Les principales formes juridiques d’entreprises disponibles pour un entrepreneur québécois (2e partie)

Par Me Lucie Boiteau | 22 avril 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Dans notre chronique précédente, nous avons indiqué qu’il existe au Québec plusieurs formes juridiques disponibles pour poursuivre les activités d’une entreprise à but lucratif, que celles-ci soient commerciales ou professionnelles.

Nous avons précisé que ces formes juridiques peuvent être divisées en trois grandes catégories, à savoir :

1. L’entreprise individuelle

2. La personne morale (la société par actions)

3. La société de personnes

L’entreprise individuelle et la société par actions ont été décrites le mois dernier. Dans cette chronique, nous abordons la forme juridique de la société de personnes.

3) LA SOCIÉTÉ DE PERSONNES

FORME GÉNÉRALE La société de personnes, comme son nom l’indique, consiste en une entreprise constituée par plus d’une personne qui désirent exploiter une entreprise commune moyennant des apports de chacun des associés et en contrepartie de bénéfices qu’ils recevront de l’entreprise selon les modalités qu’ils auront convenues entre eux.

PERSONNALITÉ JURIDIQUE Les sociétés de personnes n’ont pas de personnalité juridique distincte contrairement à la personne morale, dont la société par actions.

LES TYPES DE SOCIÉTÉS DE PERSONNES Les sociétés de personnes se déclinent en trois grands types, à savoir :

A) La société en nom collectif (ci-après désignée « S.E.N.C. »)

B) La société en commandite (ci-après désignée « S.E.C. »)

C) La société en participation (ci-après désignée « S.E.P. »).

Le choix d’un type de société de personnes plutôt qu’un autre dépendra de diverses considérations, notamment légales, mais également fiscales, ou encore découlant de la nature des activités poursuivies.

A) LA SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF

FORME Tel que son nom l’indique, la S.E.N.C. est formée et exploitée par plusieurs personnes, à savoir les associés, et ce, sous un nom commun ou « nom collectif ».

LE CONTRAT DE S.E.N.C. La S.E.N.C. est formée par un contrat de société verbal ou écrit. Idéalement, il sera écrit, afin d’en faciliter la preuve.

LE CONTENU DU CONTRAT DE S.E.N.C. Le contrat de la S.E.N.C. prévoira entre autres :

1. Les apports de chaque associé, lesquels peuvent être en tout ou en partie en i) temps, ii) connaissance, iii) argent et iv) biens, essentiellement;

2. La part de chaque associé, qui déterminera habituellement la proportion de sa participation dans les profits et pertes. À défaut, les parts des associés sont réputées égales entre eux;

3. La détermination des pouvoirs de gestion et responsabilités de chaque associé;

4. La désignation du ou des gestionnaires;

5. Les règles qui régiront les pouvoirs des associés de lier la société et les autres associés;

6. Les modalités de prise de décisions des associés.

RESPONSABILITÉ VIS-À-VIS DES TIERS À l’égard des tiers, les associés de la S.E.N.C. sont responsables personnellement, soit conjointement ou solidairement, dépendant de la nature de la dette. Mentionnons brièvement ici que certaines sociétés de professionnels peuvent limiter leur responsabilité vis-à-vis des tiers par l’entremise d’une société en nom collectif à responsabilité limitée, la S.E.N.C.R.L., et ce, à certaines conditions.

Les créanciers ne peuvent toutefois poursuivre un ou des associés qu’après avoir épuisé les biens de la S.E.N.C. De plus, ils ne pourront se payer à même les biens d’un associé qu’après que ceux-ci aient servi à payer les créanciers personnels dudit associé.

DISTINCTION IMPORTANTE AVEC LA SOCIÉTÉ PAR ACTIONS L’une des distinctions les plus importantes entre les sociétés de personnes et la société par actions réside justement dans cette responsabilité des associés vis-à-vis des tiers. Alors que cette responsabilité est presque toujours automatique dans le cas de la société de personnes, celle des actionnaires de la société par actions est exceptionnelle.

LE NOM DE LA S.E.N.C. Il est à noter que la société en nom collectif a l’obligation de s’immatriculer auprès du Registraire des entreprises du Québec (REQ) et de déposer annuellement sa déclaration afin de maintenir son statut d’immatriculée.

Il sera très important, vu la responsabilité personnelle possible des associés vis-à-vis des tiers, de s’assurer en tout temps que les informations relatives aux associés de la S.E.N.C. sont maintenues à jour au REQ.

La S.E.N.C. peut être poursuivie en justice ou intenter des poursuites en son propre nom.

