Ruiné, il gagne contre l’Autorité

Par Didier Bert | 22 octobre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
9 minutes de lecture
Mid section image of businessman pulling out his empty pocket revealling he has no money against white background

Après des années de lutte réglementaire puis juridique, Guy Martineau a obtenu gain de cause : la Cour supérieure du Québec l’a acquitté de tous les chefs d’accusation que l’Autorité avait portés contre lui. Et il a été acquitté à la demande… de l’Autorité! Mais entre-temps, il a perdu beaucoup d’argent, sa maison, son emploi et la garde de ses filles…

Nous sommes le 16 septembre 2015. Un jour important pour Guy Martineau : la Cour supérieure du Québec relaxe le fondateur du Groupe financier Monexia de l’ensemble des chefs d’accusation dont il est l’objet et qui portent sur des faits qui se sont déroulés de 2003 à 2009.

« Je ne veux pas faire la guerre contre l’Autorité, confie M. Martineau. Je veux juste laver ma réputation. » Maintenant âgé de 58 ans, l’ancien président de Monexia ne parvient pas à retrouver un emploi. « Quand les employeurs lisent mon CV, ça va bien, dit-il. Mais quand ils voient ce qui a été publié sur les poursuites de l’Autorité contre moi, ils arrêtent net. »

Ce qui suit est l’histoire d’un homme d’affaires qui a tenté de proposer une offre innovante de produits financiers au public… si innovante que l’Autorité ne lui a jamais accordé le permis nécessaire. Au contraire, l’organisme réglementaire l’a poursuivi, l’a fait condamner et l’a elle-même innocenté! Mais la longueur des procédures lui a fait tout perdre.

LA VOLONTÉ D’INNOVER

En 2002, Guy Martineau, Alain Patrick Girard et Alexandre Lauzière, ses deux associés, fondent le Groupe financier Monexia. « Nous avions créé des fonds communs dont l’actif principal était constitué de devises, explique M. Martineau. Nous étions les premiers à aller chercher des devises pour bâtir des fonds communs. Les devises sont presque une chasse gardée des banques à charte. »

En 2003, la firme demande et obtient un permis restreint. « On voulait être sûr que l’Autorité était au courant de nos activités », affirme M. Martineau. De 2005 à 2010, l’embauche de gestionnaires de portefeuilles permet à la firme de bénéficier d’un permis temporaire conditionnel : elle ne peut opérer qu’avec des investisseurs qualifiés, c’est-à-dire des proches, des professionnels de l’industrie, ou des personnes disposant de connaissances élevées en matière de placement.

INCOMPRÉHENSION

Mais l’Autorité ne délivrera jamais les autorisations définitives permettant de distribuer les fonds communs au public. « Ça a duré une éternité, se souvient Guy Martineau. Ils ne comprenaient pas ce qu’on faisait. Ils ont posé beaucoup de questions à nos gestionnaires. »

La firme remplit ses obligations en mettant en place des fiducies de placement et un gardien de valeurs. « On a effectué une foule de démarches », dit-il.

Ses deux associés quittent la firme en 2003 et 2004. Guy Martineau continue de développer sa gamme de produits financiers. Et il doit continuer d’employer ses gestionnaires de portefeuille s’il veut garder la possibilité de recevoir ses autorisations.

En 2007, l’Autorité vient inspecter Monexia. Elle dresse trois constats d’infraction reliés à un fonds de roulement insuffisant. Monexia sera condamnée à une amende de 6 000 $. « On a contesté, mais on s’est résigné à payer pour aller de l’avant », dit-il. Le financement de la firme est freiné par la publication des chefs d’accusation dans les médias.

En 2012, un couple – recruté par l’un des fondateurs associés, Alain Patrick Girard – ayant investi 130 000 $ dans le capital de Monexia, décide de porter plainte auprès de l’Autorité pour demander le remboursement de leurs actions. « Mais on n’allait pas prendre l’argent d’un investisseur pour rembourser un autre », explique Guy Martineau. L’organisme réglementaire leur dénie le titre d’investisseurs qualifiés. Il enquête également auprès des autres investisseurs, et relève le cas d’un troisième investisseur qui n’aurait pas été qualifié. Celui-ci a investi 80 000 dollars, sur les cinq millions de dollars qui ont été investis au total dans la firme. L’Autorité considère que dans ces deux cas, Monexia aurait dû détenir un prospectus.

MISES EN FAILLITE

Sur la base de ces éléments, en 2012, l’Autorité poursuit le Groupe financier Monexia, Guy Martineau et Alain Patrick Girard pour 21 chefs d’accusation. Elle reproche aux deux ex-associés d’avoir agi à titre de courtiers en valeurs sans être inscrits auprès de l’Autorité. Le Groupe financier Monexia est également accusé d’avoir procédé au placement d’actions sans détenir de prospectus visé. Tous les faits remontent aux années 2003 à 2009.

En 2012, le Groupe financier Monexia met la clé sous la porte : les plaintes de l’Autorité ont achevé la firme, croit Guy Martineau. Les fonds communs ne sont jamais allés jusqu’à l’étape de la distribution au public. Tous les investissements sont perdus, y compris ceux de M. Martineau.

De janvier à novembre 2014, l’affaire est jugée devant la Cour du Québec. En juin de la même année, Guy Martineau se déclare en faillite personnelle.

