Fusions et acquisitions : le risque réglementaire est réel

Par Amar Pandya | 15 mai 2023 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : olegdudko / 123RF

Oui, le bol à punch a bel et bien été retiré. L’ère où l’argent ne coûtait rien et où les investisseurs le distribuaient sans compter aux entrepreneurs et aux compagnies à croissance rapide a fait place à une période de sobriété où on réfléchit beaucoup avant d’agir. Non seulement cette correction est-elle nécessaire pour empêcher les bulles spéculatives de gonfler jusqu’à éclater, comme elles finissent toujours par le faire, mais elle annonce également une période potentiellement faste pour le prochain cycle d’activités de fusion et acquisition (F&A) au Canada, notamment dans l’arène des petites et moyennes entreprises.

La montée fulgurante des taux d’intérêt au cours de l’an passé et les récents déboires du secteur bancaire régional aux États-Unis et du Credit Suisse en Europe ont jeté un froid sur les conditions du marché et aggravé le stress et l’incertitude des investisseurs. Les entreprises plus petites et axées sur la croissance, qui doivent relever le défi de gérer leurs dettes dans un contexte de taux en hausse, se retrouvent en plus dans un environnement de crédit nettement moins accueillant. Les administrateurs de la Fed s’entendent tous sur le fait qu’une baisse est à prévoir — la dernière fois qu’une prévision financière a récolté une quasi-unanimité de la sorte remonte à 2007.

Le fait que les banques offrent à nouveau du financement par emprunt pour les acquisitions représente un développement rassurant. Notons par ailleurs que les entreprises de capital-investissement disposent de liquidités importantes pour réaliser leurs acquisitions, ce qui constitue une autre nouvelle encourageante. En effet, certaines ententes conclues récemment se sont orchestrées sans aucun recours à l’effet de levier. Sachant ainsi que les banques se montrent plus disposées à fournir du financement, les ententes menées par du capital-investissement devraient reprendre leur envol.

Les étincelles susceptibles de déclencher une éventuelle augmentation des F&A sont partout : 1) les acheteurs stratégiques et les sociétés de capital-investissement sont incités à s’engager dans des ententes; 2) environ 1 billion $ US dort dans les coffres, prêt à être déployé; 3) les valeurs sur le marché public sont plus attrayantes que celles sur les marchés privés; et 4) les acquisitions constituent un moyen plus rapide vers la croissance que les taux de croissance organique plus lents.

Les F&A devraient avoir lieu tout particulièrement du côté des petites entreprises où les évaluations sont dépréciées depuis beaucoup trop longtemps. Voyant que le prix des actions continue de s’étioler, les porteurs de parts des entreprises cibles en viennent à accepter les valeurs en cours au lieu d’attendre le retour des multiples supérieurs d’antan (2021).

Le milieu réglementaire s’est révélé hostile envers les ententes de fusions qui touchent les grandes et très grandes entreprises; celles du milieu technologique et pharmaceutique (les Big Tech et Big Pharma) n’échappent particulièrement pas au scrutin des autorités. L’acquisition d’Activision Inc. par Microsoft moyennant 69 milliards de dollars (G$), que les autorités britanniques tentent de bloquer, illustre à merveille ce point. Par conséquent, bien que les activités de F&A du côté des grandes ou très grandes entreprises aient ralenti, en partie à cause du cadre régulateur hostile, du côté des petites et moyennes entreprises, les activités et les prévisions restent élevées. Nous observons que plus d’acheteurs, en provenance d’une gamme plus large de secteurs et d’industries, tirent avantage des évaluations boursières amoindries, et parfois disloquées, pour faire des acquisitions pour des raisons tant stratégiques que financières. Selon nous, le secteur technologique, qui a beaucoup souffert depuis environ un an, devrait jouir d’une solide reprise des activités de F&A en 2023 et 2024.

Bon nombre des entreprises technologiques canadiennes de grande qualité se négocient à un rabais de plus de 50 % par rapport à leur valeur marchande sur le marché privé, et ce, malgré les taux de croissance à deux chiffres et le potentiel de croissance composée à long terme. Cependant, à cause du vent contraire que soufflent l’augmentation des taux d’intérêt et l’appréhension d’un ralentissement économique, ces entreprises sont soumises à la réinitialisation de leur valeur et à de multiples compressions qui en font des cibles d’acquisition intéressantes.

Le prix des actions peut sembler disloqué, mais ces entreprises ne le sont pas. Le fait que le prix de certaines entreprises à petite capitalisation canadiennes soit très alléchant par rapport à leur qualité nous porte à croire que déjà les F&A prennent leur élan. Les acquéreurs stratégiques recherchent des unités économiques attrayantes, un potentiel de croissance à long terme et des avantages concurrentiels durables.

Magnet Forensics est un exemple d’entreprise technologique de grande qualité, dont la valeur sur le marché public était inférieure à sa valeur sur le marché privé, et qui a récemment été acquise par un acheteur pour des motifs stratégiques et financiers.

Les compagnies technologiques non rentables pourraient s’en tirer moins bien étant donné la fuite des capitaux vers des placements sûrs. Certaines de ces entreprises non rentables auront de la difficulté à honorer leurs plans de croissance maintenant que les marchés boursiers leur ont effectivement barré la route. Parmi les bonnes entreprises, il y en a qui ne pourront pas ou ne voudront pas supporter le contexte pénible ou saisir des occasions de croissance à long terme. Aujourd’hui, leurs équipes de direction et leurs conseils pourraient être plus réceptifs à un rachat qu’il y a 18 mois. Le biais d’ancrage, ou la tendance à se raccrocher à l’idée que les valeurs retrouveront leur lustre passé, disparaît lorsque ceux-ci se rendent compte que l’entreprise aurait de meilleures chances de survie si elle pouvait s’appuyer sur des reins plus solides.

Conseiller analysant le marché boursier.

Amar Pandya

Amar Pandya est gestionnaire de portefeuille du Fonds de situations spéciales Penderfund et du Fonds alternatif d’arbitrage Penderfund. Il a rejoint Penderfund en octobre 2017. Amar Pandya a commencé sa carrière en 2011 avec le programme de formation en gestion de portefeuille d’une importante société de services financiers mondiale. Le programme lui a permis d’acquérir de l’expérience dans diverses fonctions liées au placement dans diverses catégories d’actifs, y compris les titres à revenu fixe et les actions. Avant de rejoindre l’équipe de Penderfund, M. Pandya était gestionnaire de portefeuille adjoint auprès d’une entreprise de placement axée sur la valeur et sur les entreprises à forte capitalisation située à Winnipeg au Manitoba, où il s’est spécialisé dans les secteurs de l’industrie, de la consommation, des matériaux, des télécommunications et de l’immobilier. Amar Pandya préconise une stratégie de placement à contre-courant et axée sur la valeur, où il s’agit d’identifier les entreprises de bonne qualité qui ont perdu la cote et qui sont susceptibles de bien progresser, ainsi que les occasions de placement opportunistes qui permettent d’exploiter l’escompte et qui se négocient à un escompte appréciable par rapport à la valeur intrinsèque. Amar Pandya est titulaire d’un baccalauréat en commerce spécialisé en finance de l’Université du Manitoba. Il a obtenu le titre d’analyste financier agréé (CFA) en 2015. Amar Pandya est activement impliqué dans les activités de l’association CFA de la ville de Vancouver, où il fait partie du comité s’occupant des programmes. Il siège également au Comité de direction du chapitre de la ville de Vancouver de l’organisme Women in Capital Markets.