Singapour, le nouveau paradis fiscal à la mode

Par La rédaction | 15 mai 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Singapour serait devenue la nouvelle Suisse grâce à ses lois sur le secret bancaire. Mais ceux qui comptent en profiter devraient peut-être changer d’idée, car la situation pourrait changer au cours des prochaines années.

Les gouvernements d’autres pays, notamment des États-Unis, font en effet pression sur la cité-État asiatique pour qu’elle fasse preuve de plus de transparence, peut-on lire dans le New York Times.

Selon le Boston Consulting Group, Singapour est devenue une destination très populaire pour ceux qui souhaitent mettre leurs actifs financiers à l’abri des regards. Ses lois sévères sur le secret bancaire auraient contribué à y attirer 1,1 billion de dollars américains (1,5 T $CAN) en fonds étrangers. Singapour croît plus rapidement que la Suisse et est en voie de devenir le plus grand centre financier international d’ici 2028, indique la firme de consultants.

RIP LE SECRET BANCAIRE HELVÈTE

Les analystes pointent justement vers la Suisse pour expliquer ce phénomène. Autrefois haut-lieu du secret bancaire, le pays a dû modifier ses pratiques à la suite de pressions et de poursuites en justice de la part de pays étrangers, en particulier les États-Unis. La plus grande banque de gestion de patrimoine du monde, UBS, a notamment dû payer 780 millions de dollars américains (1,06 G $CAN) en amendes, en plus de transmettre au fisc américain les détails de milliers de comptes bancaires suisses détenus par des Américains. La France lui réclame également près de 1,6 G $CAN, l’accusant d’avoir démarché de riches clients potentiels entre 2004 et 2011 pour les inciter à ouvrir des comptes en Suisse à l’insu du fisc français.

Conséquence : à partir de 2018, toute personne souhaitant ouvrir un compte en Suisse devra en communiquer les informations au fisc de son pays d’origine pour fins de contrôle et de conformité. RIP le secret bancaire helvète. Singapour n’était que trop heureuse de combler le vide laissé par la Suisse. Dans la foulée, elle a tenté de se positionner comme guichet unique pour les Asiatiques fortunés. Dans les années 1990, au moment où la Chine connaissait une forte croissance donnant naissance à une génération de nouveaux riches, elle a attiré chez elle les gestionnaires de patrimoine privé. De nos jours, des firmes de renommée mondiale s’y sont établies, dont un grande nombre sont suisses, comme Credit Suisse, Julius Baer ou UBS.

COFFRE-FORT HORS TAXE

On y retrouve aussi Le Freeport, qualifié par certains de Fort Knox de Singapour. Les gens fortunés peuvent y entreposer, sous haute sécurité, des œuvres d’art, des pierres précieuses ou encore des lingots d’or. Ces voûtes privées sont protégées par des murs de ciment de 15 pouces et des portes en acier de 11 tonnes, portes ne s’ouvrant qu’avec trois clés détenues par trois personnes différentes, reconnaissance faciale, lecteurs d’iris, caméras… Tout est fait pour assurer que le butin soit bien à l’abri. Le tout hors-taxe.

Ce petit havre de paix agace certains régulateurs internationaux. En septembre, le Financial Action Task Force, un groupe de consultants internationaux combattant le blanchiment d’argent, déplorait que le gouvernement de Singapour ignore trop de ce qui transite par Le Freeport. Une allégation contredite par les autorités de la cité-État, lesquelles soutiennent avoir des règles sévères pour y prévenir toute activité illicite et mener des vérifications et des audits très serrés. Yves Bouvier, propriétaire de Le Freeport et marchand d’art suisse (décidément!) résidant à Singapour, soutient lui aussi savoir exactement qui entrepose quoi dans ses coffres.

SCANDALES ET PRESSION

Les affaires roulent donc à Singapour. Mais pour combien de temps? La pression augmente sur les autorités de la cité-État asiatique pour qu’elle fasse preuve de plus de transparence et relâche un peu son secret bancaire, dans la foulée de certains scandales. La ville est notamment visée par les autorités américaines, qui tentent de recouvrer plus d’un milliard de dollars américains (1,37 G $CAN) sur les trois milliards de dollars (4,1 G $CAN) détournés du fonds malaisien 1MDB et qui auraient été dépensés, aux États-Unis, par la famille et les amis du premier ministre malaisien Najib Razak. En plus de maisons luxueuses et d’œuvres d’art, l’argent aurait servi à financer le film The Wolf of Wall Street. Ça ne s’invente pas.

Le secret bancaire de Singapour aurait servi à dissimuler ces sommes. Il aurait aussi servi d’abri fiscal à des citoyens de plusieurs pays. Ces derniers s’en sont plaint. La Financial Action Task Force déplore, pour sa part, que les autorités de Singapour comprennent mal les risques d’entrées et de sorties d’argent illicites.

Conscient que le scandale 1MDB pointe des faiblesses du système de réglementation singapourien, Ravi Menon, qui dirige le régulateur financier de la cité-État, croit que cette dernière doit faire mieux. « Il n’y a pas de doute que les récentes découvertes ont fait une brèche dans notre réputation de centre financier propre et fiable », concède-t-il au New York Times.

BIENTÔT DEVANT LE JUGE?

L’Autorité monétaire de Singapour soutient au contraire qu’elle comprend les risques et qu’elle ne tolérera pas que le système financier de la cité soit utilisé comme un refuge ou un conduit pour faire transiter des fonds illicites. En décembre 2016, une cour de Singapour a condamné Yeo Jiawei, un ex-banquier à la branche locale de la banque suisse BSI, à 30 mois de prison pour avoir tenté d’influencer des témoins et avoir caché ses liens avec Low Taek Jho, financier malaisien impliqué dans le scandale de 1MDB. En mars, les régulateurs ont radié pour dix ans Tim Leissner, un ex-banquier de Goldman Sachs, pour son rôle dans la même affaire.

Singapour est maintenant au cœur d’un affrontement entre les autorités américaines et UBS. Les États-Unis veulent obtenir les informations sur le compte de Henry Hsiaw, un Taïwanais né au pays de l’oncle Sam. Mais son compte étant hébergé dans la branche singapourienne d’UBS, la banque suisse soutient qu’il est protégé par le secret bancaire. Si les autorités américaines décident de contester ces lois en cour et gagnent, cela serait un premier signe que le secret bancaire de Singapour risque de connaître le même sort que celui de la Suisse au cours des prochaines années.

Reste à voir quel pays prendra la relève…

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