Tenir compte ou non de la totalité des actifs d’un client

Par Jean-Sébastien Proulx | 31 mai 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2003 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Gros bon sens et réglementation

Nous avons traité antérieurement des actes que pouvait poser un représentant en épargne collective dans sa pratique. Une des questions essentielles sur lesquelles s’interroger porte sur la façon de gérer les actifs de sa clientèle : doit-il ou peut-il fixer les objectifs de placement de son client et gérer son compte en fonction de la totalité de ses actifs, incluant ceux qui sont confiés ailleurs?

Prenons l’exemple d’un client, M. X, se présentant au bureau du représentant avec 200 000 $ à placer dans un compte REER. Ce dernier déterminera les objectifs de placement et les conseils à prodiguer en établissant le profil habituel (situation personnelle et familiale, actif, passif, emploi, connaissance en placement, horizon de placement, tolérance au risque, assurances, etc.). Ces renseignements serviront à établir le profil du client en regard des conseils à prodiguer. Toutefois, si le client mentionne qu’il a 100 000 $ dans un dépôt à terme dans une autre institution financière et 75 000 $ dans un compte ouvert ailleurs, le représentant est-il tenu de les prendre en considération?

À cet effet, le Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières mentionne à l’article 3 que «le représentant doit s’efforcer de façon diligente et professionnelle de connaître la situation financière et personnelle ainsi que les objectifs de placement du client. Les renseignements qu’il obtient d’un client doivent décrire cette situation ainsi que l’évolution de celle-ci».

Par ailleurs, l’article 4 indique que «les recommandations du représentant doivent s’appuyer sur une analyse approfondie des renseignements obtenus du client et de l’information relative à l’opération».

L’article 19 vient pour sa part spé- cifier que «le représentant doit fournir de façon objective et complète l’information requise par un client ainsi que celle pertinente à la compréhension, à l’appréciation et à l’état de ses placements».

La base de tout placement est la connaissance la plus étendue possible de la situation du client.

Nous pourrions interpréter que ces règles permettent au représentant «d’étendre sa connaissance» aux autres actifs, ce qui signifie en tenir compte. Les règles de l’art et les pratiques exemplaires (best practices) semblent également privilégier cette optique, car la base de tout placement est la connaissance la plus étendue possible de la situation du client. Voilà la règle générale.

Il est donc essentiel que le repré- sentant connaisse son client avant d’établir une stratégie de placement. Par connaître son client, il est sousentendu – d’après ce qui est mentionné dans les articles précédemment cités – que la connaissance d’autres actifs gérés ailleurs sera utile, voire nécessaire, pour établir le profil global du client (par exemple pour ne pas choisir les mêmes fonds ou produits, équilibrer les pourcentages en regard des objectifs de placement, connaître précisément le produit ABC, ainsi que sa valeur, que le client veut lui transférer dans un avenir déterminé, ou encore savoir quel type d’assurances le client possède…).

Reconnaissons toutefois que la ligne peut parfois être mince entre ce qui doit et ne doit pas être pris en compte, et que la tentation pour le représentant, avec les meilleures intentions possibles, peut être grande d’effectuer une gestion globale des actifs du client et ainsi assurer une meilleure répartition du risque pour établir une synergie maximale. À ce sujet, rappelons-nous que le représentant «gère strictement» les actifs confiés et qu’il n’a aucun pouvoir sur les autres actifs du client. De là l’importance d’une bonne communication entre le représentant et le client et de la mise à jour obligatoire à chaque transaction de ses objectifs de placement ainsi que de sa situation financière et personnelle.

Prenons un exemple. Les objectifs de placement de M. X sont déterminés par le revenu et ce dernier désire obtenir des fonds basés sur la croissance à long terme en contrepoids avec les fonds gérés ailleurs ou encore faire une «moyenne» des objectifs de placement. Le représentant pourrait conseiller le client selon ses objectifs de placement réels et faire intentionnellement abstraction des autres actifs détenus ailleurs à la demande du client, car ce dernier pourrait avoir une tolérance au risque beaucoup plus élevée ou beaucoup plus faible pour ses placements dans un autre cabinet.

Le représentant pourrait-il être blâmé par la Chambre de la sécurité financière pour ne pas avoir pris en considération les autres actifs de son client?

Dans ce cas précis, le respect de la règle «bien connaître son client» devrait amener le représentant à documenter le refus du client de se voir offrir une «gestion globale d’actifs». D’ailleurs, la documentation de tout dossier est essentielle, peu importe le type, et ce, conformément à la règle générale.

