Rénovations et déductibilité des dépenses : rien de moins sûr!

21 février 2010 | Dernière mise à jour le 21 février 2010
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Votre client est peut-être propriétaire d’un immeuble locatif qui a fait l’objet de rénovations. Sans même se questionner, il compte déduire ces dépenses de son revenu, considérant qu’elles étaient nécessaires. Eh bien sachez que ce n’est pas si simple; les règles entourant la déductibilité de ces dépenses sont complexes. Chaque cas étant particulier, il convient de faire la distinction entre une dépense courante, laquelle est déductible, et une dépense en capital, laquelle s’ajoute plutôt au coût d’acquisition de l’immeuble.

Principe général de la détermination de la nature d’une dépense¹

De façon générale, une dépense engagée pour effectuer une réparation ou pour faire l’entretien d’un bien est considérée comme une dépense courante. Elle est déductible dans le calcul du revenu d’un contribuable provenant de ce bien.

À l’opposé, une dépense engagée dans le but de faire l’acquisition d’un bien, d’y faire un ajout ou d’y apporter une amélioration est généralement considérée comme une dépense en capital. Elle n’est pas déductible dans le calcul du revenu provenant de la location du bien et doit plutôt être ajoutée au coût du bien.

En 1987, la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Le sous-ministre du Revenu du Québec c. Goyer², a conclu : « Aussi longtemps qu’on ne crée pas un bien capital nouveau, qu’on n’accroît pas la valeur capitale normale du bien et qu’on ne remplace pas un bien disparu par un autre, il s’agit de réparation et d’entretien tendant à ramener le capital à sa valeur précisément normale. »

Les lignes directrices

Les critères qui peuvent servir à déterminer la nature d’une dépense ont été définis dans le Bulletin d’interprétation IT-128R³. Ils sont les suivants :

1. Avantage durable Lorsqu’une dépense est engagée « une fois pour toutes et en vue de créer un bien ou un avantage pour le bénéfice durable d’une entreprise », elle est généralement considérée comme une dépense en capital. A contrario, lorsqu’il est vraisemblable que de nouvelles dépenses du genre seront engagées pour remplacer ou renouveler un article en particulier parce que son utilité ne dépassera pas une période relativement courte, il s’agirait d’une dépense courante.

2. Entretien ou amélioration Lorsqu’une dépense est engagée dans le seul but de restaurer le bien à son état d’origine, c’est bien une indication qu’il s’agit d’une dépense courante. Mais lorsqu’elle a pour résultat d’améliorer sensiblement le bien par rapport à ce qu’il était à l’origine, par exemple, un nouveau plancher plus durable et de meilleure qualité que l’ancien, il faut considérer la dépense comme une dépense en capital. Attention, ici les autorités précisent que le fait que l’immeuble ait augmenté de valeur ou non à la suite de la dépense n’est pas un facteur important dans la décision, bien qu’à notre avis cet élément puisse peser dans la balance dans certaines situations. Si la dépense comprend à la fois des éléments de dépense courante et de dépense en capital, il faut établir la répartition en conséquence.

3. Partie intégrante ou bien séparé Si la dépense a été engagée pour réparer une partie d’un bien, il s’agirait vraisemblablement d’une dépense courante; cependant, si la dépense a été faite pour acquérir un bien qui constitue en soi un bien distinct, alors il s’agirait d’une dépense en capital.

4. Valeur relative Il faudra peut-être tenir compte du montant de la dépense par rapport à la valeur du bien entier ou par rapport à la moyenne des frais d’entretien et de réparation déjà engagés, particulièrement lorsque le remplacement en soi peut être considéré comme un bien vendable distinct. Par exemple, bien qu’une bougie dans un moteur puisse être un tel bien, on ne pourrait considérer son coût de remplacement autrement que comme une dépense « courante »; mais, si le moteur lui-même est remplacé, la dépense ne vise pas un bien vendable distinct mais peut être très importante par rapport à la valeur totale du bien dont le moteur fait partie et donc, la dépense serait considérée comme une dépense en capital.

5. Acquisition d’un bien usagé Lorsque la dépense sert à acquérir un bien usagé et qu’il est nécessaire d’y apporter des réparations ou d’y remplacer des pièces pour le remettre en état afin qu’il puisse être utilisé, le coût de ces travaux est considéré comme une dépense en capital, même si, dans d’autres circonstances, il serait une dépense courante.

6. Perspective de vente Les réparations faites en prévision de la vente du bien ou comme condition de vente seront considérées comme des dépenses en capital, cependant, si les réparations étaient prévues de toute façon et que la vente a été négociée pendant le cours des réparations ou après qu’elles soient terminées, leur coût doit être classé comme si aucune vente n’avait été prévue.

Il faut savoir que chaque situation demande une analyse particulière et que ces critères constituent un guide et non une règle absolue. Également, ce n’est pas parce que l’un ou l’autre des critères permet de conclure que la dépense est en capital, par exemple, qu’elle sera nécessairement qualifiée ainsi; il faut tenir compte de l’ensemble de la situation.

