Revenu Québec récompensera les dénonciateurs

Par La rédaction | 18 juin 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Revenu Québec a annoncé lundi la mise en place d’un programme destiné à verser une compensation financière aux personnes qui lui signaleront des cas de fraude fiscale.

Intitulé Programme de rémunération des dénonciateurs d’opérations visées par la règle générale anti-évitement ou constituant un trompe-l’œil, ce nouveau dispositif découle du Plan d’action pour assurer l’équité fiscale, rendu public il y a quelques mois par le gouvernement provincial. L’agence rappelle que celui-ci nécessite l’embauche de 75 personnes qui formeront un groupe d’intervention spécialisé en planifications fiscales internationales.

Le Programme a pour objectif de « compenser le coût personnel, social ou professionnel que la dénonciation peut engendrer », ajoute Revenu Québec, qui précise qu’il s’agit d’un « outil additionnel pour lutter contre les planifications fiscales agressives » et qu’il vient compléter le Programme de dénonciateurs de l’inobservation fiscale à l’étranger de l’Agence du revenu du Canada. À noter qu’il existe également un programme général de dénonciation non rémunéré, anonyme ou pas, qui permet de dénoncer une personne ou une entreprise ne respectant pas ses obligations fiscales.

QUATRE GRANDS CRITÈRES DE RÉMUNÉRATION

« Offrir une rémunération, dans un cadre bien structuré, peut être un incitatif efficace pour encourager les personnes qui détiennent des informations pertinentes à les transmettre à Revenu Québec. Ces informations lui permettront d’agir efficacement afin de détecter plus rapidement des stratagèmes d’évitement fiscal », justifie le ministre des Finances, Carlos Leitão, dans un communiqué.

Revenu Québec indique que pour être admissible au programme, un dénonciateur devra notamment fournir des informations précises et crédibles qui permettront à l’agence de récupérer « au moins 100 000 dollars de droits à la suite de l’application d’une loi fiscale québécoise ». Si la dénonciation respecte les exigences relatives au programme, le ministère conclura un contrat avec le dénonciateur afin de définir les engagements de chacune des parties.

La rémunération d’un dénonciateur pourra atteindre 15 % des droits, autres que des pénalités et des intérêts, qui seront récupérés par Revenu Québec. Le taux de rémunération sera établi selon quatre critères principaux, soit la qualité, la pertinence et la valeur des renseignements pour l’agence, ainsi que la coopération du dénonciateur. L’argent sera versé à la suite de la récupération des droits en cause, et après l’expiration de tous les délais d’opposition et d’appel des contribuables visés.

Enfin, Revenu Québec assurera la protection des renseignements confidentiels et, par conséquent, protégera l’identité du dénonciateur selon les lois en vigueur. Toutefois, dans les cas où il ne sera pas possible, pour des raisons juridiques, de poursuivre un dossier sans révéler l’identité de la personne à l’origine des révélations, Revenu Québec avisera cette dernière avant de poursuivre ou non les procédures.

L’AMF PRÉFÈRE NE PAS RÉCOMPENSER LES DÉLATEURS

Contrairement à ce que vient de décider Revenu Québec et à ce qu’il se passe aux États-Unis ou en Ontario, où des récompenses pouvant atteindre plusieurs millions de dollars sont prévues, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a décidé, en février 2016, de ne pas suivre ces exemples. Après avoir analysé divers programmes de dénonciation mis en place ailleurs dans le monde, notamment au Royaume-Uni et en Australie, l’AMF a en effet conclu qu’« il ne peut être établi avec certitude que l’incitatif financier génère plus de dénonciations de qualité et que l’aspect véritablement clé de tout programme de dénonciation est la protection offerte aux dénonciateurs ».

Mis sur pied au début des années 2000, dans la foulée de l’affaire Enron (elle-même éventée par des dénonciateurs), les programmes de dénonciation sont aujourd’hui la norme dans la majorité des places boursières. La raison? Les risques encourus par ceux qui dénoncent des stratagèmes douteux, visant à flouer les investisseurs, ont incité plusieurs autorités de réglementation dans le monde à offrir des récompenses aux délateurs. Un pas qu’a franchi la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, qui offre des montants compris entre 1,5 et cinq millions de dollars lorsque ses enquêtes mènent à des accusations.

Lancé en septembre 2016, le programme de l’AMF permet aux lanceurs d’alerte de dénoncer confidentiellement des infractions par la poste ou par courriel. Des ressources sont également consacrées à l’analyse des informations soumises par l’entremise d’une ligne téléphonique d’assistance qui leur est réservée. Mais tout cela sans qu’ils perçoivent d’argent. « On a remarqué que le simple fait d’avoir un programme structuré pour recevoir les dénonciations augmentait la qualité et l’importance de l’information reçue », déclarait en novembre 2016 Éric René, directeur des services d’enquête à l’Autorité et responsable du programme.

LE DISPOSITIF DE L’AUTORITÉ DONNE « DE BONS RÉSULTATS »

D’une part, le régulateur n’a tout simplement pas les moyens de rémunérer les délateurs et, d’autre part, « la majorité des programmes en place dans le monde n’offrent pas de rémunération et fonctionnent très bien » quand même, expliquait alors le dirigeant. Ajoutant que les dénonciateurs sont surtout des gens proches de l’industrie, qui vivent mal avec ce qu’ils ont constaté et qui ne dénoncent donc pas par appât du gain. Éric René indiquait que le nouveau dispositif mis en place par l’Autorité donnait « de bons résultats ».

Cité par Le Devoir à l’automne dernier, Jean-François Fortin assurait également que l’absence de récompense n’avait pas ralenti le flot de dénonciations envoyées au gendarme boursier québécois. « Quand on a pris la décision au départ [de ne pas récompenser les délateurs], le constat qu’on a fait, c’est que même si certains offrent une compensation, tout le monde s’entend sur le fait que le plus important, c’est la confidentialité et la protection du dénonciateur », insistait alors le directeur général du contrôle des marchés à l’AMF.

La rédaction