Rencontres au sommet : comment conseiller les dirigeants d’entreprises

Par Nicolas Ritoux | 17 juillet 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les dirigeants d’entreprises sont une clientèle complexe. Seul, l’humble conseiller ne peut leur offrir une approche intégrée de leur entreprise, de leur patrimoine et de leur famille. Cette grosse bouchée doit être partagée avec d’autres. Le défi : collaborer avec une équipe d’alliés stratégiques tout en devenant le chouchou du client.

Quand j’ai commencé il y a 30 ans, j’étais impressionné par les conseillers en assurance vie qui offraient des services haut de gamme à des clients fortunés dont l’actif principal était des actions de sociétés. Leur approche holistique de planification était d’avant-garde pour l’époque », se souvient Jean-Guy Grenier, conseiller principal en planification fiscale, financière et successorale chez Desjardins.

« Les comptables comme moi ont surtout été formés à bien gérer des entreprises. Ce sont vraiment les assureurs-vie qui ont ouvert la voie à la gestion du patrimoine global, incluant l’entreprise, mais aussi l’individu et sa famille. C’est par ces professionnels-là que j’ai appris à approcher la clientèle des dirigeants. »

La clé : se concentrer sur les besoins du client plutôt que sur des produits particuliers. « La bonne façon de les aborder est de leur offrir une complémentarité aux services qu’ils ont déjà, explique Jean-Guy Grenier. Pour cela, il faut leur démontrer qu’on est capable de penser comme un généraliste, tout en maintenant une approche de spécialiste. »

Les entrepreneurs ont deux préoccupations majeures : les produits exclusifs auxquels leurs revenus leur permettent d’accéder, et le transfert de leur entreprise. « Ils ne peuvent pas prendre leur retraite avant d’avoir résolu cette préoccupation », insiste M. Grenier.

L’union fait la force Devant l’ampleur de tels dossiers, un seul conseiller ne suffit pas à la tâche. Pour offrir une vraie multidisciplinarité à cette clientèle complexe, il faut savoir travailler en équipe. « La planification individuelle d’un dirigeant est assujettie à ce qui se passe dans l’entreprise, résume André Buteau, conseiller à la Financière Liberté 55. On fait face à un système entremêlé où il est impossible de travailler en vase clos. Ça prend de la collaboration pour s’adapter à tous les scénarios et agencer tous les morceaux du puzzle. »

C’est pour cette raison que le cabinet Lafond et Associés, spécialisé dans les dirigeants de PME, a réuni une grande variété d’expertises sous un même toit. « Nous avons identifié 16 disciplines de base dans le conseil aux dirigeants. Pour chaque projet, nous nommons un directeur de stratégie qui doit être capable de valider chacune de ces disciplines », explique le président Robert Lafond.

À défaut d’avoir un cabinet structuré, on peut créer des équipes ad hoc. « Un conseiller qui vise la clientèle des entrepreneurs devrait commencer par bâtir un réseau d’experts pour lui prêter main-forte quand les dossiers se présentent, recommande André Buteau. J’inclurais là-dedans des avocats fiscalistes, des notaires et des comptables qui sont compétents, sur qui je peux compter. »

Jean-Guy Grenier prend l’exemple d’une planification successorale. « Avant de suggérer des solutions d’assurances de personne, je dois entrer en communication avec le notaire qui fait la succession, le comptable, etc. Ces gens ont des informations auxquelles je n’ai pas accès; nous devons partager notre stratégie quand vient le temps de proposer un montant d’assurance, un type de produit et l’endroit où le placer. »

« Certaines divulgations nécessitent une autorisation du client, comme son dossier médical, connu par le conseiller en assurance, ou ses litiges en cours, connus par le conseiller juridique. Il faut penser à poser toutes les questions à tout le monde », avertit M. Grenier.

Le pied dans la porte Une fois l’équipe mise en place, comment constituer cette clientèle plutôt difficile d’accès? « Dans mon cas, ça a commencé en suivant l’évolution de mes clients qui étaient cadres puis se sont lancés en affaires, dit André Buteau. Parfois, ce sont des comptables ou des avocats qui me réfèrent parce que j’ai réponse à certaines questions qu’ils ne connaissent pas. »

Les références sont une bonne occasion de démontrer d’emblée les qualités uniques du planificateur financier. « J’ai récemment ouvert un dossier référé par un professionnel du financement d’entreprises, qui pensait à moi pour l’assurance collective; mais il s’est avéré que la priorité était de protéger adéquatement les deux actionnaires face à l’entreprise, raconte M. Buteau. Ils avaient une bonne base, mais étaient sollicités de toutes parts et ne savaient plus qui écouter. Grâce à ma référence, j’ai eu l’occasion de poser les bonnes questions au client sans avoir à me présenter au préalable. »

« L’idéal est de prendre les dirigeants au début de leur développement, insiste Jean-Guy Grenier. Si vous arrivez dans une entreprise de 250 employés, ils ont déjà tous leurs experts en place et ça va être un défi de leur apporter une valeur ajoutée en complémentarité. Il faut trouver le créneau qui n’est pas déjà couvert par l’expertise du comptable, du fiscaliste ou de l’avocat. »

« J’ai jadis pensé que la bonne porte pour les approcher était les solutions fiscales, mais il ne faut pas se limiter à cela. C’est aussi important d’avoir les compétences que de savoir s’allier avec les gens qui les ont. Pour avoir le privilège d’être considéré comme le conseiller principal, il faut démontrer sa capacité à croiser les compétences à la manière d’un chef d’orchestre, au sein d’une équipe qui gravite autour du client », observe M. Grenier.