SANS AVOCAT

Le deuxième jour d’audience, l’avocat de Guy Martineau ne se présente pas. « Peut-être a-t-il pensé que c’était trop difficile d’affronter l’Autorité… », s’interroge Guy Martineau. Un autre avocat lui fait faux bond. L’homme d’affaires finit par se représenter seul. « C’est très difficile de suivre les débats », reconnaît-il.

Dans son jugement rendu le 1er avril 2015, la Cour du Québec reconnaît que l’investisseur à 80 000 $ était bien qualifié. Mais le juge ne reconnaît pas le titre d’investisseurs qualifiés aux membres du couple d’actionnaires, même s’il estime que l’utilisation des fonds dudit couple a été faite de bonne foi par Monexia.

Guy Martineau, son associé Alain Patrick Girard et Monexia sont condamnés. Leur tort? Ils auraient dû présenter au tribunal des documents prouvant que les sociétés du Groupe financier Monexia étaient fermées.

Guy Martineau écope d’une amende de 29 080 $. Alain Patrick Girard est condamné à payer 24 000 $ et les firmes Monexia reçoivent des amendes totalisant 44 080 $.

Au début de l’année 2015, Guy Martineau perd sa maison, et de ce même fait, il perd aussi la garde partagée de ses filles, dit-il.

Extrait du jugement de la Cour du Québec en date du 1er avril 2015 :

« [129] Les défendeurs n’ont pas produit les titres constitutifs de Groupe financier Monexia inc. et de Gestion Monexia inc.

[130] M. Girard allègue que tous les statuts et règlements des sociétés sont déjà en possession de l’AMF et que c’est la raison pour laquelle les défendeurs ne les ont pas produits.

[135] (…) la preuve d’une société fermée se fait par la présentation des documents constitutifs de la société, ainsi que par la preuve, dans les faits, que la société n’a pas fait appel au public. »

Refusant ce jugement, Guy Martineau va en appel.

L’AUTORITÉ FAIT MARCHE ARRIÈRE

Le 16 septembre 2015, l’audience en appel à la Cour supérieure du Québec débute par un rebondissement : l’avocat de l’Autorité soutient l’acquittement! « Guy Martineau avait une défense valable à offrir, défense qu’il n’avait toutefois pas présentée lors de son procès et qui aurait entraîné son acquittement, précise Sylvain Théberge, le porte-parole de l’Autorité. M. Martineau n’ayant toujours pas plaidé l’applicabilité de cette dispense dans son Avis d’appel, c’est l’Autorité qui a avisé la Cour du fait qu’un motif valide d’appel existait et que ce motif devait mener à son acquittement. »

En clair, l’Autorité a indiqué au juge que M. Martineau devait être acquitté parce qu’il bénéficiait bien d’une dispense de prospectus… alors que l’organisme réglementaire poursuivait ses sociétés depuis trois ans en invoquant l’inverse.

En effet, Monexia aurait dû être dispensée de publier un prospectus, car les documents constitutifs des sociétés Monexia prouvent qu’elles étaient effectivement des firmes fermées. L’ensemble des chefs d’accusation retenus contre Guy Martineau s’effondrent. L’audience dure 44 minutes, à l’issue de laquelle le tribunal acquitte l’accusé de tous les chefs d’accusation portés contre lui. « Le juge a dit qu’il n’avait jamais vu ça en 47 ans! affirme Guy Martineau. Il a félicité l’avocat de l’Autorité d’avoir agi de cette façon. »

« Si j’avais fait appel pour les sociétés, j’aurais appliqué la même défense, et on aurait tous été acquittés, croit Guy Martineau. Mais ces sociétés ont disparu. » L’associé de M. Martineau n’a pas souhaité aller en appel.

Le coup de grâce? Dans un métier où la réputation se fait et se défait aussi sur Internet, le jugement en appel ne sera pas publié sur le site de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ)… où seul le jugement condamnant Guy Martineau demeure en ligne présentement. « Le bureau du juge nous a informés que la version électronique de la décision n’est pas disponible. Elle ne sera donc pas diffusée sur le site », écrit la SOQUIJ dans un courriel adressé à M. Martineau, que Conseiller.ca a pu consulter.

« JE VEUX QUE ÇA SE SACHE… »

Aujourd’hui, 13 ans après avoir tenté d’innover en matière de produits financiers, Guy Martineau se dit fier d’avoir mené son combat jusqu’au bout. Mais il lui en reste un goût très amer. « J’ai quand même réussi à gagner contre l’Autorité, dit-il. Je veux que ça se sache que j’ai été acquitté. Oui, ils ont voulu corriger le tir à la fin. Mais il reste que la façon dont ça a été fait… »

L’homme d’affaires place toute cette affaire derrière lui. Il veut regarder vers l’avenir désormais. Mais il lui reste une question à laquelle il ne trouve pas de réponse. « L’Autorité est là pour protéger le public et les investisseurs… Où était l’Autorité au moment de protéger nos investisseurs? » interroge-t-il.

À ne pas confondre avec Guy Martineau, courtier immobilier résidentiel et commercial, Royal LePage.

• Pour vous rafraîchir la mémoire concernant les placements sans prospectus, suivez ce lien.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.