Situation ambivalente à la Chambre ?

Par Yves Bonneau | 2 Décembre 2009 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le cabinet d’avocats Bélanger Longtin a des liens étroits avec une employée influente de la Chambre de la sécurité financière (CSF). Ce cabinet qui a des bureaux à Québec et à Montréal représente la Chambre (la partie plaignante, qui réclame justice) lorsque cette dernière, par l’intermédiaire du syndic, poursuit des conseillers financiers qui ont enfreint le code de déontologie ou d’autres dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.

En effet, Me Caroline Champagne, la nouvelle syndic de l’organisme d’autoréglementation (OAR) est la conjointe de l’un des associés principaux de ce cabinet, Me Jean-François Longtin.

Selon l’OAR, cette situation n’a jamais donné lieu à des dérives à l’endroit de conseillers sanctionnés par le comité de discipline de la Chambre. Néanmoins, ce cas exceptionnel peut paraître délicat à l’occasion puisque le comité de discipline de la Chambre est appelé à juger le comportement de conseillers pour non-divulgation de liens d’affaires. Ce faisant, la Chambre de la sécurité financière et la syndic se trouvent-elles dans une position qui peut être contestée ?

Interrogé sur la question, le président-directeur général de la CSF, Luc Labelle, tient d’emblée à calmer le jeu. Il affirme que le processus qui prévaut à la Chambre pour l’attribution du mandat de procureur est transparent et permet à l’OAR d’éviter toute situation potentielle de doute quant à son intégrité. « Il n’y a rien de secret dans cette histoire, nous sommes tous au courant ici de cette situation. Les membres du conseil d’administration ne sont pas concernés puisqu’il s’agit d’une décision administrative qui touche à la régie interne de la Chambre. » Après vérifications auprès d’anciens membres du comité de discipline et du conseil d’administration actuel, les personnes consultées n’étaient effectivement pas au courant des liens entre la syndic et le cabinet d’avocat qui détient un des mandats de procureur octroyés par la Chambre.

Selon Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, il importe de bien clarifier que l’expertise et le professionnalisme des personnes impliquées n’est pas remis en cause. « Pour ce qui est de cette information, elle m’apparaît importante et donc, elle doit être divulguée et connue des membres de la Chambre », soutient-il.

Conseiller.ca a aussi constaté que l’information sur les procureurs qui ont des mandats avec la CSF n’apparaît ni sur le site web de l’organisme, ni dans le rapport annuel. On doit consulter le rôle du comité de discipline et chacune des pages de l’historique sur le site web de la Chambre pour connaître les procureurs qui collaborent avec le syndic pour mener les poursuites contre les conseillers intimés.

Selon la plupart des nombreux intervenants que Conseiller.ca a interviewés sur le sujet, le cabinet Bélanger Longtin est compétent pour remplir le rôle de procureur qui lui est confié par la CSF et rien ne laisse croire que la cloison étanche entre la syndic et le comité de discipline ait été transgressée. « C’est la Chambre qui embauche les procureurs pour épauler le syndic dans ses poursuites, ce n’est pas la syndic elle-même et encore moins le comité de discipline, il ne faut pas confondre. Il n’y a aucune ambiguïté. Nous sommes au courant de ses liens avec Me Longtin depuis le début. Nous avons sélectionné ce cabinet sur des bases strictement professionnelles », explique Luc Labelle.

Questionné à savoir si cette étroite relation pouvait nuire à l’indépendance du comité de discipline, M. Labelle souligne que le syndic et le procureur de la partie requérante doivent travailler de très près. « La Chambre ne voit pas du tout de conflit ou de dérapage, c’est même le contraire : le syndic a intérêt à bien s’entendre avec les procureurs. Qu’ils soient conjoints, à la limite, leur donne même une plus grande complicité », allègue-t-il.

Le rôle du syndic de la CSF Le rôle du syndic de la Chambre est d’enquêter sur les agissements des représentants pouvant être en infraction à une disposition de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) ou de ses règlements. Après son enquête, le syndic peut déposer des plaintes formelles devant le comité de discipline contre un représentant, le procureur mandaté par la CSF (dans le cas présent, le cabinet du mari de la syndic) se charge alors de porter les accusations retenues au nom du syndic.

