Un front commun d’expertises

Par Yves Bonneau | 1 mars 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Maintenant que le gouvernement libéral a confirmé le projet d’une commission des valeurs mobilières nationale, vaut-il mieux se déchirer la chemise constitutionnelle, s’isoler ou plutôt prendre les commandes et montrer notre expertise, poser nos conditions ?

Depuis plus de dix ans que l’Autorité des marchés financiers (AMF) travaille à se tailler une place enviable sur l’échiquier canadien des organismes de réglementation, à démontrer du leadership autant sur le plan national qu’international, pourquoi s’arrêterait-on en si bon chemin ? Parce qu’il y a un projet de commission de valeurs nationale ? Pour des raisons de protectionnisme provincial ?

Combien de réunions depuis 15 ans avec les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ? Suffisamment pour avoir clairement établi l’expertise de notre régulateur au sein de la fédération. Depuis le début, des représentants du Québec assurent la présidence des ACVM régulièrement. L’actuel pdg de l’AMF, Louis Morisset, est aujourd’hui à la tête des ACVM. Son collègue Patrick Déry préside quant à lui le CCRRA, le Conseil canadien des responsables en réglementation d’assurances.

Bien évidemment, l’arrivée d’une commission nationale bouscule le système établi. Et bien que fonctionnel, le système actuel est un peu boiteux puisque la principale place du commerce des valeurs mobilières au Canada, l’Ontario, s’est exclue. Est-ce que Toronto et Bay Street se sont retirées, par exemple, du régime de passeports en raison de leurs visées centralisatrices ? Cela reste à voir et surtout à prouver. Toutefois, pendant que les Ontariens décidaient d’être sur la touche, les autres organismes de réglementation ont peaufiné leurs méthodes de travail sur le terrain et amélioré leurs procédures d’harmonisation. Un accomplissement colossal qui ne saurait être écarté.

Mais, comme il n’y a que l’Alberta et le Québec qui s’opposent au projet du fédéral, on voit difficilement comment arrêter ce train. Il vaudrait mieux le prendre plutôt que de le laisser passer. Quoi faire donc pour tirer le meilleur parti de la situation et surtout pour se démarquer ?

Nous sommes différents en raison de notre langue, de notre culture et de nos institutions. Le commerce des valeurs mobilières et les services financiers n’y font pas exception. Et, la beauté de la chose, c’est que le Québec est toujours un formidable marché pour les sociétés financières. Partant de là, notre masse critique fait en sorte qu’on ne peut ignorer notre opinion et nos institutions. L’AMF est donc là pour rester mais elle sera ce que l’on veut en faire : soit une succursale de la commission Morneau, soit un leader dans son secteur d’activité.

Comme c’est souvent le cas, le Québec fait office de précurseur quand vient le temps de trouver des solutions novatrices et créatives. Pour survivre, les minorités n’ont pas le choix, elles doivent s’illustrer. La Caisse de dépôt et placement du Québec, la Bourse de Montréal, maintenant consacrée aux produits dérivés, le régime d’épargne-actions (RÉA), le fonds de la FTQ sont quelques exemples remarquables de notre esprit avant-gardiste collectif et de nos réussites.

Or, en matière d’agence de réglementation, le Québec fait encore une fois preuve d’innovation. Aucun autre régulateur au Canada ne peut se comparer à l’AMF en matière de responsabilités publiques et de multidisciplinarité. Seules les banques (qui ont des chartes fédérales) échappent à la surveillance du gendarme québécois.

Mais ses faits d’armes et ses compétences avérées et reconnues par ses homologues du ROC ne suffisent pas à faire de l’AMF un interlocuteur incontournable pour le fédéral. Si le système de surveillance des marchés et des intermédiaires fonctionne si bien au Québec, c’est aussi parce qu’il y a deux autres organismes, qui ont également fait leur marque en ce qui a trait à la formation des professionnels, à leur encadrement et donc à la protection du public. D’un côté, il y a la Chambre de la sécurité financière et de l’autre, il y a l’IQPF. Et dans une éventuelle réorganisation du secteur réglementaire national, ils sont des experts du terrain avec les intermédiaires. Une compétence qui fait cruellement défaut à l’AMF.

Par exemple, dans l’éventualité où des normes nationales pour les planificateurs financiers devraient être enchâssées dans une nouvelle réglementation suivant l’arrivée de la commission Morneau, il faudra faire obligatoirement avec l’IQPF. L’Institut est un fleuron québécois et un autre modèle précurseur en matière de formation financière des professionnels. Et les nombreuses ententes prises avec leurs cousins des FPSC pavent déjà la voie aux discussions nationales sur les planificateurs financiers.

Enfin, il y a la Chambre, maintes fois citée en exemple par les médias du ROC et certaines agences de réglementation comme solution d’avenir en ce qui a trait à l’encadrement multidisciplinaire des conseillers en épargne collective et en assurance. On pourrait aller plus loin encore : si l’OCRCVM est l’organisme d’autoréglementation des valeurs mobilières d’un océan à l’autre, pourquoi la Chambre ne pourrait-elle pas devenir l’exemple pour les autres provinces d’un organisme d’autoréglementation national multidisciplinaire pour les conseillers en sécurité financière ?

Pour cela, il faut faire front commun. Porter au fédéral nos conditions et notre volonté de faire les choses de façon distincte, démontrer que notre système fonctionne et est transposable ailleurs. Et dans ce système d’encadrement, la Chambre demeure partie prenante aux côtés de l’AMF en ce qui a trait à la protection de nos concitoyens. Ceux qui voudraient remplacer la CSF par, disons, un MFDA national seraient bien mal avisés. Ils démontreraient par a + b que les solutions mises sur pied au Québec peuvent être facilement supplantées par des solutions nationales venant du ROC. Et ce serait plutôt de mauvais augure pour la suite !


• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2016 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com

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