Rentes viagères : sortir des oubliettes

26 février 2014 | Dernière mise à jour le 26 février 2014
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Femme ayant l'air découragée à la vue de son portefeuille vide, ses cartes de crédit et de la petite monnaie.
Photo : Doucefleur / iStock

La rente n’a pas la cote. Pourtant, dans certaines situations, elle se révèle un outil intéressant et rassurant. Regard sur un produit financier souffrant d’un problème d’image.

« Les rentes sont moins populaires qu’avant auprès des conseillers en services financiers et de leurs clients », admet Daniel Faubert, directeur adjoint du Centre financier agence Labelle, à Laval. Il y voit plusieurs raisons, dont la baisse des taux d’intérêt, laquelle diminue le rendement de l’assureur sur la somme payée par le rentier. L’assureur offrira donc à ce dernier des versements mensuels moins élevés. Cela peut rendre le produit moins compétitif par rapport au marché boursier.

L’allongement de la vie vient aussi modifier les calculs. Selon l’Institut de la statistique du Québec, l’espérance de vie à la naissance est passée de 77,3 ans en 1992 à 81,8 ans en 2011, et continue d’augmenter. Or, plus l’assureur prévoit verser une rente longtemps, plus celle-ci coûtera cher à l’investisseur. D’ailleurs, le budget fédéral de 2012 imposait aux assureurs d’utiliser les tables de mortalité de 1986 à 1992 de l’Institut canadien des actuaires, plutôt que celles de 1969 à 1975, dans certains calculs, afin de mieux refléter cette réalité.

De plus, de nouvelles règles obligent les assureurs à conserver dans leurs coffres une plus forte capitalisation, pour diminuer les risques de faillite. Il faut ajouter à cela le fait que certains conseillers hésitent à vendre ces produits pour lesquels ils n’encaissent qu’une seule commission et qui leur font, en quelque sorte, perdre un client (puisqu’ils n’ont plus à gérer ses actifs).

Tout semble se conjuguer pour diminuer l’attrait des rentes.

Moderniser la rente

Pourtant, selon Marie-Claude Poulin, directrice épargne et retraite individuelle à l’Industrielle Alliance, le plus gros frein à l’achat d’une rente pourrait bien être… psychologique ! « Les gens craignent de prendre une part importante des économies de toute une vie pour la confier à un assureur en échange d’un montant mensuel viager, dit-elle. Le fait de ne plus avoir accès à ce capital, par exemple en cas de pépin, les fait beaucoup hésiter. »

La crainte de priver sa succession d’une partie de son héritage est aussi fréquente, poursuit-elle. Si une personne achète une rente au coût de 200 000 $ et décède deux ans plus tard, c’est en effet très peu avantageux pour les héritiers. Un investisseur peut toutefois souscrire une assurance vie au montant du capital investi dans la rente. À son décès, les bénéficiaires récupéreront donc l’investissement. Une rente garantie ou réversible permet aussi de laisser une part de la rente au conjoint.

Marie-Claude Poulin ajoute que le fait de perdre de vue le capital est aussi un obstacle. Alors que le décaissement d’un FERR est transparent, c’est-à-dire que l’on voit le capital baisser chaque mois, ce n’est généralement pas le cas pour la rente. « Pour répondre à ces angoisses des investisseurs, il faudra redoubler d’imagination et développer des rentes plus flexibles et transparentes, qui pourraient, par exemple, offrir un accès à une partie du capital. Mais il y aura un coût à cela », prévient-elle.

Sun Life, le plus gros vendeur de rentes au pays avec 43 % des parts du marché, a déjà franchi un premier pas en ce sens en lançant, en janvier 2013, la rente SunFlex. « Elle procure à la fois un revenu garanti et un potentiel de croissance, en raison d’une exposition partielle aux marchés financiers, explique Amélie Laferrière, directrice des ventes de produits de gestion de patrimoine à Placements mondiaux Sun Life. En plus du revenu minimum viager garanti, l’investisseur a la possibilité de recevoir un revenu boni lié au rendement des fonds choisis, et conserve un accès au capital en cas de changement de ses besoins.

