Témoin d’une fraude : Fermer les yeux ou dénoncer un client ?

Par Didier Bert | 14 avril 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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En entrant dans la vie financière de leurs clients, les conseillers peuvent être témoin d’actes illégaux. Coincé entre la vente et l’éthique, le conseiller doit peser sa réaction. Fermer les yeux, dénoncer le client, parler avec lui ?

1. Évaluer la sévérité des actes « Dénoncer n’est jamais la première solution », soutient René Villemure, éthicien et fondateur de l’Institut québécois d’éthique appliquée. Le conseiller devrait d’abord mesurer la gravité des faits qu’il a sous les yeux, affirment en choeur les deux experts. Le client demande-t-il des frais de représentation trop élevés, ou tire-t-il ses revenus d’un trafic de drogue ? Dans ces deux situations, la réaction du conseiller devrait être différente, croient-ils. « Si le client place de l’argent gagné dans du vol et de la fraude, en tant que conseiller financier, je me retirerais immédiatement », assure le conférencier et formateur en vente Roger St-Hilaire.

2. En parler ou pas ? Aborder le client permet de mesurer sa bonne foi. « Je lui montrerais le malaise dans lequel il me place en tant que conseiller financier », suggère René Villemure.

Cependant, il peut être délicat de tenir cette discussion avec le client. « Je ne jouerais pas les justiciers, mais je dirais au client que je me retire. Je n’ai pas à régler le problème des autres », conseille Roger St-Hilaire, qui ne recommande pas non plus de se confier à la hiérarchie. « Quand vous révélez une situation malhonnête à votre patron, pensez qu’il fait peut-être partie du réseau », indique-t-il.

3. Lâcher le client Quand l’affaire est grave et que le client refuse de réparer ses actes, le conseiller doit savoir réagir, quitte à abandonner son client. « Si vous voulez rester dans la vente, il n’y a pas de zone grise », assure Roger St-Hilaire. « Se poser la question, c’est y répondre. (…) C’est comme vendre un produit que vous n’aimez pas. »

M. Villemure va plus loin : « ça dépend du contexte, mais ça peut ressembler à une dénonciation. Le conseiller devra faire quelque chose pour sa propre sécurité. ».

4. Agir avec un sens moral Le conseiller peut être témoin d’un acte immoral, mais que la loi ne punit pas. « Si c’est légal mais immoral, le ferez-vous ? À quoi êtes-vous prêt pour atteindre votre objectif ? » interroge René Villemure.

Dans un tel cas, le conseiller ne risque pas de condamnation, mais il peut perdre beaucoup. « Quand on est mêlé à une situation frauduleuse, on se fait rattraper. Une réputation se perd d’un coup », rappelle Roger St-Hilaire.

5. Sauvegarder la confidentialité « Nos représentants doivent préserver la confidentialité des renseignements personnels qu’ils obtiennent auprès de leurs clients dans le cadre de l’exécution de leur mandat, de manière à assurer une relation de confiance avec la clientèle », souligne la Chambre.

Ce secret doit être respecté « à moins qu’une disposition d’une loi ou d’une ordonnance d’un tribunal compétent ne le relève de cette obligation », poursuit l’organisme.

Toute opération douteuse doit ainsi être divulguée au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), l’organisme fédéral de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les obligations de divulgation au CANAFE sont précisées sur le site : www.fintrac.gc.ca/intro-fra.asp.

Vous pouvez trouver ici la réponse complète que la Chambre de la sécurité financière nous a fait parvenir à la suite de notre demande d’entrevue.

À l’attention de M. Didier Bert,

Vous nous avez demandé quelle approche doivent adopter nos membres lorsqu’ils constatent qu’un de leur client tire ses revenus d’une source illégale.

