupérés jusqu’à 82,5 % ? Pour le crédit d’impôt à la rénovation, que dire de cette confusion entre la date des travaux et le déboursé ? Et que dire de la mise à part de l’argent ! Je dirais aussi à une mère monoparentale gagnant un revenu de 30 000 $ de ne pas se trouver un chum gagnant 50 000 $ ou 60 000 $, car elle perd l’accès à tous les programmes.

Parlant de la mise à part de l’argent, vous êtes un précurseur dans son application. D’où cela vous est-il venu ?

C’est arrivé à la suite de la décision Singleton, rendue par la Cour suprême du Canada. J’ai assisté à une présentation d’un représentant de Revenu Canada qui nous parlait de la mise à part de l’argent. Je n’avais jamais entendu ce mot-là. Si la décision Singleton impliquait la présence d’un actif dans la transformation d’une dépense d’intérêt, le représentant nous disait qu’un travailleur autonome pouvait obtenir le même effet uniquement en jonglant entre un compte-recettes et un compte-déboursés. J’ai fait confirmer trois fois plutôt qu’une. J’ai ensuite fait préparer une décision anticipée, afin de ne pas être confronté à l’évitement. Cette décision a été reçue à la fin de février 2003. Elle nous sert bien depuis.

Il y a dix ans, vous évoquiez 24 erreurs fiscales courantes commises par les particuliers. Qu’en serait-il aujourd’hui ?

Je parlais de 24 erreurs, comme cela. Mais aujourd’hui, ce serait 110 erreurs, occasionnelles ou fréquentes. Quelque 7500 personnes viennent au cours. Dans le segment « Impôts des particuliers », 2800 personnes, essentiellement des professionnels comptables, ont suivi le cours. Dans le segment « Entreprises », 4700 l’ont fait, la moitié étant des comptables et l’autre, des planificateurs financiers. Personnellement je dois me mettre à jour quotidiennement, et j’ai toutes les misères du monde à y parvenir !

Il est donc illusoire de croire qu’un conseiller peut jouer les fiscalistes auprès de ses clients ?

Dans ma formation auprès des conseillers, je leur donne des conseils pragmatiques. Je leur dis qu’ils peuvent allumer des lumières, semer des réflexes. Cela étant, le conseiller n’a pas le temps de fouiller. En revanche, des fiscalistes, il y en a très peu. Au-delà des pseudo-experts, une majorité ne s’intéresse pas à l’impôt des particuliers. La fiscalité est un emploi à plein temps. Et comme dans d’autres domaines, l’expertise se décortique en spécialités, avec des fiscalistes spécialisés en TPS-TVQ, d’autres en R&D, d’autres en fiscalité internationale…

Et que dire des fonctionnaires répondant aux questions des contribuables ?

J’appelle cela les « 1 800 mauvaises réponses ». Du moins, c’est eux que j’appellerais en dernier. L’économiste Luc Godbout a déjà dévoilé les conclusions d’un sondage réalisé en 2001 indiquant un taux de mauvaises réponses des fonctionnaires du fisc de 37 %. Nous avons réalisé un sondage en 1995 auprès d’un échantillon peut-être dix fois plus important, et nous sommes arrivés à ce pourcentage de 37 %.

Êtes-vous fréquemment consulté par les autorités fiscales ?

J’ai plutôt des échanges avec le ministère des Finances. Je fais des propositions de changement législatif lorsque le bon sens l’impose. J’ai des discussions avec eux, comme suite à des points ou à des éléments que je leur ai soumis.

Que déplorez-vous de notre régime fiscal ?

Il n’y a rien qui me fâche plus que de voir un retraité propriétaire d’une terre agricole de 3 millions de dollars recevoir un supplément de revenu garanti. Je veux dire par là que notre régime cible les revenus. Or, il n’y a pas que cet indice qui signale la richesse. Le fait d’avoir des actifs devrait également être pris en compte. Mais ces programmes sociaux allant en se multipliant sont basés sur les revenus. Il y a également des limites à taxer les riches. L’idée de l’ajout d’un palier pour les plus riches a fait son chemin. Il a été démontré qu’un taux marginal passant de 48,2 % à 62 % rapporterait 1 milliard de dollars. Mais en pratique, la population composant ce segment est tellement mobile qu’elle éviterait tout simplement le Québec. La réalité consiste plutôt à taxer ceux qui gagnent le plus et qui ne sont pas mobiles.

J’ai également de la difficulté avec tous ces crédits d’impôt pour les entreprises. Ces crédits sont pour les « quêteux ». Ils encouragent les « perdants ». Les entreprises vont poser les gestes appropriés qui répondent à leur logique d’affaires, qu’il y ait ou non des incitatifs fiscaux.

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Gérard Bérubé