Une brique dans le portefeuille

Par Didier Bert | 1 juin 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : 123rf

Si la ­Caisse de dépôt et placement du ­Québec (CDPQ) investit dans les infrastructures pour y trouver du rendement, pourquoi un particulier n’en ­ferait-il pas de même ? ­Nul besoin d’avoir un actif aussi important pour en profiter.

À elle seule, la ­Caisse est capable de mettre sur les rails des projets d’infrastructure de taille, comme le ­Réseau express métropolitain (REM). Et contribuer à l’offre de transport en commun dans la région de ­Montréal n’est évidemment pas la seule raison qui a poussé l’institution à investir dans ce projet. À long terme, la ­Caisse espère un rendement annuel de 8 % sur les trois milliards de dollars qu’elle y a injectés.

Un tel gain peut faire rêver bon nombre d’investisseurs, alors que les taux d’intérêt demeurent historiquement bas, que le marché des actions est volatil et que les analystes s’attendent à la fin prochaine du cycle boursier. Or, il est bel et bien possible pour un particulier de glisser des investissements en infrastructures dans son portefeuille de placement.

Mais pour lui, pas question d’acquérir un terminal d’aéroport ou un réseau de transport ! ­Le particulier devra plutôt passer par un fonds commun de placement (FCP), investi dans différentes infrastructures. Environ 500 $ suffisent pour avoir accès à un ­FCP avec une liquidité quotidienne – qui permet à l’investisseur de sortir quand il le souhaite, alors que la ­Caisse ne pourrait pas se délester aussi rapidement d’un investissement tel que le ­REM –, souligne ­Patrick ­Loranger, conseiller principal à ­Banque ­Nationale ­Investissements.

RENDEMENTS PRÉVISIBLES

Tout d’abord, il faut bien comprendre comment une infrastructure génère des gains pour un investisseur. Dans un tel placement, ce dernier accepte d’engager des fonds en échange d’une prévisibilité des rendements à long terme.

Dans le secteur de l’énergie, ce sont les revenus anticipés du projet qui servent de référence aux investisseurs. « L’énergie éolienne ayant déjà généré des flux monétaires stables, on dispose de critères d’évaluation déterminés qui nous guident dans le processus d’investissement », explique Élyse ­Léger, ­vice-présidente et gestionnaire de portefeuille privé à ­Fiera ­Capital. Cela explique que le fonds Fiera Infrastructure soit « restrictif » avec les technologies les plus récentes dont les revenus sont difficiles à évaluer, ­poursuit-elle. Parmi ses actifs, ­il compte ainsi des parcs éoliens, des parcs solaires et des centrales hydroélectriques, autant d’infrastructures dont le modèle économique est désormais rodé.

Les rendements peuvent réserver de bonnes surprises. À ce titre, l’autoroute ­Sea-to-Sky, qui relie ­Vancouver à ­Whistler, est un exemple parlant. Un tronçon de 100 kilomètres a été rénové dans les années 2000 grâce à du financement privé. En échange, les investisseurs institutionnels sont rémunérés en fonction de la fréquentation de l’autoroute.

« ­Ce placement est très profitable, car l’utilisation est plus élevée que prévu », constate Élyse ­Léger. L’autoroute ­Sea-to-Sky fait partie des éléments d’actif du ­Fonds ­Fiera ­Infrastructure. Lancé en 2008, ce dernier compte une équipe de 18 spécialistes de l’investissement.

DIVERSIFICATION C. RISQUE

Quant au risque, il est similaire à celui des obligations gouvernementales, souligne ­Mme ­Léger, car certaines infrastructures publiques, comme un centre de détention, une autoroute ou un hôpital, font habituellement l’objet d’une entente avec un gouvernement. C’est alors ce dernier qui paie les investisseurs en fonction de l’utilisation de l’infrastructure. Le risque de défaillance financière est donc directement lié au risque, minime, de banqueroute du gouvernement.

