Scandale Norbourg : le supplice de la goutte!

Par Yves Bonneau | 28 mars 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
6 minutes de lecture

Les honoraires des avocats tombent sur la tête des victimes comme la dernière goutte d’une affaire qui s’éternise.

N’en déplaise à tous ceux qui voient le « verre à moitié plein » dans l’interminable affaire Norbourg, je ne peux m’empêcher de voir le côté vide de la saga.

Vide comme dans épuisés, exténués, esquintés… Comme les victimes!

Pourtant, les médias en continu et autres quotidiens nous ont annoncé en fanfare que les rescapés de Norbourg, en galère depuis près de six ans, allaient enfin récupérer la presque totalité de leurs billes. Trop rapides sur la gâchette, à tenter de se scooper réciproquement, ils ont relayé avec enthousiasme la grande nouvelle. Les hourras ont fusé. La stratégie de relation publique a fonctionné : tout le monde sauve la face et, coïncidence ou non, M. Saint-Gelais, jusqu’alors à la tête de l’Autorité des marchés financiers (AMF), s’en va au ministère du Revenu.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Trois semaines plus tard, le document de la Cour supérieure du Québec détaillant le règlement à « l’amiable » de tous les recours collectifs intentés est sorti. Toutes les parties présumées partiellement responsables de la perte des placements des 9 217 investisseurs dans les fonds de Norbourg , comme l’AMF, la Caisse de dépôt et placement, KPMG, The Northern Trust et Concentra en sont finalement venues à une entente permettant de recueillir 55 millions de dollars, soit la somme manquante aux quelque 58 millions déjà récupérés grâce au Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) de l’AMF, de même qu’aux montants récupérés par les syndics de faillite, par le liquidateur et par Revenu Québec, ce qui porterait à environ 113 millions la somme retournée aux investisseurs.

Dans ce document, on apprend au point 9 que les honoraires des avocats qui ont travaillé sur la cause coûteront 11 millions de dollars, soit 20 % des 55 millions de l’entente, et ce, selon les heures travaillées au dossier, du risque encouru et du résultat obtenu. Les victimes avaient demandé au juge Prévost de revoir à la baisse ces honoraires. Mais la cour en a décidé autrement.

Certaines victimes croient qu’il s’agit du prix à payer pour récupérer – enfin – le gros de leur épargne-retraite. La plupart sont toutefois outrés. Ils ne comprennent pas pourquoi ce sont encore eux qui casquent alors que leur seule méprise a été de faire confiance à des institutions supposément… dignes de confiance.

Pendant près de six longues années, les malchanceux qui ont investi dans les fonds Évolution ou Perfolio se sont rongé les sangs. Ils ont été jetés malgré eux dans les filets de l’équipe de Vincent Lacroix. Par qui, comment, pourquoi? Ça n’a plus d’importance, l’entente vient de tout effacer. Il n’y aura pas de coupable, pas d’enquête.

La victoire en appel, en novembre dernier, du policier à la retraite Réal Ouimet, de Bromont, l’autorisant à inclure la Caisse de dépôt et placement au recours collectif pour négligence dans la vente des fonds Évolution à Norbourg ne serait pas étrangère à ce règlement. Comme la décision du juge Godbout, aussi en novembre, de forcer l’AMF et le FISF à dédommager les 138 demandeurs au recours Perfolio.

Dans les mois qui ont suivi la déroute de Norbourg, les investisseurs floués ont vécu échec sur échec. L’énorme machine bureaucratique mise en place pour les aider n’avait aucune expérience pour ce faire et le processus a été extrêmement éprouvant pour les victimes dont seule une poignée (925) a été indemnisée. Les autres ont été menées en bateau, tourmentées sans ménagement en se faisant dire que tout était perdu. Il aura fallu quelques battants, les Viel, Houle, Ruest, Ouimet, Pellemans et Vézina, pour s’opposer à l’oppressante machine qui se dressait devant leurs revendications.

Dans cette histoire digne de Kafka, on se demande pourquoi on a pris tant d’années à dénouer une impasse qui nuisait à l’image de l’AMF, de la Caisse, de KPMG. Pourquoi cet acharnement, pour en arriver aujourd’hui à cette entente? « Fallait-il dès le départ coincer ces grandes institutions pour obtenir réparation? », se demandent avec pertinence tous ceux qui s’intéressent au dossier?

Un fait demeure toutefois : notre système encourage l’irresponsabilité. Il peut bien y avoir un fonds, une loi, des règles restrictives, tant pis si vous tombez dans un vide juridique. Arrangez-vous! Pendant ce temps, nul n’est imputable de quoi que ce soit. Et tout ces gens, bien au chaud dans leurs tours d’ivoire du centre-ville, demeurent insensibles aux bruits de la foule et aux plaintes des manants… Quiconque viendra troubler leur quiétude auront affaire à leurs avocats, payés à même les poches des contribuables, pour les faire taire. Les ressources financières étant quasiment illimitées, la partie semble toujours perdue d’avance.

D’où les honoraires pour le moins substantiels exigés par les avocats des demandeurs qui ont obtenu gain de cause hors cour. Pour Réal Ouimet qui a perdu 312 000 $, il lui en coûtera 62 400 $. Si on lui avait demandé de payer une telle somme pour « protéger » son pécule placé dans des fonds gérés à l’origine par une filiale de la Caisse, il aurait pris ses jambes à son cou!

Pendant ce temps — et dans une toute autre affaire —, le juge à la retraite Jacques Delisle affirme vivre un véritable cauchemar avec cette justice qui a la réputation de s’éterniser. Il est accusé depuis un an et demi du meurtre de sa femme. Il a demandé à la juge Pelletier « de le sortir de ce cauchemar-là le plus rapidement possible, c’est invivable »… Il a aussi dit : « Vous savez, pendant 25 ans, j’ai […] pris […] à cœur de défendre des clients devant la Cour. Mais avec ce que je vis, pour paraphraser Jean Gabin, je sais que je ne savais pas. »

Les investisseurs de Norbourg savent, eux. Ils ne se battront plus pour cette histoire d’honoraires, mais qu’en retireront-ils  de cette justice? Le juge Prévost aurait pu faire preuve d’empathie envers les victimes mais il semble que les malheurs de ces gens ne faisaient pas le poids… Nous en sommes rendus là : vivement un fonds d’indemnisation équitable!

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Yves Bonneau, rédacteur en chef Conseiller

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Cet article est tiré de l’édition d’avril du magazine Conseiller.

Yves Bonneau