Valeurs mobilières : le secteur se porte plutôt bien, mais…

Par La rédaction | 12 septembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Quelles sont les tendances commerciales qui se dessinent dans le secteur des valeurs mobilières? Quelles sont les perspectives de ses principales branches d’activités et de ses différentes catégories de société? Quels sont les défis auxquels sont confrontées les grandes et petites sociétés de courtage?

Autant de questions auxquelles s’intéresse la longue analyse publiée vendredi par Ian C. W. Russell, président et chef de la direction de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM). Selon lui, les activités de gestion de patrimoine des sociétés de courtage indépendantes de détail et des sociétés intégrées ont enregistré de « solides performances » grâce aux augmentations des produits d’exploitation du secteur de détail durant les trois dernières années.

Si la performance du secteur a donc été, dans l’ensemble, « remarquablement solide et stable au cours des quatre dernières années », et ce, « malgré une faible croissance économique (…), la persistance de faibles taux d’intérêt et de rendements médiocres, le besoin pressant de suivre le rythme des innovations et une cadence ininterrompue de réformes réglementaires », ce tableau général « ne reflète pas les difficultés et les différences de performances selon les sociétés et selon les catégories de société du secteur », selon lui.

En effet, si l’on examine les choses de plus près, on constate que « les bénéfices ont été loin de progresser de façon uniforme », car ils dépendent du type d’activités commerciales et de la taille des sociétés.

« NOUS SOMMES CONFRONTÉS À DES CHANGEMENTS SANS PRÉCÉDENT »

Globalement, la performance des grandes sociétés intégrées et des franchisés indépendants de taille moyenne du secteur de détail s’est « assez bien maintenue » depuis trois ans, ce qui n’a pas été le cas des petites sociétés spécialisées. De leur côté, les sociétés institutionnelles indépendantes et les petites sociétés de détail ont présenté des résultats variables, même si, en général, leur rendement a été « relativement faible ».

Malheureusement, déplore Ian Russell, « le terrain inconnu que constitue la persistance d’une faible croissance, les investissements anémiques, la faible productivité et les bas taux d’intérêt empêchent de se faire une bonne idée de la conjoncture commerciale et de son évolution probable », et donc de « prendre des mesures efficaces pour sortir du marasme économique et financier actuel ».

Le patron de l’ACCVM note que les sociétés du secteur des valeurs mobilières se retrouvent aujourd’hui aux prises avec « une incertitude sur le marché et une forte concurrence dans l’offre des services institutionnels et de détail ». Circonstances aggravantes, elles sont touchées par « des changements sans précédent », avec notamment les nouvelles exigences de la clientèle, ainsi que par « une accélération de l’innovation qui révolutionne les produits et services, les moyens de communication et la fourniture des produits et services ». En outre, elles sont confrontées à « une diminution des financements par actions des petites entreprises sur les marchés boursiers de capital de risque », et par « un rouleau compresseur réglementaire qui semble parfois dépourvu de direction stratégique ».

CINQ FACTEURS D’INFLUENCE

D’une manière générale, explique Ian Russell, la performance des sociétés a été influencée par cinq grands facteurs depuis ces dernières années :

  • les augmentations soutenues des produits d’exploitation générés par les activités de gestion de patrimoine, et l’augmentation des profits tant pour les grandes que pour les petites sociétés;
  • l’effondrement et la stagnation des financements par actions des petites entreprises sur les marchés boursiers de capital de risque;
  • la hausse ininterrompue des frais d’exploitation dans tout le secteur des valeurs mobilières;
  • l’énorme pression du secteur pour accroître la productivité et la performance;
  • la tension attendue sur les bénéfices à cause du ralentissement de la croissance des produits d’exploitation générés par les honoraires et du resserrement des marges d’exploitation.

ACCVM_logo_425« RÉDUIRE LE FARDEAU RÉGLEMENTAIRE DES SOCIÉTÉS DE COURTAGE »

Le président de l’ACCVM évoque également dans son texte « la vague soutenue de regroupements dans le secteur alors que plusieurs franchisés de petite taille exerçant des activités de détail ou des activités institutionnelles doivent y mettre fin à cause d’une diminution de la demande sur les marchés institutionnels et de détail qui entraîne une réduction de leurs marges d’exploitation ». Dans ce contexte, ces sociétés « doivent chercher à fusionner avec d’autres, sinon elles fermeront leurs portes ».

Le problème, ajoute Ian Russell, c’est que ces regroupements ont « un effet néfaste sur les marchés financiers », car « ils nuisent au dynamisme des marchés boursiers, diminuent les activités de négociation et de financement, portent atteinte à la concurrence », en plus de « réduire les choix des consommateurs qui font affaire avec des sociétés de détail ou des sociétés institutionnelles ». Selon lui, les petites sociétés de courtage sont des participants importants sur les marchés boursiers de capital de risque. « Leur diminution nuit à ces marchés parce que les petites entreprises ont encore plus de difficultés à vendre leurs actions ».

