Taille de l’AMF : le régulateur réplique

Par Christine Bouthillier | 23 juin 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture

Critiquée pour sa taille jugée démesurée, l’Autorité des marchés financiers se défend d’être devenue « un empire ». Dans une lettre envoyée à Conseiller, reproduite ci-dessous, elle répond aux arguments d’Yves Le May, avocat spécialisé en assurance.

Nous laisserons de côté le ton choisi par M. Le May dans ses commentaires récents à propos de l’Autorité pour aller directement au fond des choses. Il s’agit d’opinions contredites par les faits et qui font fi du volet de protection du public au cœur même de la mission de l’Autorité.

M. Le May critique notamment la taille et la qualité des ressources de l’Autorité, jugeant qu’il y manque « d’expérience pratique ». Or, une simple comparaison des équipes de l’Autorité avec celles assumant des fonctions similaires au sein du Bureau du surintendant des institutions financières démontre que la taille de l’Autorité est tout à fait justifiée.

De plus, 75% des ressources au sein des équipes actuelles de surveillance des assureurs ont une expérience professionnelle antérieure acquise au sein d’une institution financière. Chaque année, l’industrie recrute des ressources travaillant à l’Autorité et celles-ci sont généralement remplacées par des ressources provenant de l’industrie.

En ce qui concerne les lignes directrices de l’Autorité, il s’agit d’un encadrement basé sur des principes non prescriptifs laissant de la marge de manœuvre aux assureurs pour répondre à nos attentes, en fonction de leur taille et de la complexité de leurs activités. La réalité est encore ici beaucoup plus nuancée que la situation décriée par M. Le May.

Le nombre de pages et le langage utilisé dans nos lignes directrices se comparent avantageusement au texte de n’importe quel contrat d’assurance émis sur le marché au Québec. L’affirmation de M. Le May à l’effet que les dirigeants et administrateurs de ces compagnies seraient incapables de comprendre nos attentes n’est pas très convaincante, ni élogieuse à leur égard.

Les lignes directrices constituent un encadrement moderne et souple qui subit régulièrement un examen indépendant, notamment par le Fonds monétaire international. C’est le fruit d’un travail professionnel rigoureux, développé dans le cadre d’un processus transparent de consultation avec l’industrie et les autres parties prenantes.

Concernant l’assurance de remplacement pour les véhicules, les critiques de M. Le May sont pour le moins surprenantes. Il s’agit d’une problématique qui a été attaquée de front par l’Autorité dès 2009.

Plusieurs avis ont été émis depuis par l’Autorité afin de rappeler les obligations relatives à l’offre de ce produit. En 2016, l’Autorité est de nouveau intervenue en réponse à certaines pratiques non conformes, opération accompagnée de poursuites largement médiatisées envers des cabinets et concessionnaires automobiles fautifs. Nous avons également informé le public en diffusant chaque année une analyse de l’évolution de ce marché, qui couvrait notamment l’enjeu des taux de commission.

Enfin, selon M. Le May, l’Autorité serait plus sévère avec les « petits » joueurs qu’avec les « gros ». Encore une fois, que disent les faits? En vertu de notre cadre de surveillance basé sur les risques, qui est public, l’encadrement le plus sévère et la surveillance la plus intensive s’appliquent justement à la plus grosse des institutions financières présente au Québec [NDLR : Desjardins].

Il peut certes arriver que l’Autorité détecte dans le cadre normal de sa surveillance, chez des assureurs de toutes tailles et par ailleurs très solvables, divers enjeux, notamment en matière de gouvernance. Par exemple, l’Autorité pourrait avoir remarqué que des administrateurs ont été remplacés par des personnes possédant un profil en apparence moins pertinent, ou ayant des liens personnels avec certains membres de la direction susceptibles de compromettre leur indépendance. Qui, à part M. Le May, s’opposerait à ce que l’Autorité pose des questions à ce sujet dans le cadre de son processus confidentiel de surveillance?

Selon M. Le May, agir de la sorte constituerait une intrusion inappropriée du régulateur dans la gestion de ces compagnies. En réalité, agir ainsi permet à l’Autorité d’être proactive afin de protéger le public, tout en respectant pleinement le droit de gérance. Si nos préoccupations sont fondées, quelles solutions les dirigeants et administrateurs proposent-ils pour y répondre? Voilà à quoi se résume notre approche.

Au cours des dernières années, l’Autorité a mis en place un encadrement adéquat et flexible à l’égard des compagnies d’assurance. Elle s’efforce à construire des équipes toujours plus crédibles et compétentes. Nous sommes un régulateur ouvert et accessible, qui multiplie les consultations avec l’industrie et le grand public.

Ceci étant dit, rien n’est parfait. La critique constructive sera toujours bienvenue. Mais par respect pour nos employés qui veillent, dans l’ombre, à ce que la confiance du public envers le secteur financier québécois demeure pleinement justifiée, il serait apprécié que cette critique repose sur des faits pertinents.

Yves Le May persiste et signe

Invité à réagir à la lettre de l’AMF, Yves Le May indique demeurer sur ses positions.

« Quand on est Goliath, on peut toujours tenter d’écraser David. Quant à moi, je suis très satisfait des commentaires positifs qui m’ont été faits par ceux qui ont lu l’article initial », déclare-t-il.

DES NUANCES

De son côté, Gino Savard juge que Me Le May « exagère un peu ».

« Ces dernières années, l’AMF a accueilli dans ses rangs des gens avec l’expérience du terrain », affirme le président de MICA Cabinets de services financiers.

Toutefois, il estime qu’augmenter les tâches de l’AMF, par exemple en y intégrant la Chambre de la sécurité financière, n’est pas nécessairement une bonne idée.

« La fusion des municipalités pour en faire des mégastructures n’a pas mené à des économies. Je ne crois pas qu’en fusionnant des organisations pour en faire une grosse, nous gagnerons en efficacité et en économie de coûts, ajoute-t-il. Je ne crois pas qu’il faut briser ce qui fonctionne, et l’organisation fonctionne très bien. Rien ne dit qu’elle ne peut pas être optimisée, mais cela ne permettra certainement pas de réduire les coûts. »

La rédaction vous recommande :

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.