L’arrêt Shabro

La jurisprudence sur le sujet est nombreuse et il ne nous est pas possible d’en faire la nomenclature ici, mais celle qui est souvent utilisée par les autorités fiscales pour qualifier la nature de la dépense est certainement l’arrêt Shabro4.

Dans cette cause, la Cour d’appel fédérale a conclu que le remplacement du plancher d’un immeuble locatif, pour pallier des vices structurels, par un plancher mieux adapté aux conditions du terrain constituait la création d’un bien différent. Le juge Jackett, au nom de la Cour d’appel fédérale, a mentionné que le plancher avait été remplacé par un bien dont les caractéristiques structurelles étaient clairement différentes et, par conséquent, qu’il ne s’agissait pas que d’une simple réparation. L’ancien solage ne pouvait plus supporter les torsions qu’entraînait l’instabilité du sol sur lequel le bâtiment reposait. La Cour a conclu que la dépense relative au nouveau plancher était de nature capitale. Cependant, les travaux d’électricité et de plomberie occasionnés par la réparation du plancher étaient de nature courante.

De façon générale, la Cour a conclu qu’une dépense est de nature capitale lorsqu’elle est attribuable à des travaux entraînant une amélioration à la structure d’un bâtiment.

Il faut cependant noter que le problème était connu lors de la construction et que, si les travaux avaient été faits au départ, la dépense n’aurait pas eu à être effectuée par la suite. Il faut donc se servir de cet arrêt avec prudence lorsque la nature d’une dépense doit être analysée.

Conclusion

La question de savoir si une dépense est de nature courante ou de nature capitale demeure une question de fait devant être déterminée en fonction des circonstances particulières à chaque situation. De façon générale, les autorités appliqueront les critères établis dans le bulletin d’interprétation ainsi que dans l’arrêt Shabro. Cependant, cela ne veut pas dire que ces règles ne sont pas réfutables.

Après la réalisation des travaux, nous ne pouvons que recommander au contribuable avisé de calculer le coût des dépenses qu’il considère en capital et celles qu’il qualifierait de courantes et donc, de faire un calcul en bonne et due forme pour les répartir, afin d’atténuer les problèmes fiscaux qui pourraient survenir à la suite de la production de sa déclaration de revenus.

But de la dépense Dépense en capital c. dépense courante
Dépense qui procure un avantage durable / Dépense pour remplacer ou renouveler un article (utilité de courte durée) Dépense en capital / Dépense courante
Restaurer un bien pour le remettre dans son état d’origine / Dépense qui améliore le bien par rapport à son état d’origine (meilleure qualité) Dépense courante / Dépense en capital
Dépense pour réparer une partie d’un bien / Dépense pour acquérir un bien distinct Dépense courante / Dépense en capital
Une partie de la dépense totale est une dépense en capital, mais elle représente un montant peu élevé Dépense courante pour le montant total de la dépense selon la position de l’Agence
Réparation importante, mais qui constitue en fait une accumulation de petits travaux qui seraient des dépenses courantes s’ils avaient été effectués au moment prévu Dépense courante

Quelques exemples

Comme nous le mentionnions, il existe un grand nombre de jurisprudences sur le sujet. Voici quelques exemples tirés de bulletins d’interprétation, de causes et d’interprétations techniques concernant des dépenses effectuées couramment.

  • Remplacement des fenêtres, du toit ou de la tuyauterie Une dépense engagée pour le remplacement de toutes les fenêtres d’un immeuble ou pour la réfection du toit ou de la tuyauterie sera considérée comme une dépense courante et sera admise en déduction si elle n’a pour effet que de ramener l’immeuble à sa valeur normale. Cependant, si un contribuable acquiert un immeuble à un prix inférieur à sa valeur normale et que, en raison de l’état du bien lors de l’acquisition, il doit engager une dépense pour ramener l’immeuble à sa valeur normale, cette dépense est une dépense en capital et doit être ajoutée au coût du bien.
  • Ajout d’un foyer ou un garage L’ajout d’un foyer ou d’un garage à un immeuble constituera une dépense en capital qui devra être ajoutée au coût du bien, car il y aura alors accroissement de la valeur normale de l’immeuble.
  • Remplacement d’un mur de soutènement Des travaux ayant pour but de refaire le mur de soutènement existant qui est actuellement en mauvais état seront considérés comme des dépenses de nature courante s’ils ont pour but de ramener l’immeuble à sa valeur normale. Par contre, si ces dépenses visent à construire un mur de soutènement qui n’existait pas auparavant, il s’agirait d’un ajout ayant pour effet d’améliorer le bien et ces dépenses seraient plutôt en capital.

Odile St-Hilaire est notaire fiscaliste.


1. Bulletin d’interprétation IMP. 128-4/ R2, Location d’immeubles – Dépenses de nature courante et dépenses en capital, le 30 décembre 2009. 2. 1987 CanLII 538 (Qc C.A.). 3. IT-128R – Déduction pour amortissement – Biens amortissables, le 21 mai 1985. 4. Shabro Investments Limited v. Her Majesty the Queen, [1979] C.T.C. 125 79 D.T.C. 5104