L’importance de l’organisation du début de la vie d’une société par actions

Par Me Lucie Boiteau | 20 mai 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le Moal Olivier / 123RF

L’ORGANISATION DE LA SOCIÉTÉ PAR ACTIONS

Il ne suffit pas d’incorporer une société par actions (ci-après la « Société »), encore faut-il « l’organiser ».

En effet, il arrive souvent que des clients se présentent à nos bureaux avec le certificat d’incorporation de leur société émis depuis quelques années en nous disant qu’ils sont actionnaires et administrateurs de celle-ci, alors qu’ils n’ont rien d’autre entre les mains et que rien n’a été fait depuis, entre autres, l’émission des actions, la désignation des administrateurs, la désignation des dirigeants et les assemblées annuelles pour approuver les états financiers et confirmer les administrateurs et dirigeants, etc.

Avec l’avènement des possibilités d’incorporation en ligne sur les sites internet de Corporations Canada ou du Registraire des entreprises du Québec, il est devenu plus facile d’incorporer sa société. Toutefois, l’incorporation ne suffit pas, il faut adopter des résolutions d’organisation.

CES RÉSOLUTIONS PRÉVOIENT ENTRE AUTRES CE QUI SUIT :

  • Émission des actions;
  • Adoption des règlements généraux et, pour une société fédérale, des règlements d’emprunt et bancaires;
  • Désignation des administrateurs et des dirigeants (président, vice-président, secrétaire, trésorier, etc.);
  • Désignation des vérificateurs des comptes (auditeurs) ou des experts-comptables de la société;
  • Définition de la date de fin d’exercice financier de la Société;
  • Désignation de l’institution financière de la Société;
  • Choix du lieu du siège social de la Société.

Si l’incorporation est fédérale, la Société qui poursuit ses activités au Québec doit s’immatriculer auprès du Registraire des entreprises du Québec. Si l’incorporation est québécoise, elle est déjà immatriculée auprès du Registraire des entreprises du Québec et seule la déclaration initiale doit être produite afin de confirmer l’identité des actionnaires, administrateurs et dirigeants, tel que décidé dans les résolutions d’organisation.

LA CONVENTION ENTRE LES ACTIONNAIRES

Définition

Il s’agit d’une entente signée entre les actionnaires d’une Société afin de convenir de certaines modalités relatives aux activités ou à l’administration de la Société ou encore relatives à leur qualité d’actionnaires.

Une convention dite « unanime » des actionnaires prévoira au surplus que certains ou tous les pouvoirs habituellement exercés par les administrateurs leur sont retirés pour être exercés par les actionnaires.

Quand signer une convention entre actionnaires ?

Idéalement, dès l’organisation de la Société ou sinon, dès que possible.

Forme

Une convention entre les actionnaires d’une Société doit être consignée par écrit et signée. Un simple projet de convention entre actionnaires non signé ne sera pas contraignant.

Précisons également que chaque convention est unique et peut être modelée selon ce que les actionnaires veulent bien convenir. Par conséquent, le conseiller juridique, avocat ou notaire, doit absolument s’enquérir des objectifs poursuivis par les actionnaires et discuter avec eux des différentes façons d’atteindre ceux-ci.

Contenu en fonction des objectifs

Habituellement, les objectifs poursuivis par la conclusion d’une convention entre les actionnaires, sans être limitatifs, sont les suivants, auxquels nous avons ajouté quelques moyens utilisés pour les atteindre :


1. Maintenir la participation proportionnelle initiale des actionnaires dans la société;

  • 1.1. Droit de préemption. Ce droit permet aux actionnaires de souscrire, en proportion des actions qu’ils détiennent, les nouvelles actions que la Société peut décider d’émettre.
  • 1.2. Droit de premier refus. Ce droit prévoit que si un actionnaire veut se départir de ses actions en faveur d’un tiers ou de l’un ou l’autre ou de plusieurs actionnaires, tous les actionnaires ont d’abord le droit d’acheter les actions en proportion de leur détention d’actions à ce moment. Un mécanisme similaire en cas de décès ou de « retrait des affaires » d’un actionnaire prévoira également des droits d’achat des actions par les autres de manière proportionnelle à leur détention à ce moment.