OBLIGATIONS LÉGALES DE NON-CONCURRENCE Il est intéressant de noter que l’article 2204 du Code civil du Québec prévoit spécifiquement, en l’absence de toute autre entente entre eux à ce sujet, que les associés d’une S.E.N.C. ne peuvent pas personnellement faire concurrence à cette dernière.

B) LA SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

FORME La S.E.C. est constituée de deux types d’associés, à savoir i) les commandités et ii) les commanditaires, qui s’apparentent à des actionnaires.

LE COMMANDITÉ Le commandité administre en exclusivité la S.E.C. et il est seul responsable de toutes les dettes et obligations de celle-ci vis-à-vis des tiers.

LES COMMANDITAIRES Les commanditaires, quant à eux, ne font que fournir un apport à la S.E.C. sans aucun droit de participer à son administration. En contrepartie, ils ne sont pas responsables des dettes de la S.E.C. au-delà de leur apport convenu.

LES CARACTÉRISTIQUES DE LA S.E.C. Essentiellement, la S.E.C. peut, contrairement à la S.E.N.C., faire un appel public à l’épargne et par conséquent solliciter, conformément aux lois et règlements applicables, des investissements auprès de tiers.

Si un commanditaire s’immisce dans l’administration de la société, il peut être tenu responsable, comme le commandité, de toutes les obligations de la société résultant de son intervention.

Pour le reste, les dispositions du Code civil du Québec relatives à la S.E.N.C. s’appliquent à la S.E.C.

La S.E.C. doit s’immatriculer auprès du REQ et tenir à jour les informations consignées audit registre.

C’est souvent pour des raisons fiscales que la forme juridique de la S.E.C. sera retenue, bien qu’on la rencontre de moins en moins souvent.

C) LA SOCIÉTÉ EN PARTICIPATION

FORME La S.E.P. est créée par contrat verbal ou écrit et résulte également, en l’absence d’un contrat écrit ou verbal, du comportement ou des faits qui indiquent une intention de s’associer.

Dans la S.E.P., les associés, vis-à-vis des tiers, demeurent propriétaires des biens qui constituent leur apport à la société.

De plus, ce sont les associés qui contractent en leur nom personnel et non la S.E.P.

LA RESPONSABILITÉ VIS-À-VIS DES TIERS Les associés de la S.E.P. sont conjointement responsables de toutes les dettes de la société, et ce, en parts égales, peu importe la proportion de leur participation et ils le sont solidairement (ce qui signifie qu’ils sont tenus pour la dette entière chacun individuellement), si la dette a été contractée pour le service et l’exploitation d’une entreprise commune aux associés.

DISTINCTIONS AVEC LA S.E.N.C. Contrairement à la S.E.N.C., la S.E.P. ne peut pas être poursuivie comme telle individuellement en justice. Le poursuivant d’une S.E.P. doit donc poursuivre l’un ou l’autre ou tous les associés nommément.

De plus, les associés de la S.E.P. ne peuvent se prévaloir du bénéfice de « discussion des biens de la société » avant de se voir obligés de payer les dettes vis-à-vis des tiers sur leurs propres biens.

Enfin, le paiement antérieur des créanciers personnels de l’associé sur ses biens personnels, avant d’acquitter les dettes de la société, n’est pas prévu pour la S.E.P.

CONCLUSION

Les distinctions les plus importantes entre les différentes formes juridiques d’entreprises résident essentiellement dans leur mise sur pied, la responsabilité personnelle vis-à-vis des tiers, l’existence ou non d’une personnalité juridique distincte et les avantages et inconvénients de nature fiscale.

Dans notre prochaine chronique, nous aborderons l’importance de l’organisation du début de la vie d’une société par actions et le rôle de la convention entre actionnaires.

DEUX QUESTIONS que le conseiller en sécurité financière devrait poser à son client

1 Sachant que la responsabilité des associés d’une S.E.N.C. envers des tiers est presque toujours automatique, ai-je suffisamment couvert le besoin en assurance de personnes des associés, au-delà du montant nécessaire au paiement de la valeur de leur participation au capital de la S.E.N.C. en cas de décès ?

2 A-t-on pensé à libérer la succession d’un commandité de l’ensemble de ses obligations advenant son décès, au moyen d’une assurance sur sa vie pour un montant équivalent au total de son passif à son décès ?

Jean-Guy Grenier, BAA, CMC, Adm.A., Pl. Fin., directeur régional – Elite, Développement et Mise en marché, Assurance et Épargne pour les particuliers, Desjardins Sécurité financière, Montréal.

Me Lucie Boiteau, Alepin Gauthier Avocats inc.

Cette chronique contient de l’information juridique d’ordre général et ne devrait pas remplacer un conseil juridique auprès d’un avocat qui tiendra compte des particularités de votre situation.


• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2015 de Conseiller

Me Lucie Boiteau