Voir vos clients être taxés à l’os !

Par Yves Bonneau | 22 Décembre 2009 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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En 1999, Claude Laferrière, professeur de fiscalité à l’UQAM, et Yves Chartrand, chroniqueur en fiscalité au magazine Conseiller et fondateur du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), lançaient une « dalle de viaduc » dans le petit monde discret de la fiscalité au Québec en publiant les « courbes Laferrière-Chartrand ». Pour la première fois, il était enfin possible de comprendre et de visualiser les effets retors des mesures fiscales au pays, en particulier, de celles de notre généreux gouvernement provincial.

Claude Laferrière et Yves Chartrand se sont affairés à faire comprendre à la planète fiscale un concept connu, mais jamais illustré auparavant : le taux marginal d’imposition. C’est un peu comme la première fois où l’on a pu voir ce qu’était l’absence de gravité. On savait par de savants calculs que l’humain pouvait faire des bonds de 30 mètres sur la Lune mais il n’y a rien comme le voir pour le croire, comme dirait saint Thomas !

De même, on savait que le fatras de mesures fiscales et sociofiscales avaient une incidence directe sur le revenu net d’un contribuable ou d’une famille, mais grâce à ces minutieux fiscalistes, il a alors été possible de visualiser parfaitement les effets souvent catastrophiques pour un contribuable d’une hausse de revenu générés par des heures supplémentaires, une augmentation salariale ou une prime. Et il y a fort à parier que ce contribuable est justement l’un de vos clients !

Après dix ans, est-ce que les choses ont changé pour les contribuables en matière de taux effectif marginal d’imposition implicite (TEMI) ? Malheureusement, non. Il y a eu quelques retouches pour corriger des iniquités trop flagrantes, mais au bout du compte, c’est le statut quo ou presque. Puisque cette mécanique procède du principe des vases communicants, ce que les gouvernements donnent de la main droite avec des beaux discours et de belles intentions, ils s’assurent que la main gauche le reprend en plongeant dans la poche du contribuable comme un prestidigitateur, sans que personne ne s’en rende vraiment compte. Et vous n’avez encore rien vu !

D’ailleurs, Yves Chartrand n’hésite pas à utiliser l’expression « fiscalité au noir » pour décrire le phénomène mis au jour par ses courbes illustrant les TEMI.

« La fiscalité au noir fait directement allusion au travail au noir où un contribuable cache ses revenus de travail au gouvernement, alors que la fiscalité au noir, c’est le gouvernement qui cache ses ponctions fiscales réelles au contribuable », ironise M. Chartrand. Une métaphore qui avait fait bondir en 1999 la ministre québécoise du Revenu d’alors, Rita Dionne-Marsolais, et qui ne manquera pas de faire sourciller l’actuel ministre Robert Dutil.

Cette année, Claude Laferrière et son collègue de l’UQAM Francis Montreuil ont mis à jour 37 courbes représentant 37 situations de ménages. Autant dire que vous trouverez la majorité des hypothèses de travail applicables à vos clients dans ce recueil d’une efficacité et d’une utilité indiscutables. Et la beauté de la chose, c’est que ces courbes sont accessibles à tous et en exclusivité sur le site web du CQFF.

Vous constaterez à l’usage qu’il y a deux courbes pour chaque type de ménage : la courbe rouge indique le taux marginal d’imposition de base en utilisant simplement les tables d’imposition alors que la bleue en parallèle représente le TEMI (ce qui inclus aussi l’effet sur les multiples mesures fiscales et sociofiscales d’un revenu additionnel). Prenons la courbe no 122 : famille monoparentale, deux enfants (dont un de moins de six ans), frais de garde de 6 000 $. Si une personne dans cette situation, qui dispose d’un revenu se situant entre 30 000 $ et 35 000 $, reçoit de son employeur une prime de 5 000 $, elle verra ce montant amputé de près de 4 500 $ par la grande faucille du fisc. Aberrant ! Dans ce cas de figure, il faudrait que ce même type de ménage gagne un revenu de plus de 115 000 $ pour voir sa prime imposée au taux de base des tables d’imposition que tous utilisent. Et c’est ainsi, dans la plupart des cas rapportés par l’étude de M. Laferrière sur les TEMI 2009. Ces courbes permettent ainsi de visualiser toutes les conséquences d’une augmentation ponctuelle sur le revenu annuel présumé. Pour votre gouverne, il n’y a que 3,2 % des contribuables au Québec qui déclarent un revenu brut de plus de 100 000 $. C’est donc dire que les effets pervers des recombinaisons de mesures fiscales touchent un nombre très important de contribuables.

Dans ce groupe, il faut aussi compter les retraités qui depuis les deux dernières années ont été assommés par les faibles taux d’intérêt; leurs revenus d’intérêt sont donc moindres, ce qui les place exactement dans la fourchette d’hyper-imposition révélée par les courbes de Claude Laferrière. Comme le mentionne Yves Chartrand, 81,1 % des Québécois déclarent un revenu brut inférieur à 50 000 $.

Il s’agit d’un outil extraordinaire pour conseiller vos clients. La saison des REER bat son plein, si vous avez des clients qui se laissent difficilement convaincre de prendre un REER parce qu’ils trouvent que l’économie d’impôt ne semble pas si alléchante compte tenu de leur salaire, dites-leur d’y penser à deux fois avant de laisser autant d’argent aux mains du fisc. On constate que, socialement, le gouvernement incite les travailleurs à être plus « productifs » ou encore demande aux retraités de demeurer sur le marché du travail à temps partiel. Mais tout cela engendre des répercussions catastrophiques en raison de cette fiscalité schizophrène.

L’effort pour aller chercher un revenu additionnel est si lourdement pénalisé qu’il vient confirmer à toutes fins utiles l’adage populaire voulant que « ça ne donne rien de travailler davantage, car la presque totalité de ces gains et carrément confisqué par le fisc ». Le constat est scandaleux ! Bonne année malgré tout…

Yves Bonneau