L’autre aspect soulevé par cette affaire porte sur les circonstances entourant le mandat de procureur obtenu par le cabinet Bélanger Longtin. La question à savoir si le cabinet du mari de la syndic obtient ou a obtenu un traitement de faveur depuis que Me Champagne a été nommée syndic en mars 2009 n’est pas en cause. Sur ce point d’ailleurs, M. Labelle est catégorique : « La syndic n’est pas impliquée dans le processus de sélection des procureurs. Si Bélanger Longtin a semblé obtenir davantage de mandats depuis le début de l’année, c’est que la Chambre est justement à revoir tous ses mandats auprès des procureurs et à procéder à une rationalisation pour contenir ses coûts. Me Champagne est arrivée à la Chambre bien après que l’on a donné les premiers mandats au cabinet Bélanger Longtin, il n’y a donc pas de questionnements à poser ici. »

Dans le code des professions, au chapitre C-26 de la Loi, article 121.1 qui porte sur l’indépendance du syndic, il est mentionné que « le Conseil d’administration doit prendre les mesures visant à préserver en tout temps l’indépendance du bureau du syndic dans l’exercice des fonctions des personnes qui le composent. »

Bien que la Chambre de la sécurité financière ne soit pas un ordre professionnel, le rôle d’un syndic, ses devoirs, ses pouvoirs et ses responsabilités sont essentiellement comparables à celui qui œuvre pour un ordre. Dans un document d’orientation rédigé par l’ex-président de l’Office des professions du Québec, Robert Diamant, intitulé Le Syndic d’un ordre professionnel et paru en 1998, le président de l’Office écrit : « Afin d’assurer l’indépendance du syndic dans l’exercice de sa fonction d’enquêteur et le respect de son serment de discrétion, le Bureau de l’ordre (ndlr : ici, La Chambre) ne devrait pas intervenir directement ou indirectement dans toute enquête menée par le syndic dans le but d’influencer sa décision de porter ou non une plainte contre un professionnel à la suite d’une telle enquête.

Comme un policier qui reçoit une information concernant une personne et qui décide de faire enquête, le syndic doit nécessairement prendre position par rapport à la personne qui fait l’objet de son enquête. Contrairement au comité de discipline qui a le pouvoir de sanctionner le professionnel et qui doit agir de manière impartiale, le syndic n’est tenu d’exercer sa fonction d’enquêteur qu’indépendamment de toute pression externe et de bonne foi.

M. Diamant aborde également la question du Processus de sélection du syndic au point 2.1.2.1 (…) : « Considérant la nature des devoirs et des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi et l’indépendance qui en découle, le Bureau de l’ordre (ndlr : la Chambre) devrait cependant rechercher, chez le syndic de l’ordre, certaines qualités essentielles à l’exercice de ses fonctions qui garantiront sa compétence et son intégrité. »

« Ainsi, le syndic d’un ordre devrait posséder notamment de la maturité professionnelle et personnelle, de l’autonomie, de la fermeté, le sens des responsabilités et un jugement sûr. (…) En adoptant une procédure transparente dans le processus de sélection du syndic, le Bureau de l’ordre, qui a le devoir de le nommer, contribuerait à garantir son indépendance. »

Enfin, il importe de noter que Me Longtin et Me Champagne n’ont enfreint aucune règle éthique et que c’est justement sur la base de leur responsabilité déontologique professionnelle qu’il faut s’en remettre pour analyser cette affaire. Une avocate que nous avons consultée pour nous éclairer sur la question nous a affirmé que tout avocat a la responsabilité souveraine de s’assurer que ses actes professionnels soient fondamentalement guidés par son sens de l’éthique. Partant de là, que les deux professionnels soient conjoints pour travailler ensemble sur des dossiers représentants les intérêts de la même partie, ne constitue en rien un conflit d’intérêt, fait-elle observer.

Yves Bonneau