Le risque est aussi réduit par une participation limitée dans chaque projet. Un fonds comme celui de ­Fiera ­Capital prend habituellement entre 25 et 50 % des parts d’un projet, mentionne Élyse ­Léger. Le risque est donc divisé avec les autres investisseurs… comme c’est le cas avec la ­Caisse et le ­REM, par exemple. Son engagement représente 50 % du financement total, auquel s’ajoute celui des gouvernements provincial et fédéral, de l’Autorité régionale de transport métropolitain et d’­Hydro-Québec.

La ­Caisse et les infrastructures en chiffres

  • 16,2 milliards de dollars : actif net de la ­Caisse de dépôt et placement du ­Québec investi dans les infrastructures au 31 décembre 2017. Cela représente 5,4 % de son portefeuille global.
  • 10 : nombre de pays où la ­Caisse investit dans des infrastructures.
  • 10,1 % : rendement du portefeuille ­Infrastructures de la ­Caisse en 2017. Sur cinq ans, le rendement annuel s’établit à 10,3 %.

Source : CDPQ

À l’instar de nombreux autres outils de placement, un fonds commun doit aussi être diversifié en participant à des projets dans différents secteurs et pays. De tels produits sont habituellement répartis entre des infrastructures de production d’énergie, de transport (autoroutes, ponts, tunnels), de services publics (centres de détention, hôpitaux, etc.) et des actifs immobiliers (centres commerciaux, tours à bureaux). La ­Caisse est ainsi investie à 53,4 % dans les infrastructures d’énergie, 40,5 % dans les transports et 6,1 % dans les services publics.

Géographiquement, la répartition doit aussi être variée. « ­La diversification mondiale donne accès à un plus large éventail de projets et de firmes que si on se limitait aux infrastructures canadiennes », souligne ­Patrick ­Loranger.

Le fonds de ­Fiera est ainsi investi à 35 % au ­Canada, 20 % aux ­États-Unis et 45 % en ­Europe. Le ­Vieux ­Continent présente l’intérêt de proposer des partenariats ­public-privé (PPP) depuis de nombreuses années. Le modèle y a fait ses preuves, ce qui rassure les investisseurs. De son côté, le portefeuille ­Infrastructures de la ­Caisse est réparti à 31,3 % aux ­États-Unis, 26,3 % en ­Europe, 21,1 % en ­Australie, 16,3 % au ­Canada et 5,0 % dans les marchés émergents.

« Les investissements dans des compagnies d’infrastructure génèrent des dividendes souvent plus élevés que les actions traditionnelles. »

– Patrick ­Loranger, conseiller principal à ­Banque ­Nationale ­Investissements

LE SECRET DU RENDEMENT 

Limiter les risques ne nuit cependant pas au rendement de cette catégorie d’actif. Comme les obligations gouvernementales, les placements en infrastructure versent un revenu fixe, mais leur rendement est plus élevé pour un risque équivalent. Il serait tout aussi surprenant de voir un gouvernement devenir incapable de verser les intérêts de ses obligations que de voir ce même gouvernement peiner à payer pour utiliser un édifice ou un pont. Tout comme la ­Caisse, le fonds ­Fiera ­Infrastructure vise un rendement annuel de 8 %. « ­Les investissements dans des compagnies d’infrastructure génèrent des dividendes souvent plus élevés que les actions traditionnelles », affirme ­Patrick ­Loranger.

Un rendement supérieur pour un risque équivalent ? L’équation peut étonner quand on sait que le rendement est habituellement inversement proportionnel au risque. Le défaut d’un placement en infrastructure demeure son manque de liquidité, explique Élyse ­Léger. En effet, les éléments d’un fonds comme celui de ­

Fiera ­Capital sont des actifs à long terme. La firme ne peut pas vendre ses positions en une journée. Cette liquidité moindre est donc compensée par un rendement supérieur.