L’une des forces du planificateur, c’est aussi l’aspect humain. Un bon conseiller sait deviner les émotions qui ne paraissent pas au premier abord.

« Au départ, la préoccupation des dirigeants est souvent de payer trop d’impôt. Nous devons les aider à se constituer des économies en étant fiscalement efficace. Une entreprise a plus d’outils fiscaux à sa portée, elle peut légitimement épargner de l’impôt de nombreuses façons; c’est de l’argent en plus à faire fructifier », dit Jean-Guy Grenier.

« Mais avec le temps, un entrepreneur qui a connu la prospérité et le succès va aussi donner de l’importance à la quiétude d’esprit, l’harmonie familiale et l’équilibre dans la répartition de son temps. Il faut être à l’affût de ces préoccupations lors de la planification. »

Vu du client Du point de vue du client, à quoi ressemble le candidat idéal? « Quand le conseiller arrive dans le portrait, on veut s’assurer qu’il est documenté, compétent, généreux de son temps même si nous n’en avons pas de notre côté, et qu’il a accès à des ressources plus spécialisées au besoin. Ce sera à lui de s’occuper de les préparer pour ne pas perdre de temps », explique Mario Leblanc, homme d’affaires montréalais qui a fondé plusieurs entreprises nationales et internationales, dont certaines cotées en Bourse.

« L’erreur à ne pas faire, c’est d’essayer de me vendre un produit. Je ne veux pas contracter telle ou telle assurance; je veux avoir accès à ce qui se fait de mieux dans le marché. J’ai cinq minutes pour comprendre, alors il faut être capable de bien m’expliquer mes choix en anticipant mes attentes, les sommes dont je parle, mes projets, mes priorités à court et moyen termes, et ma sensibilité. Celui qui peut lire ça prend une longueur d’avance. »

« L’autre aspect qui me séduit, c’est l’expérience propre du conseiller, poursuit Mario Leblanc. S’il a déjà testé pour lui-même les solutions dont il me parle, même si ce n’est pas à la même échelle, ça nous donne une base de comparaison qui me met en confiance. »

Gare aux voleurs de clients! Quand on partage un client avec d’autres conseillers, on court immédiatement le risque de se faire voler la vedette. C’est ce qui est arrivé à André Buteau, à deux reprises.

« Dans un cas, mon client avait besoin de financement et la banque lui a tordu le bras pour qu’il fasse affaire avec eux plutôt que moi pour son assurance collective. Ce n’était pas mon partenaire, mais c’était un joueur qui savait que j’étais là, et qui a voulu tout avoir pour lui, raconte M. Buteau. Mais dans la plupart des relations que j’ai avec les entrepreneurs, c’est assez rare que je me fasse déloger. »

« Comme dans n’importe quel domaine, quand on vole le client d’un autre, c’est parce qu’on manque d’éthique, juge Jean-Guy Grenier. Quand on a une bonne relation avec le client et qu’on lui offre un bon service en toute transparence, ça bâtit une crédibilité qui est difficile à détruire. Moi, je serais incapable de prendre un client à un autre conseiller. Si des clients insatisfaits viennent me voir, par collégialité je vais défendre l’autre conseiller en appuyant ses choix; à condition qu’il soit compétent, bien sûr! En règle générale, ce n’est juste pas élégant d’envier les clients des autres. »

Les clés de la fidélité Un dirigeant d’entreprise est souvent exposé à des sollicitations; chaque fois, il doit se trouver une bonne raison de garder son conseiller. Comment s’assurer qu’un client reste satisfait et ne va pas voir ailleurs?

Pour Mario Leblanc, trois qualités sont essentielles. « D’abord, mon conseiller doit répondre quand je l’appelle. Si j’ai 1300 employés et que je suis coté en Bourse, je n’ai pas de temps à perdre, mais j’ai beaucoup à investir! Ensuite, il devrait tester au préalable les solutions qu’il me propose. Enfin, j’aime qu’il me fournisse toutes les informations utiles, incluant des sources extérieures à sa firme, pour que je me fasse une idée neutre avec des points de vue diversifiés. »

« J’ai connu plusieurs conseillers et je dirais qu’un sur cinq présentait ces trois qualités, poursuit M. Leblanc. Mon conseiller doit être un champion sur le plan de l’expertise, mais il doit aussi être un agent de changement. Ce n’est pas une question de diplôme. C’est une question d’attitude.

Cet article est tiré de l’édition de mars du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Nicholas Ritoux

Nicolas Ritoux

Nicolas Ritoux est journaliste indépendant. Il collabore à Conseiller.ca depuis 2009.