Reste que le principal avantage de la rente, c’est la paix d’esprit. « Pour les investisseurs un peu plus prudents souhaitant miser sur une certaine stabilité, c’est un produit idéal », soutient Amélie Laferrière. Il ne s’agit pas tant de convertir tous leurs actifs en rente que d’en sécuriser une proportion. « La rente fait partie d’une stratégie globale, lance-t-elle. On met une partie de nos actifs à l’abri du risque, et on laisse l’autre partie exposée aux marchés pour bénéficier d’une croissance éventuelle. »

Pour illustrer ce point, Daniel Faubert cite le cas d’une cliente pour laquelle il a récemment comparé les avantages de décaisser ses 115 000 $ de REER en les plaçant dans un FERR ou en achetant une rente. Il a calculé que les paiements du FERR, au départ, étaient plus avantageux (8 320 $ par mois contre 7 470 $). Mais, dix ans plus tard, les courbes s’étaient croisées. Alors que la rente rapportait toujours le même montant, le FERR ne fournissait plus qu’environ 5 700 $ par mois.

Un produit aux multiples visages

Il existe de nombreux types de rentes, provenant de plusieurs entreprises financières. Pour choisir le produit le plus avantageux, il faut magasiner et surtout comparer les cotes tous les jours. Il faut aussi savoir négocier avec les clients qui partent avec une cotation en poche et reviennent quelques semaines plus tard pour l’acheter. Très souvent, le produit proposé au départ n’est déjà plus le meilleur, et il faut savoir le leur expliquer.

Les rentes les plus courantes sont celles à durée déterminée, qui versent un montant périodique pendant un certain temps, sans égard au rendement du marché, et la rente viagère de base, laquelle offre des versements réguliers à vie. La rente peut être « réversible au conjoint », c’est-à-dire qu’elle continue à être versée au conjoint, en tout ou en partie, après le décès du rentier, ou encore « garantie », c’est-à-dire qu’elle continue d’être versée pendant un certain temps après le décès.

Des produits plus complexes sont aussi offerts, comme la rente adossée à une assurance vie, parfois prisée par l’actionnaire principal d’une société. Cette dernière utilise ses fonds pour souscrire une rente dont elle est propriétaire et bénéficiaire. Une assurance vie est également souscrite pour remplacer le capital ayant servi à financer la rente. Ce procédé procure des avantages supérieurs à d’autres types de placements : le revenu de la rente résulte de la combinaison du taux d’intérêt crédité et de l’espérance de vie du rentier; la réduction des impôts provient de la transformation de bénéfices non répartis imposables en une rente dont la valeur au décès est nulle; au décès, l’assurance vie est versée en franchise d’impôt à la succession.

Impact fiscal

Comme tout revenu, la rente a un impact sur les impôts des investisseurs. On tire un plus grand avantage d’une rente qu’on achète avec un capital non enregistré. On peut alors souscrire une rente dite « prescrite », c’est-à-dire qu’une portion est considérée comme un retour de capital et une autre comme un revenu. Le revenu d’intérêt est imposé au même taux pendant toute la durée de la rente. À l’inverse, dans une rente non prescrite, on considère que le rentier reçoit d’abord l’intérêt, puis le capital. Il paiera donc plus d’impôts dans les premières années.

On comprend mieux ces différences en jetant un œil sur quelques scénarios tirés de cotations de BMO, produites à titre indicatif seulement. Le client fictif est ici un homme de 70 ans, qui débourse 100 000 $ pour acquérir une rente de laquelle il tirera des versements mensuels de 642,42 $.

S’il opte pour une rente viagère unique prescrite sans garantie, et la paie avec des fonds non enregistrés, la partie imposable de sa rente sera de 458 $ par année, jusqu’à la fin. Pour la même rente, mais non prescrite, la partie imposable sera beaucoup plus élevée, en particulier les premières années, avant de diminuer. Elle passera de 2 634 $ en 2016 à 1 449 $ en 2026. Il faudra attendre à 2036 pour qu’elle descende sous la barre des 458 $. Le rentier aura alors 93 ans. Par ailleurs, s’il paie sa rente avec un FERR, tous les versements de rente seront imposables à 100 %. C’est donc dire qu’il ajoutera un montant de 7 709 $ à son revenu imposable chaque année.

La rente est donc un produit complexe, capable d’offrir des rendements très différents selon le produit et les conditions choisis. Le calcul reste tout de même assez simple : la paix d’esprit vaut-elle de se priver d’occasions de croissance ? La réponse, pas toujours simple, appartient à chaque client.