Ruée sur les infrastructures

Par Gérard Bérubé | 4 janvier 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les investisseurs institutionnels se ruent sur les infrastructures. Dans cette compétition féroce, les gagnants se recrutent parmi les gestionnaires capables d’ajouter de la valeur.

Le constat suivant vient de Macky Tall, vice-président principal, Infrastructures et Placements privés à la Caisse de dépôt et placement du Québec : « Il y a 10 ou 15 ans, on pouvait obtenir un rendement annuel de 6 ou 7 % sur les titres à revenu fixe. Aujourd’hui, faire du 2 % serait bien. Mais le besoin en rendement de nos déposants se situe au-dessus des 6 %. » Et Marie-Hélène Naud, analyste financier, Placements privés à IA Groupe financier, de renchérir : « Les obligations gouvernementales rapportent beaucoup moins qu’avant. Nous avons pourtant besoin de titres de qualité, reposant sur une bonne cote de solvabilité, qui génèrent un rendement plus élevé. »

D’où cette ruée des assureurs, des gestionnaires de portefeuille et autres investisseurs institutionnels vers les catégories d’actifs dits alternatifs au sens large, et vers les infrastructures en particulier.

Macky Tall, vice-président principal, Infrastructures et Placements privés à la Caisse de dépôt et placement du Québec

Macky Tall

« Aujourd’hui, faire du 2 % serait bien. Mais le besoin en rendement de nos déposants se situe au-dessus des 6 %. »

Macky Tall, vice-président principal, Infrastructures et Placements privés à la Caisse de dépôt et placement du Québec

CLASSE À PART

Cette catégorie d’actif se situe entre les obligations et les placements privés selon son rendement et son profil de risque. Elle est peu liquide mais est recherchée en tant qu’instrument à long terme peu volatil offrant une bonne protection contre l’inflation et une visibilité lointaine du revenu. Son rendement courant est régulier, prenant souvent la forme d’un dividende. Enfin, sa performance est peu ou pas corrélée avec les fluctuations économiques.

On pense, ici, à des projets monopolistiques ou réglementés, dans l’énergie, l’eau potable ou les transports en commun. Ceux consacrés aux ports, aux aéroports et aux autoroutes peuvent subir davantage l’influence du cycle économique mais, là encore, la corrélation est très faible. « Lors de la crise de 2008, l’aéroport londonien de Heathrow n’a subi qu’une réduction de 2 % du volume de passagers », illustre Macky Tall.

Marie-Hélène Naud fait valoir « la stabilité et la prévisibilité du revenu » associées aux infrastructures. Ces deux particularités sont souvent convoitées à des fins d’appariement, lorsqu’une adéquation entre l’actif et le passif est recherchée, et « viennent atténuer le risque de création d’une bulle ». Sans oublier la qualité de la contrepartie, le partenariat associant bien souvent le gouvernement ou une entité gouvernementale, souligne la spécialiste d’IA Groupe financier.

Marie-Hélène Naud

Marie-Hélène Naud

« La stabilité et la prévisibilité du revenu » associé aux infrastructures « viennent atténuer le risque de création d’une bulle. »

Marie-Hélène Naud, analyste financier,  Placements privés à IA Groupe financier

ENGOUEMENT INDÉNIABLE

Dans un contexte de faibles taux d’intérêt paralysant les titres à revenu fixe, et d’assouplissement monétaire alimentant l’inflation de l’actif sur les marchés boursiers, on peut comprendre l’engouement des investisseurs institutionnels pour une présence accrue des infrastructures dans la répartition des actifs. À la Caisse de dépôt, le poids atteint les 5,5 %, soit 12 milliards de dollars, « et nos clients en veulent davantage », insiste Macky Tall. Marie-Hélène Naud soutient qu’en assurance vie, la proportion de l’actif consacré aux infrastructures se situait en août dernier à 5 % en moyenne, et que la cible est en hausse, à 8 %.

La compétition est donc féroce entre les gestionnaires de caisse de retraite et les assureurs à l’échelle internationale, qui disposent de la taille et des capitaux requis pour privilégier les placements directs. Il faut ajouter à cette ruée une prolifération des fonds spécialisés en infrastructures et autres fonds négociés en Bourse visant la clientèle des investisseurs de détail.

Quant aux avantages de chacune des approches, « le modèle de la Caisse repose sur l’investissement direct dans l’actif, ne serait-ce que pour développer l’expertise à l’interne. Mais recourir à des fonds servant d’intermédiaires peut apporter un élément de diversification et contourner la problématique de la taille des capitaux à investir », répond Macky Tall. Pour Marie-Hélène Naud, « par définition, les infrastructures sont des actifs illiquides. Or, on ne peut avoir 100 % du portefeuille peu ou pas liquide, engagé dans du très long terme. » En revanche, ces fonds spécialisés sont plus volatils et davantage corrélés au marché boursier.

Selon Preqin, une firme de recherche qui cumule les données et statistiques liées aux actifs alternatifs, on comptabilisait, à la fin de 2014, 148 fonds dans cet univers. « Il y a saturation dans le marché, trop de capitaux courant après un petit nombre de transactions », peut-on lire dans le rapport 2015 de la firme. Preqin indique que ce déséquilibre provoque un gonflement du prix de l’actif engendrant une pression à la baisse sur les rendements attendus.

Macky Tall acquiesce mais nuance. « Certes, l’on observe que le capital disponible ne trouve pas toujours d’occasions. » Aussi, les projets de qualité sont en nombre limité et ceux existants sont déjà structurés, ce qui pousse les capitaux vers des projets en phase de démarrage de type « greenfield », impliquant une prise de risque accrue et un modèle risque-rendement différent. « Mais la demande future est énorme avec tous ces besoins à combler et ces gouvernements aux prises avec des contraintes budgétaires. »

Le spécialiste de la Caisse de dépôt donne l’exemple de cette entente signée avec le gouvernement du Québec portant sur le développement futur des infrastructures québécoises. « Nous recherchons la création de valeur autant opérationnelle que financière. » Ajouter de la valeur, voilà l’élément distinctif là où il y a tant d’appelés mais peu d’élus.


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Gérard Bérubé