Pour limiter les dégâts, les organismes de réglementation devraient instaurer, selon le dirigeant, « un processus d’élaboration des règles plus efficient pour réduire le fardeau réglementaire des sociétés de courtage », par exemple en imposant de nouvelles règles « prudemment et rigoureusement », en abrogeant « les règles inefficientes et inutiles » et, « dans la mesure du possible », en réduisant les contraintes réglementaires en fonction de la taille des petites sociétés. Il croit en outre que les marchés boursiers de capital de risque devraient adopter « un programme stratégique efficace pour régler les problèmes fiscaux et réglementaires transfrontaliers afin de constituer un groupe principal d’investisseurs internationaux actifs dans la négociation d’actions spéculatives ». Enfin, il juge que « l’adoption d’un incitatif fiscal ciblé applicable aux actions de petites entreprises aiderait à la mobilisation des capitaux et avantagerait les petites sociétés de courtage ».

RÉAJUSTEMENT DES MODÈLES D’AFFAIRES DANS LE SECTEUR DU DÉTAIL

Les produits d’exploitation générés par les activités de détail ont augmenté au taux annuel « surprenant » de 11 % au cours des trois dernières années, relève également Ian Russell, qui précise que l’augmentation soutenue de la demande de produits financiers et de services-conseils dans le secteur a profité à la fois aux grandes et aux petites sociétés. Fait intéressant, cette tendance à la hausse de la demande de services financiers s’est maintenue « malgré les faibles taux d’intérêt, la volatilité du marché et les incertitudes sur l’avenir de l’économie et des marchés ».

Selon le président de l’ACCVM, ce phénomène est dû à une demande croissante de conseils et de produits, tant de la part de clients à valeur nette élevée que de clients à revenu moyen. Leurs objectifs? Financer l’augmentation de leurs cotisations à l’épargne-retraite, restructurer leur portefeuille et modifier leur stratégie de placement, à l’heure où les baby-boomers s’approchent de la retraite ou l’ont déjà prise.

Ian Russell observe par ailleurs que les départs massifs de ces derniers à la retraite ont « modifié les attentes des clients qui ont besoin de services financiers de détail », en plus de contraindre les modèles d’affaires traditionnels du secteur à subir de profonds changements. « Il y a eu une transition importante alors qu’on est passé de l’accumulation d’actifs par l’intermédiaire de comptes d’opérations et de fonds gérés à l’accumulation d’actifs mixtes et à la distribution en insistant davantage sur des placements assortis de versements de dividendes et d’intérêts, en utilisant des comptes gérés carte blanche diversifiés, et en demandant des services de planification financière et de planification successorale », détaille le dirigeant.

L’INDUSTRIE ENGAGÉE « ACTIVEMENT » DANS LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

Ian Russell note qu’une plus grande sensibilisation aux marchés financiers, l’expérience de la crise financière de 2008, particulièrement les risques inhérents aux placements, ainsi qu’une meilleure compréhension et une plus grande utilisation des communications numériques font en sorte que les clients accordent aujourd’hui beaucoup d’importance à la valeur et à la commodité. « Les investisseurs demandent davantage de placements diversifiés moins risqués, des produits financiers moins complexes assortis de frais moins élevés, et ils insistent davantage sur les fonds d’investissement gérés passivement », explique Ian Russell. Dans cette optique, ajoute-t-il, « les nouvelles règles du MRCC, qui exigent plus de transparence et plus de standardisation des honoraires, des frais et du rendement du portefeuille, aideront les clients à faire leurs choix ».

Autre changement d’importance, selon le dirigeant : les investisseurs ont désormais adopté l’accès en ligne pour obtenir des informations sur leur compte et communiquer avec leur conseiller, soit en échangeant des courriels, soit par l’intermédiaire de sites web, afin de se tenir au courant de l’état de leurs finances personnelles. « La demande de conseils en ligne de la part des clients s’est accrue et elle comprend maintenant, en plus des comptes traditionnels avec conseils, l’exécution en ligne d’opérations sur les actions, des conseils et la gestion de portefeuille en ligne. De nouveaux conseillers robots en ligne spécialisés, tant en accès direct que sous forme hybride, sont apparus pour faire concurrence aux services conseils », détaille Ian Russell.

Résultat : « les sociétés se sont engagées activement à adapter les nouvelles technologies et à relever les défis découlant de la conformité des communications numériques », tout en continuant « à augmenter les efficiences et à diminuer les coûts de la salle des marchés et des services de post marché ».