Cela implique qu’à la section «actifs du client», sur le formulaire d’ouverture de compte, le représentant doit tenir compte de la valeur des actifs du client, qui peut ou non inclure la valeur de ce qui est détenu ailleurs. En effet, rien n’oblige un client à divulguer tous ses actifs au représentant sur le formulaire d’ouverture de compte.

Le représentant ne pourrait donc reprocher au client de ne pas lui avoir mentionné tous ses actifs. Par contre, ces renseignements aident le représentant à mieux aiguiller son client. Le représentant gère les sommes confiées et non les autres actifs, qui doivent par contre être pris en compte. Ainsi, en cas de plainte ou d’inspection, le Bureau des services financiers pourrait-il reprocher au cabinet son manque de supervision envers un représentant à cet égard? Le représentant, quant à lui, pourrait-il être blâmé par la Chambre de la sécurité financière pour ne pas avoir pris en considération les autres actifs de son client? En agissant ainsi, ferait-il preuve de manquement à la déontologie?

Qu’en est-il toutefois du représentant en épargne collective qui est également planificateur financier?

Le planificateur financier

Celui-ci, sous réserve de respecter les articles de son Code de déontologie et le Règlement sur l’exercice des activités des représentants, doit établir le profil complet du client, ce qui inclut bien entendu tous les actifs, confiés et à l’externe.

Dans ce contexte, pour préparer et s’acquitter du mandat de planification financière, il est nécessaire de bien connaître l’échéance d’un placement garanti, le besoin de liquidités, la présence de valeurs mobilières, les types de fonds, l’échéance dans l’échelle décroissante des frais de sortie des fonds, les objectifs de placement et la situation financière du client en regard de tous les placements détenus à l’externe. Encore là, il est essentiel qu’un tel mandat soit confié, car le seul titre de planificateur financier ne pourrait être avancé pour gérer les actifs d’un client dans leur totalité.

Le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière mentionne à l’article 15 qu’«avant de renseigner ou de faire une recommandation à son client ou à tout client éventuel, le représentant doit chercher une connaissance complète des faits».

De ce fait, nous pouvons constater qu’il y a un degré supplémentaire de précision pour le planificateur par rapport à la réglementation s’appliquant au représentant en épargne collective.

Rappelons néanmoins que la planification financière est une discipline à titre réservé et non à acte réservé. Le planificateur a l’«autorité», les connaissances et les compétences pour agir globalement, même si dans les faits le représentant en épargne collective (pratiquant dans cette seule discipline) pourrait lui aussi agir ainsi. Or, la prudence enseigne au représentant en épargne collective d’en faire un usage qui est plus limité et indirect.

La personne possédant les deux titres pourrait donc, par son statut, gérer plus aisément les actifs d’un client globalement, toutes choses étant égales. Toutefois, le rapport de planification financière, qui doit être remis au client, pourrait ne pas être pris en compte par celui-ci. Il serait intéressant de connaître l’interpré- tation des organismes de réglementation à ce sujet, mais il appert que la question en demeure une soumise à la règle du gros bon sens. Chose certaine, la problématique n’est pas sans nuances.

L’avis de la Chambre de la sécurité financière

Selon Martin Rochon,président de la Chambre,un représentant doit toujours avoir un portrait complet de la situation financière et personnelle de son client,même si ce dernier peut parfois avoir des réticences à ce sujet. Le lien de confiance qui doit s’établir devrait favoriser l’ouverture du client sur sa situation financière et personnelle. Advenant le cas où un client choisit de ne pas divulguer toute sa situation,cet état de fait doit être mentionné au dossier du client.La situation entre le représentant et son client doit être transparente et sans ambiguïté.

Lefait pour le représentant d’être au courant de la situation financière et personnelle de son client lui permet d’agir de façon plus professionnelle. La situation du client est un élément incontournable dans l’établissement de la répartition de son investissement. Si le profil d’un client a permis d’établir que 30 % de ses investissements doivent être faits dans des fonds d’actions et que ce pourcentage est déjà à 20 % ailleurs,ce fait doit être pris en considération par le représentant en regard des investissements qui lui sont confiés.

Jean-Sébastien Proulx, LL. B., B.A., est coordonnateur en conformité réglementaire au Groupe financier Partenaires Cartier.


• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2003 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Jean-Sébastien Proulx