À titre de membre de la Chambre de la sécurité financière, nos représentants doivent préserver la confidentialité des renseignements personnels qu’ils obtiennent auprès de leurs clients dans le cadre de l’exécution de leur mandat, de manière à assurer une relation de confiance avec la clientèle. Par ailleurs, le droit à la vie privée de tout citoyen, reconnu par le Code civil du Québec (1), est protégé par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé qui s’applique à toute activité réalisée dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise (2) et qui vise donc les activités de nos membres. En plus de leurs obligations d’intégrité, de respect et de compétence (3), la déontologie applicable aux représentants de courtier en épargne collective et en plans de bourses d’études prescrit aussi que « les renseignements sur les opérations et le compte d’un client sont confidentiels et le représentant ne doit pas les divulguer sans la permission du client, sauf si une disposition d’une loi ou d’une ordonnance d’un tribunal compétent le dispense de cette obligation » (4). Quant aux représentants en assurance de personnes, aux représentants en assurance collective et aux planificateurs financiers, leurs règles déontologiques prescrivent qu’ils doivent agir avec intégrité (5), que leur conduite doit être « empreinte de dignité, de discrétion, d’objectivité et de modération » (6) et que « le représentant doit respecter le secret de tous renseignements personnels qu’il obtient sur un client et les utiliser aux fins pour lesquelles il les obtient, à moins qu’une disposition d’une loi ou d’une ordonnance d’un tribunal compétent ne le relève de cette obligation » (7).

À titre d’exemple, de telles dispositions relevant nos membres de cette obligation de confidentialité, notons que la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes s’applique à toute personne et à toute entité autorisées « en vertu de la législation provinciale à se livrer au commerce des valeurs mobilières ou d’autres instruments financiers, ou à la prestation de services de gestion de portefeuille et de conseils en placement » (8), elle s’applique donc à nos membres. Conséquemment, ces derniers doivent divulguer toute opération douteuse ou toute opération comportant la réception d’une somme de 10 000 $ ou plus en espèces au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (« CANAFE »), indépendamment de la confidentialité mentionnée ci-dessus à laquelle ils sont tenus. Quiconque omet de se conformer à ces obligations de divulgation s’expose à des sanctions pénales et/ou à des pénalités administratives de la part de la CANAFE. Pour plus d’informations relatives aux obligations de divulgation à la CANAFE, nous vous invitons à consulter son site Internet à l’adresse suivante : www.fintrac.gc.ca/intro-fra.asp.

D’autre part, bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation de divulgation à l’initiative de nos membres, certaines autorités, telles que le ministère du Revenu du Québec ou l’Agence du revenu du Canada, possèdent de vastes pouvoirs d’enquête et de vérification leur permettant de contraindre nos membres à divulguer des renseignements personnels concernant des personnes déterminées. Le syndic de la Chambre possède également un pouvoir d’enquête et peut requérir tout document, renseignement, livre, registre, compte ou dossier, quel qu’en soit le support9, s’il a des motifs de croire qu’un de nos membres aurait commis une infraction à la Loi sur les valeurs mobilières, à la Loi sur la distribution des produits et services financiers ou à l’un de leurs règlements. Nous tenons à souligner qu’en sus de toute autre poursuite, le fait pour un membre de la Chambre de participer aux activités illicites d’un client pourrait porter atteinte à l’intégrité et aux normes déontologiques auxquelles il est tenu et le syndic pourrait, à ce titre, formuler une plainte disciplinaire contre ledit membre.

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(1) Art. 35 à 40 C.c.Q. (2) Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, L.R.Q. c. P-39.1, art. 1. (3) Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières (« RDDVM »), c. D- 9.2, r.1.1.2, art. 14. (4) Art. 8 RDDVM. (5) Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (« CDCSF »), R.R.Q., c. D-9.2, r.1.01, art. 11. (6) Art. 6 CDCSF. (7) Art. 26 CDCSF (8) Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17, art. 5g). (9) Loi sur la distribution des produits et services financiers, L.R.Q., c. D-9.2, art. 337, 340 et 343.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.