Une publicité de Wealthsimple fait jaser

Par La rédaction | 6 mars 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Visible dans le métro de Montréal, la publicité de Wealthsimple promeut « l’investissement humain » alors que l’entreprise utilise quasi exclusivement des conseillers-robots pour traiter les demandes de ses clients. Conseiller a demandé l’opinion de deux professionnels de la finance et du marketing.

D’emblée, Gino Savard estime ce genre de publicité « un peu pernicieuse ». Pour lui, on essaie de rendre humain quelque chose qui ne l’est pas.

« Power Corporation, qui investit beaucoup dans Wealthsimple, possède d’autres secteurs de ventes dans lesquels il y a des conseillers en services financiers. Ils ont décidé de développer un produit comme ça, et ils en ont bien le droit. Mais prétendre que c’est de l’investissement humain quand on a affaire à des robots-conseillers, c’est un peu limite », juge le président
 de MICA Cabinets de services financiers.

« Leur message est que le service qu’ils offrent n’est pas seulement du conseil robotisé, qu’il y a des humains qui peuvent parler au public à l’intérieur de leur entreprise et que le client n’est pas obligé de faire affaire uniquement avec des machines. Ce n’est pas complètement inexact, car il est en effet possible de parler à quelqu’un à un moment donné, mais auparavant le client devra franchir plusieurs étapes en ayant seulement affaire à la machine. Donc ce n’est pas tout à fait faux, mais c’est quand même limite. »

DES HUMAINS, VRAIMENT?

Gino Savard trouve également l’image sur l’affiche ambiguë : « En la regardant, on se demande si ce sont vraiment des humains qui y figurent. Dans le fond, c’est l’investissement qui pourrait avoir l’air humain. » Le dirigeant trouve « brillant » le fait que Wealthsimple soit parvenue à jouer sur plusieurs tableaux en même temps et que son image puisse être interprétée de plusieurs façons différentes.

« C’est bien joué de sa part, parce qu’en misant sur l’ambiguïté, la compagnie crée de la polémique. Sa publicité fait jaser et c’est ce qu’elle voulait : parlez-en mal, parlez-en bien, mais parlez-en! »

Même son de cloche pour Benoit Duguay, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQÀM.

« À première vue, ce sont deux humains, mais est-ce qu’en fait il ne pourrait pas aussi s’agir d’androïdes? Finalement, on se demande ce qu’ils sont censés incarner : des clients ou des conseillers robotisés? Est-ce que Wealthsimple ne cherche pas ainsi à donner corps à ses conseillers-robots, dont l’un pourrait par exemple s’appeler Fred et l’autre, Anna? L’image est finalement ambiguë, parce qu’on peut tout à fait l’interpréter de ces deux façons-là. »

Toutefois, le message pourrait frapper les esprits, dit-il, justement à cause de l’aspect un peu androïde des personnages. « Le public y associera peut-être automatiquement Wealthsimple. Donc, en termes de notoriété, ça pourrait très bien fonctionner. »

Le spécialiste voit d’ailleurs dans cette campagne « une certaine similarité » avec celle menée il y a une vingtaine d’années par l’entreprise de téléphonie mobile Fido, alors inconnue du grand public, qui avait fait évoluer pendant des mois un dirigeable dans le ciel de Montréal avec pour seule inscription « Fido » sur ses flancs. « Personne ne savait ce que ça voulait dire, mais quand Fido a commencé plus tard à faire de la pub, tout le monde se rappelait de son nom », conclut le professeur.

UN MESSAGE PEU CLAIR

Gino Savard se montre en outre réservé sur le message que délivre la publicité.

« Là où ce n’est pas correct, c’est que si les personnes initiées sont capables de capter les subtilités du message, les gens qui ne sont pas au courant de ce qu’est Wealthsimple risquent eux d’avoir l’impression qu’il s’agit d’une compagnie dans laquelle on fait de l’investissement de façon traditionnelle, où l’humain est au centre du processus, alors que ce n’est absolument pas le cas. À la limite, on pourrait même penser qu’il s’agit d’investissement responsable ou équitable. Sur le plan éthique, on s’entend donc que c’est ordinaire. »

Pour M Duguay, si l’affiche de Wealthsimple est « très agence » et « facile à se rappeler », son message ne correspond pas au produit. « Quand on sait ce qu’est Wealthsimple, ce côté humain est loin d’être évident! »

En effet, souligne-t-il, « quand on va sur le site de cette firme, on ne parle qu’à un ordinateur, un système intelligent auquel on fournit certaines paramètres et qui va suggérer des investissements. Donc il est clair qu’il n’y a pas de correspondance entre le produit et le message, car le produit en question est tout sauf humain. »

Benoit Duguay dit « soupçonner » que la firme d’investissements robotisés souhaite gagner un peu en humanité », parce que sa réputation « pourrait faire peur à certains consommateurs qui pensent qu’ils ne pourront jamais contacter un humain mais juste un système intelligent ». Cette publicité vise surtout à rassurer les gens, selon lui.

« Il n’y a qu’à l’usage qu’on saura si ce genre de publicité est efficace. Ce qui est sûr, c’est que ça permet de développer un premier niveau de notoriété, parce que ce qui importe avant tout, c’est la signature. Et comme l’ambiguïté du message met l’accent sur la compagnie, les gens risquent de se rappeler de Wealthsimple. »

PAS DE MESSAGE TROMPEUR, DIT WEALTHSIMPLE

Interrogée par Conseiller, Wealthsimple se défend d’envoyer un message trompeur au grand public dans sa campagne.

« Les conseils pour les humains, par les humains, sont au cœur de notre activité et, selon nous, cette façon de faire apporte les meilleurs résultats pour les investisseurs. Nous espérons ainsi leur faire comprendre que l’investissement est accessible à tout le monde, et qu’il n’y a donc pas besoin d’être un expert pour investir dans son avenir », justifie Rachael Factor, directrice des communications de la firme, à Toronto.

« Wealthsimple représente une bonne solution pour une grande variété d’investisseurs. Notre clientèle est très variée en termes d’âge et d’actif disponible, mais la plupart des personnes avec lesquelles nous faisons affaire ont entre 25 et 45 ans, tandis qu’environ 40 % sont des investisseurs débutants », précise la porte-parole.

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