Vous êtes une cible parfaite!

Par Yves Bonneau | 24 janvier 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Qu’est-ce qui autorise un néophyte, fût-il docteur en économie, qui ne connaît une industrie en théorie que par des lectures et des études abstraites, à prendre des décisions aussi importantes que d’amender ou créer des lois qui baliseront la pratique de milliers de professionnels?

C’est ce que toute l’industrie des services financiers se demande après avoir été mise devant les faits accomplis du projet de loi n° 7, qui modifie les dispositions législatives de la Loi sur la distribution des produits et services financiers afin de permettre à toute personne d’interpeller le Bureau de décision et de révision (BDR) en rapport avec le travail de son conseiller. Le ministre délégué aux Finances, Alain Paquet, qui enseignait l’économie à l’UQÀM avant de devenir député en 2003, est allé de l’avant sur les recommandations de l’AMF. Est-ce qu’un économiste comprend bien le travail d’un planificateur financier ou d’une conseillère en sécurité financière?

Allez savoir. Le résultat risque néanmoins d’être catastrophique pour la profession. Et pour la relève aussi.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Pourtant, un économiste devrait comprendre que cette industrie déjà archiréglementée contribue pour près de 15 milliards au PIB du Québec. Il devrait aussi savoir que la surréglementation est un facteur négatif à l’activité économique. Qui plus est quand elle apparaît improvisée et si peu justifiable sur le terrain. En toute légitimité, on se pose la question : pourquoi vouloir ajouter un degré d’intervention juridique supplémentaire à l’encontre des conseillers? S’agit-il d’un désaveu à l’endroit des compétences de la syndique de la Chambre ou simplement une façon pour le ministre de se faire du capital de sympathie sur le dos des conseillers?

C’est simple, tout le monde est pour la vertu. Quand les manchettes et les lignes ouvertes crient au voleur chaque fois qu’une mythomane comme Carole Morinville se fait pincer, ça prend un coupable. Conclusion : « Les conseillers sont des bandits à cravate et il faut leur serrer la vis! ».

On voudrait croire que le ministre Paquet est animé par des motivations sérieuses, mais le ridicule de cet amendement à la loi 188 est si criant que nous sommes en droit de nous demander s’il a vraiment fait ses devoirs. Autrement, ça ressemble drôlement à du déjà-vu et entendu : « Les conseillers, on va les punir… ». Lorsqu’on ne lit que les titres, on a l’impression que les conseillers sont les responsables des malheurs de la planète financière.

En plus, ils sont la cible parfaite. Mal organisés, pris entre les institutions financières qui les emploient et leurs clients envers qui ils se dévouent, ils ont bien peu de temps et d’espace pour se défendre et faire valoir leur point de vue. Et voilà que le nouveau ministre délégué aux Finances veut faire sa marque dans l’opinion publique. Comment Alain Paquet en est-il venu à la conclusion qu’un organisme comme le Bureau de décision et de révision, qui est essentiellement un tribunal administratif, pouvait par un simple claquement de doigts se transformer en syndic et enquêter sur la conduite d’un conseiller en marge des autres instances réglementaires ou autoréglementaires sans qu’il y ait chevauchements de compétences et risque de contradictions?

Avec cet amendement, disons qu’un client est insatisfait de son conseiller (parce que ses rendements sont en deçà de ses attentes), il s’adresse à l’AMF, qui déclenchera une première enquête. Au bout d’un an de stress, d’échanges de lettres et d’avocasseries, le conseiller montre qu’il a bien rempli son mandat et que tout est conforme. Entretemps, le client s’impatiente. Il interpelle alors le Bureau pour des raisons similaires, mais libelle sa plainte différemment. Que fait le fonctionnaire du BDR, selon vous? Il ouvre un dossier et le cirque recommence. Après deux, trois ans de stress, perte de jouissance de la vie, frais judiciaires, pertes de revenu, d’explications interminables avec des fonctionnaires qui n’ont JAMAIS rencontré un client de leur vie, le conseiller en question dira à sa fille qui se destinait à prendre sa relève : « Juliette, fais donc autre chose, ça ne vaut pas le coup… ». Le ministre ne sait pas comment ça se passe sur le terrain et on ne lui demande pas non plus de venir assister à une rencontre conseiller-client, mais on s’attendrait à tout le moins qu’il s’informe au préalable auprès de la Chambre, auprès du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec. S’il avait consulté ceux qui subiront ses décisions, il aurait constaté qu’au-delà des manchettes criardes il existe un revers à la médaille de champion de la veuve et de l’orphelin. Notre ministre devrait savoir également que les scandales financiers qui ont coûté le plus cher aux épargnants et aux contribuables en frais de justice ne sont pas ceux qu’il croit avoir vu faire la manchette des journaux que lui découpe son attachée de presse…

Si notre ministre délégué aux finances avait le moindrement suivi notre industrie, il se serait rendu compte que les plus grandes fraudes, celles qui ont affecté le plus grand nombre d’épargnants ou d’investisseurs, ont été commises par des gestionnaires, ou prétendus gestionnaires. Il se serait aussi rendu compte que, malgré les Norbourg (115 M$ pour 9200 investisseurs), Norshield (159 M$ pour 2000 investisseurs), IForum (130 M$ pour 1600 investisseurs), Earl Jones (50 M$ pour 158 investisseurs), Triglobal (86 M$ pour 250 investisseurs) et autres Portus (794 M$ pour 26 000 investisseurs), rien n’a toujours été fait pour obliger les firmes ou leurs gestionnaires à s’inscrire ou à obtenir des accréditations garantissant aux épargnants la sécurité de leurs avoirs. Il n’existe même pas un mécanisme garantissant la responsabilité fiduciaire des gestionnaires qui accumulent les actifs des épargnants par milliards!

Il n’existe rien qui ne se compare à l’extraordinaire panoplie de règles et de contrôles que subissent chaque jour les conseillers en services financiers œuvrant au Québec. Je mets au défi le ministre économiste de comparer la somme totale des fraudes de gestionnaires (ou prétendus gestionnaires) à celle des conseillers dûment inscrits à l’AMF qui ont été pris la main dans le sac au cours des 10 dernières années. Vous devez au moins connaître ça, un historique de 10 ans, M. le ministre ?

Cet article est tiré de l’édition de février du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Yves Bonneau