2. Éviter que des tiers deviennent actionnaires de la société « privée »;

  • 2.1. Clause de droit de premier refus.
  • 2.2. Restriction sur les transferts d’actions qui seront d’ailleurs insérés dans les statuts d’incorporation et qui prévoiront normalement que le conseil d’administration doit autoriser tout transfert d’actions en plus de toute autre restriction convenue.
  • 2.3. Interdiction de transfert d’actions à des tiers pendant un certain nombre d’années à compter de l’incorporation de la Société, etc.

3. Protéger les actionnaires minoritaires contre des décisions des actionnaires majoritaires pouvant leur être préjudiciables;

  • 3.1. Clause de retrait de certains pouvoirs décisionnels des administrateurs pour qu’ils soient exercés par les actionnaires selon une majorité qualifiée, par exemple de 70 ou 75 % des droits de vote. Il faut savoir qu’une décision du conseil d’administration sera prise en fonction du nombre d’administrateurs alors qu’une décision prise par les actionnaires le sera en fonction d’une majorité, qualifiée ou non, des droits de vote, ce qui est une nuance importante à considérer lorsqu’une convention entre les actionnaires est négociée.
  • 3.2. Engagement de tous les actionnaires d’exercer leur droit de vote de façon à ce que chaque actionnaire ait un représentant désigné au conseil d’administration, et ce, peu importe le nombre d’actions votantes détenues par chacun.
  • 3.3. Clause d’entraînement ou « piggyback ». Ce genre de clause permettra, par exemple, en cas de vente de ses actions par un actionnaire majoritaire aux autres actionnaires minoritaires, de forcer l’achat par l’acquéreur de leurs actions, et ce, aux mêmes termes et conditions que ceux négociés avec l’actionnaire majoritaire.

4. Déterminer de quelle façon les actionnaires contribueront à la Société et dans quelle mesure;

  • 4.1. Si un actionnaire sera également un employé, cela pourra être précisé ainsi que ses obligations en cette qualité.
  • 4.2. Engagement d’exclusivité de services ou d’apport particulier par les actionnaires.
  • 4.3. Obligation d’investir des fonds additionnels dans certaines circonstances.
  • 4.4. Engagement de non-concurrence, obligation de loyauté, etc.

5. Régler d’avance les conséquences de certains événements pouvant survenir durant la « vie » de la Société;

  • 5.1. Clause de rachat par la Société ou d’offre automatique des actions aux autres actionnaires en cas de décès, incluant les modalités d’établissement de la valeur des actions, les modalités de paiement, etc. (Attention aux implications fiscales !).
  • 5.2. Clause de rachat ou offre automatique des actions en cas de « retrait des affaires » d’un actionnaire. Le « retrait des affaires » sera défini à la convention d’actionnaires et prévoira notamment qu’un actionnaire est réputé s’être « retiré des affaires » en cas de fraude, de manquement à ses obligations de loyauté, de détournement de clientèle, de disparition, d’inaptitude déclarée par un tribunal, de manquement à ses obligations en vertu de la convention, de la cessation d’emploi d’un actionnaire employé ou de son congédiement pour cause juste et suffisante, le tout selon des modalités de paiement et des clauses de détermination de prix variables selon les circonstances du retrait.
  • 5.3. En cas de conflit entre les actionnaires, un mécanisme de rachat obligatoire (communément appelé « shotgun ») à l’issue duquel un actionnaire ou un groupe d’actionnaires seront rachetés par un autre actionnaire ou un groupe d’actionnaires, ce qui pourrait mettre fin aux désaccords au sein de la Société.

Pour les fins du présent article, il est impossible d’énumérer et d’expliquer toutes les dispositions pouvant être prévues dans une convention entre actionnaires afin d’atteindre les multiples objectifs qu’ils peuvent établir. Nous avons toutefois présenté les plus courantes. Évidemment, les moyens présentés ne sont pas exhaustifs et sont par ailleurs résumés très brièvement sans que toutes les nuances aient été faites.

Nous espérons que le contenu de la présente aura suscité votre réflexion et surtout vous aura convaincu de l’utilité indéniable d’une convention entre les actionnaires d’une société par actions.


Me Lucie Boiteau, Alepin Gauthier Avocats inc.

• Ce texte est paru dans l’édition de mai 2015 de Conseiller

Me Lucie Boiteau