VERS UNE RÉDUCTION DES MARGES D’EXPLOITATION

Dans le portrait qu’il brosse du secteur des valeurs mobilières au pays, le président de l’ACCVM aborde également la question des frais d’exploitation, qui ont augmenté d’environ 5 % chaque année depuis 2014, tant en ce qui concerne les grandes que les petites sociétés. Une inflation qu’il attribue « au besoin toujours croissant de technologies et de systèmes pour mener les activités commerciales, et à l’augmentation des coûts de conformité sur les plans de l’expertise et de la technologie ». Selon lui, les frais pourraient continuer de croître, et à un rythme de plus en plus soutenu, pour deux grandes raisons. La première est que les énoncés prévisionnels du programme réglementaire suggèrent que les coûts de conformité continueront à augmenter. La seconde est que « le rythme implacable de l’innovation financière et la forte concurrence dans le secteur forceront la mise au point continuelle de technologies financières dispendieuses et maintiendront le besoin d’améliorer l’architecture des systèmes ».

Ian Russel estime toutefois que les hausses « sans précédent » des produits d’exploitation générées par les activités de gestion de patrimoine se ralentiront au cours des deux prochaines années. D’après lui, « le plus grand impact sur les activités de détail proviendra de la diminution des produits d’exploitation générés par les honoraires », alors que les baby-boomers s’approcheront de la retraite, ou y seront depuis plus longtemps, et que « leurs besoins en réajustements de portefeuille et en planification financière (…) auront été satisfaits ». De plus, dans le contexte économique actuel, le dirigeant juge « probable » que le marché « perdra de son dynamisme, ce qui ralentira la hausse des portefeuilles et la croissance des produits d’exploitation générés par les honoraires ». Enfin, « la réduction constante des honoraires générés par les comptes avec conseils », « les fonds gérés de façon discrétionnaire », « les fonds communs de placement, à cause des pressions concurrentielles », et « la popularité des placements dont les honoraires sont faibles » (les FNB, par exemple) contribueront aussi à réduire les bénéfices dans le secteur.

Sa conclusion? « L’élargissement des services financiers offerts à la génération du millénaire permettra de compenser en partie la diminution des produits d’exploitation », d’autant plus que celle-ci s’approche du moment où elle touchera ses plus grands revenus. Cet impact sera toutefois amoindri en raison de la tendance des investisseurs appartenant à cette cohorte démographique « à se fier davantage à l’exécution directe des ordres et au robot investisseur », de même qu’à l’importance qu’ils accordent à la valeur financière et à la commodité, « ce qui exerce des pressions sur les marges d’exploitation ».

Comment améliorer la productivité et le rendement

Exprimée en termes de rendement des capitaux propres (RCP), la performance du secteur a été en moyenne de 8,4 % entre 2013 et 2016. Les RCP y sont néanmoins demeurés inférieurs aux rendements des années précédant la crise de 2007-2008. La moyenne du rendement général des sociétés spécialisées de détail a été pour sa part de 7 % durant la même période.

Les rendements des sociétés institutionnelles ont été beaucoup moins satisfaisants que ceux des grandes sociétés indépendantes. Ainsi, la moyenne de leur RCP a été à peine de 3,1 % au cours des quatre dernières années. Le faible rendement des capitaux propres explique d’ailleurs en grande partie pourquoi 15 sociétés institutionnelles canadiennes ont quitté le secteur depuis 2015.

PLUSIEURS MESURES ONT ÉTÉ ADOPTÉES

Les sociétés ont pris plusieurs mesures pour stimuler la productivité et le rendement de leurs opérations de détail. D’abord, elles ont adapté les technologies qu’elles utilisent pour diminuer les frais d’exploitation et améliorer leur service à la clientèle. Ensuite, elles ont amélioré leurs résultats et réduit la rémunération des conseillers. Troisièmement, elles ont augmenté, dans la mesure de leur capacité, le volume de leurs activités commerciales en acquérant des entreprises et en embauchant des professionnels.

En quatrième lieu, elles ont constitué des équipes et ont mis en place des programmes d’accompagnement professionnel, de formation et de transition pour les jeunes conseillers afin d’accroître la productivité et de profiter de la hausse des occasions d’affaires avec les investisseurs de la génération du millénaire.

SERVICE VIP POUR LES CLIENTS FORTUNÉS

Enfin, les grandes sociétés de courtage en valeurs mobilières ayant une clientèle plus diversifiée ont segmenté celle-ci en tranches d’actifs et de revenus qui correspondent à différentes catégories de produits, de services-conseils et de services connexes pour augmenter la productivité et l’efficience des conseillers. Cette segmentation est basée sur la valeur du portefeuille : grosso modo de 250 000 à cinq millions de dollars, puis plus de cinq millions.

À noter que les clients « à valeur nette élevée » ont droit à un service dit « de haute qualité », tandis que les particuliers moins fortunés, qui ont des revenus et des actifs limités, se voient offrir des produits standardisés moins dispendieux et des choix de placement automatisé, notamment par l’intermédiaire d’un robot investisseur hybride.

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