Et c’est ce dernier qui a rendu les infrastructures plus populaires auprès des investisseurs institutionnels et individuels. « ­Avec la faiblesse des taux d’intérêt, ils sont à la recherche de rendement… Or, les actifs réels comme les infrastructures versent des revenus plus élevés », pointe ­Patrick ­Loranger.

« La baisse des taux d’intérêt a mis un stress énorme sur les régimes de retraite, qui se sont tournés vers les obligations à rendement élevé… et les investissements en infrastructure. »

– Jean-René Ouellet, gestionnaire de portefeuille à Valeurs mobilières Desjardins

« ­La baisse des taux d’intérêt a mis un stress énorme sur les régimes de retraite, qui se sont tournés vers les obligations à rendement élevé… et les investissements en infrastructure », observe ­Jean-René ­Ouellet, gestionnaire de portefeuille à ­Valeurs mobilières ­Desjardins.

Les placements en infrastructure les ont aussi attirés parce que leurs revenus réguliers permettent de dégager des liquidités courantes que les régimes de retraite peuvent utiliser pour verser les prestations, ­ajoute-t-il.

Dans un contexte où on s’attend à une hausse des taux, les investissements en infrastructure risquent d’être moins affectés que les obligations gouvernementales, dont la valeur diminue quand les taux d’intérêt augmentent, rappelle Élyse ­Léger. Des taux plus élevés ont aussi une influence sur la valeur des infrastructures… mais elle est limitée, car la rétribution versée aux investisseurs pour l’utilisation des infrastructures est indexée sur l’inflation. Cette indexation est systématiquement prévue aux ententes avec les gouvernements. À l’inverse, « pour les obligations, le coupon versé demeure le même, quel que soit le taux d’intérêt », souligne ­Mme ­Léger.

Dans un portefeuille, les placements en infrastructure augmentent donc les revenus versés périodiquement, une caractéristique recherchée par les régimes de retraite comme certains investisseurs individuels, précise ­Patrick ­Loranger.

L’immobilier, une infrastructure comme une autre?

Certaines caractéristiques de l’investissement en infrastructure peuvent rappeler celles d’un placement immobilier. Les deux versent des revenus régulièrement et sont peu corrélés avec le marché des actions. Cependant, les similarités s’arrêtent là.

« L’immeuble à logements est un ­micro-investissement sans diversification géographique, qui demande une expertise et une connaissance du terrain très élevées », pointe Jean-René Ouellet.

MOINDRE VOLATILITÉ 

Enfin, les investissements en infrastructure sont faiblement corrélés avec les marchés boursiers, relève ­Jean-René ­Ouellet. Si ces derniers viennent à chuter, les revenus versés par les fonds d’infrastructure pourraient tout de même se maintenir. Et les actifs ­eux-mêmes ont tendance à moins varier que les actions d’entreprises, car la valeur des infrastructures est évaluée périodiquement sur une base réelle, indépendante des fluctuations boursières, ­ajoute-t-il. Cette faible corrélation s’explique aussi par la diversification internationale des fonds et par leur répartition entre différents secteurs (énergie, transports, services publics, etc.).

L’investisseur individuel doit toutefois garder en mémoire que ces placements demeurent des investissements dans des titres cotés en ­Bourse et sont donc susceptibles de voir leur valeur baisser, rappelle ­Patrick ­Loranger. « ­Leur volatilité est comparable à celle d’un fonds d’actions mondiales », ­souligne-t-il, tout dépendant des actifs dans lesquels le gestionnaire du fonds commun investit. Certains produits incluent uniquement des infrastructures publiques, mais d’autres investissent aussi dans des actifs immobiliers, tels que des tours à bureaux et des édifices commerciaux.

Or, l’activité économique d’un pays n’a pas la même influence sur le rendement de ces édifices que sur celui d’un centre de détention, par exemple. Si l’investisseur cherche à diversifier un portefeuille qui serait déjà fortement composé de valeurs immobilières, mieux vaut qu’il le sache ! ­Parce que, comme pour tout investissement, nul n’est à l’abri d’une déconvenue.


• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2018 de Conseiller.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.